Pourquoi les mesures d'austérité mettent-elles en péril la prévention des pandémies

La santé publique est politique, telle est la prévention des pandémies

De Murad Akincilar

La destruction sociale d’un choc d’austérité post-pandémique touche 85 % de la population mondiale. Les mesures d’austérité ne sont pas compatibles dans la plupart des pays avec les investissements en vue de la prévention des pandémies, préparation efficace et réponse équitable.

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La santé publique est politique, telle est la prévention des pandémies
Foto von Mufid Majnun auf Unsplash

L’analyse épidémiologique du point de départ du spillover est incontestablement très importante pour freiner la diffusion d’un virus, toujours du point de vue épidémiologique [1]. Parallèlement, la question qui consiste à maîtriser le coût humain d’une épidémie est avant tout une question de santé publique.

L’origine et les processus de propagation des zoonoses sont conditionnés par notre rapport avec la nature et l’efficacite de nos systemes de prévention. La prévention et la maîtrise d’une crise sanitaire font l’objet des interventions politiques pour réduire les risques et la perte qui nécessitent une volonté, une compétence, des valeurs sociales et des moyens matériels. Ces interventions sont à leur tour dépendantes des pouvoirs politiques, de la distribution du bien-être entre les classes sociales, de la richesse matérielle.

La santé publique en tant qu’activité d’amélioration et l’étude des déterminants sociaux de la santé, est une des plus anciennes constructions humaines. La volonté politique encadrant la santé publique est capable de réduire le coût humain d’une épidémie autant qu’elle peut l’accentuer travers des coupes d’austérité fragilisant la couverture sanitaire universelle. Cela permet ainsi la réalisation d’une large partie des obligations à la charge des États découlant du droit à la santé et notamment les obligations suivantes : mettre en place des infrastructures de soins, biens et services en matière de santé nécessaires et de qualité ; assurer l’accès à ces installations, biens et services sans discrimination ; assurer la protection de certaines catégories de personnes vulnérables en particulier ; développer des mesures pour prévenir, traiter et maîtriser les maladies épidémiques et endémiques.

La volonté politique encadrant la santé publique est capable de réduire le coût humain d’une épidémie autant qu’elle peut l’accentuer travers des coupes d’austérité fragilisant la couverture sanitaire universelle.
Photo: Teacher Dude/flickr.com; CC BY-SA 2.0 Deed 
Photo: Teacher Dude/flickr.com; CC BY-SA 2.0 Deed 

Austerité post-pandémique: Economiser sur la prévention

L'augmentation alarmante du nombre et de la fréquence des épidémies de zoonoses est en corrélation avec la transformation rapide des forêts, des prairies et des déserts en terres urbaines et agricoles. Non seulement la destruction de l'habitat augmente la fréquence des contacts entre les humains et la faune, mais qu'elle rend également plus probable la prolifération des virus. Economiser sur la prévention ou sur le nombre de lits de soins intensifs ou de réanimation équipés d’appareils respiratoires, le risque de débordement sanitaire sont tous en interaction avec des decisions politiques.

Les plus grandes sociétés pharmaceutiques du monde avaient rejeté une proposition de l'UE en 2017 de travailler sur des vaccins accélérés pour les agents pathogènes comme le coronavirus afin de permettre leur développement avant une épidémie, avait révélé le Guardian (Boffey, D. 2020). Gus Ficher, avait averti dans « Deforestation and Monoculture Farming Spread COVID-19 and Other Diseases », The Truthout, publié le 12 mai 2020 le lien entre la deforestation et la politique agricole. Plus d'un an avant que le Covid-19 ne soit détecté pour la première fois, les biologistes de l'Université de Varsovie avaient publié « Chauves-souris, coronavirus et déforestation », un article qui reliait la destruction rapide des habitats naturels des chauves-souris à la propagation de coro­navirus tels que le SARS-CoV et le MERS-CoV. [2]

Nous sommes donc en mesure d’identifier une certaine constance en matière de négligence voire d’hostilité néolibérale envers la prévention et l’équité, parce que la prévention et l’équité concernent principalement les classes populaires, et parce que la prévention coûte et signifie un coût d’opportunité. Les fonds pour la prévention peuvent très bien être transférés ailleurs.

Les plus grandes sociétés pharmaceutiques du monde avaient rejeté une proposition de l'UE en 2017 de travailler sur des vaccins accélérés pour les agents pathogènes comme le coronavirus afin de permettre leur développement avant une épidémie, avait révélé le Guardian.

Une capacité de réaction à deux vitesses aux futures pandémies

En fonction des inégalités spatiales et de revenus qui augmentent, les groupes sociaux qui imposent des politiqiues d’austerite ; peuvent se confiner dans des quartiers isolés, verts, écoresponsables et durables en forme d’enclos résidentiels (gated communities). En matière de préservation de la nature, de durabilité, d’écologie urbaine ainsi que d’agriculture régénérative, le mode de croissance avec austerité consiste à créer des enclaves, des îlots, des réserves privilégiées et préservées en accentuant les inégalités tout en renforçant les disparités spatiales.

Au-delà, l’austerité signifie la fragilisation des services publics de soins sanitaires, la destruction de la biodiversité et finalement des politiques génératrices de précarité et d’inégalités.

Les coupes d’austérité conduisent à de pires résultats en matière de santé ; une analyse empirique de données dans 137 pays conclut que les réformes d’ajustement structurel réduisent l’accès au système de santé et augmentent la mortalité néonatale (Forster, T. et al. 2019).

En fonction des inégalités spatiales et de revenus qui augmentent, les groupes sociaux qui imposent des politiqiues d’austerite ; peuvent se confiner dans des quartiers isolés, verts, écoresponsables et durables en forme d’enclos résidentiels (gated communities).
Foto von Ev auf Unsplash
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Pourtant aujourd’hui, le monde est confronté à une grave pandémie d’austérité : les niveaux élevés de dépenses qui étaient nécessaires pour faire face au COVID-19, la crise socio-économique qui en a résulté et d’autres chocs dus aux déséquilibres structurels combinés à la réduction des taux d’imposition ont laissé les gouvernements avec des déficits budgétaires et un endettement croissants. À partir de 2021, Le FMI a lancé une campagne mondiale de consolidation budgétaire par laquelle les gouvernements ont commencé à adopter des politiques d’austérité exactement au moment où les besoins de leurs populations et de leurs économies étaient les plus grands.

La destruction sociale d’un choc d’austérité post-pandémique, bien plus grave que celui qui a suivi la crise financière mondiale de 2008 est d’actualité. Les nouvelles projections portant sur l’ensemble des objectifs du developpement durable liés à la pauvreté, notamment l’extrême pauvreté, la dénutrition, le retard de croissance et la mortalité infantile, la mortalité maternelle et l’accès à l’eau potable et à des installations sanitaires de base, prédisent des conditions encore pires (Yusuf et al; 2023).

À partir de 2021, Le FMI a lancé une campagne mondiale de consolidation budgétaire par laquelle les gouvernements ont commencé à adopter des politiques d’austérité exactement au moment où les besoins de leurs populations et de leurs économies étaient les plus grands.
Foto von Ron Lach : https://www.pexels.com/de-de/foto/mann-erwachsener-drinnen-mannlich-9830124/
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L’analyse des projections de dépenses du FMI montre que le choc d’ajustement devrait toucher 143 pays en 2023 en termes de PIB, soit 85 % de la population mondiale. La plupart des gouvernements ont commencé à réduire leurs dépenses publiques en 2021, et le nombre de pays réduisant drastiquement leurs budgets devrait augmenter jusqu’en 2025 (Ortiz, I.;Cummins, M. 2022).

Les récentes projections sur le rythme des progrès vers la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) liés à la pauvreté depuis la pandémie de COVID-19 dressent un tableau sombre. La Banque mondiale prévoit que l'extrême pauvreté (au nouveau seuil de pauvreté) s'élèvera à 574 millions de personnes en 2030 et la FAO, le FIDA, l'UNICEF, le PAM et l'OMS prévoient qu'il y aura 590 millions de personnes sous-alimentées en 2030.

Les mesures d’austérité post-pandémique ne sont pas compatibles dans la majorite écrasante des pays avec les investissements en vue de la prévention des pandémies, préparation efficace et réponse équitable. Des stratégies et des instruments applicables à l’échelle mondiale, tels que de meilleurs systèmes d’alerte numériques ne constituent pas une priorité pour les dominants de l’architecture financière internationale.

Les mesures d’austérité post-pandémique ne sont pas compatibles dans la majorite écrasante des pays avec les investissements en vue de la prévention des pandémies, préparation efficace et réponse équitable. Des stratégies et des instruments applicables à l’échelle mondiale, tels que de meilleurs systèmes d’alerte numériques ne constituent pas une priorité pour les dominants de l’architecture financière internationale.
  1. [1]Les prédictions sur l'évolution du virus, et en particulier les changements de virulence, seront toujours semées d'incertitudes. Les caprices de la mutation aléatoire de l'ARN, les schémas chaotiques de transmission et d'expansion, et les forces partiellement comprises de la sélection naturelle, présentent des défis considerables.

  2. [2]À part les rapports et les alertes cités, il existe aussi les données suivantes : le rapport de Global Prepa­redness Monitoring Board GPMB « Un mode en Péril », publié en sep­tembre 2019 par l’équipe de Thomas Friedman ; les recherches basées sur Ecological Niches Modelling ENM ; les models des espaces pour les mala­dies zoonotic EIDS ; un autre rapport de USAID, emergency Pandemic The treaths du projet PREDICT ; la Conférence Concordia en 2016 ; l’en­semble des publica­tions de Eco Health Alliance en étroite collaboration avec USAID ; le rapport de l’institut Koch présenté au Bundes­tag Be­richt zur Risikoanalyse im Bevölkerungsschutz 2012 en janvier 2013.

Références
Murad Akincilar
Murad Akincilar a fait des études post-grade à London School of Economics (LSE). Sa thèse porte sur les cycles conjoncturels et la crise capitaliste. Il a travaillé comme assistant en recherche à l’Université d’Istanbul, chargé de formation et d’organisation dans les syndicats et attaché en matière de l’innovation auprès de l’OCDE à Paris avant de travailler comme syndicaliste en Suisse dans les années 2000. Il a dirigé l’Institut des recherches politiques et sociales (DISA) entre 2013 et 2018 dans la zone de conflit entre la Turquie et la Syrie. Les travaux de Murad Akincilar, coéditeur de la revue digitale Lendemains Solidaires, se focalise sur les luttes pour sortir du maldéveloppement néolibéral. Il est l’auteur du livre « Une pandémie révélatrice d’un maldéveloppement généralisé” publié en 2023. ll mène actuellement un travail de terrain dans plusieurs pays dans le cadre d’un projet sur l’engagement des mouvements sociaux pour le droit au développement auprès de CETIM. Email