De Viviane Luisier
Pas le temps pour les célébrer, juste le temps de les faire bosser ? Que ce soit en 2020 ou dans les années antérieures, sages-femmes et infirmières ont toujours travaillé intensément, dans des conditions souvent discutables quant au matériel à disposition et aux effectifs disponibles, pour des salaires particulièrement bas et sans être pour autant plus respectées ni au Nord ni au Sud. 2020, Année internationale du personnel infirmier et des sages-femmes, devrait être l’occasion d’entamer des changements concernant les professions soignantes.
Que ce soit au Nord ou au Sud, la plainte concernant l’insuffisance de dotation en personnel est récurrente. Cela signifie travailler vite, parfois au détriment des patient-e-s. Dans les pays en développement, le manque d’effectif signifie accumuler deux gardes de suite. A cela s’ajoute la carence en matériel et en lits pour les patient-e-s. Sages-femmes et infirmières travaillent auprès de personnes qui traversent une crise, une douleur, un changement. Cela requiert une présence attentive de tous les instants, de jour et de nuit, pendant les fêtes, pendant les congés généralisés, sauf pour elles.
Donc sages-femmes et infirmières, qu’elles soient hospitalières ou indépendantes, devraient jouir de respect et de gratitude pour avoir été là, auprès de nos familles et nos amis, dans des moments difficiles et même au moment de la mort. Elles devraient être « bien » payées. Et comme, en général, elles aiment leur travail, elles devraient « durer » longtemps. Alors pourquoi ce n’est pas le cas ?
Travail d’amour, travail gratuit
L’histoire des professions soignantes plonge ses racines dans la « nature féminine », au sens où, jusqu’à aujourd’hui, ce sont les femmes qui assurent le travail de reproduction (procréation, puis maintien de la vie par l’alimentation, la protection, etc.). Le travail ménager et de soin est effectué pour l’écrasante majorité par les femmes, gratuitement. Lorsque des femmes, souvent religieuses et sans enfants, ont commencé à s’occuper charitablement des malades et des mourants, c’était normal qu’elles le fassent, et gratuitement, puisque… elles étaient femmes ! Racines scabreuses pour la naissance de la profession d’infirmières. Le glissement entre vocation et profession s’est fait tout en douceur.
Le travail de soin est resté cantonné au monde féminin. Selon l’OMS, actuellement, 90% du personnel infirmier dans le monde est féminin. Pour les sages-femmes, ce pourcentage est sans doute encore plus élevé. Auprès des gens, il y a des femmes pour soigner. En revanche, dans les administrations et les directions, il y a des hommes pour commander. Si les hommes effectuaient en masse le travail de soin, les salaires seraient-ils aussi bas et les conditions aussi dures ?
La formation n’assure pas automatiquement un travail ni un salaire décent. Dans certains pays, à sa sortie de l’école ou de l’université, le personnel diplômé ne va pas automatiquement trouver du travail. A des infirmières qualifiées, l’Etat va parfois préférer des auxiliaires de santé, formées en quelques mois et qui coûtent moins cher. Dans d’autres pays, la formation est excellente, mais elle n’élargit pas pour autant les possibilités d’intervention de la sage-femme ou de l’infirmière une fois sur le terrain, qui reste occupé par le médecin. Donc la reconnaissance du profil sage-femme ou infirmier et leur salaire ne vont pas augmenter pour autant. Dans les deux cas, la motivation du personnel va rencontrer des difficultés à se maintenir sur le long terme.
Sages-femmes et infirmières sont des professionnelles, et non des prolongations du dévouement maternel ou grand-maternel. Pour qu’elles soient reconnues socialement, elles doivent être mieux payées. Puisque, dans la plupart des sociétés, la reconnaissance va de pair avec le salaire !
Ci-dessous, nous présentons quelques projets de la CSSR, soutiens proposés à 3 niveaux différents.
Soutien à la formation des sages-femmes empiriques, Quetzaltenango, Guatemala
Depuis 2005 jusqu’à aujourd’hui, la CSSR soutient un projet qui a pour objectif l’amélioration de la santé materno-infantile dans le département de Quetzaltenango. Notre partenaire, la CODECOT (Coordination départementale des comadronas), rassemble environ 600 comadronas de tout le département. Son objectif consiste à leur donner une formation technique et politique, afin qu’elles soient des ponts entre le domicile et les institutions, entre la tradition et la science médicale. La CODECOT cherche ainsi à obtenir une meilleure intégration des comadronas dans le système de santé publique. Elle dispose d’un centre de soins familiaux, situé dans la banlieue de Quetzaltenango, dans lequel les femmes enceintes peuvent consulter et accoucher, avec les techniques traditionnelles, mais également avec l’aide d’un médecin formé à la médecine moderne. En parallèle du travail de formation et de soins, la CODECOT intervient au sein des institutions politiques et sanitaires locales afin de proposer des solutions pour améliorer la prise en charge des femmes enceintes.
Soutien à la formation d’infirmières qualifiées, Matagalpa, Nicaragua
La filière de soins infirmiers spécialisés de l’Université Nationale Autonome du Nicaragua (UNAN) ouvre ses portes en 2004 à Matagalpa. Depuis 2012, la CSSR collabore avec la UNAN pour améliorer les conditions d’études des élèves infirmier-ère-s qui viennent souvent de familles modestes et rurales. Nous les dotons d’uniformes et de polycopiés et nous avons même réussi à acquérir un bus destiné à mobiliser les élèves sur leurs différents lieux de stage, souvent éloignés de l’université. Outre cette dotation de matériel, un cours d’éthique permet aux élèves de réfléchir à leurs relations avec les patient-e-s et à les améliorer.
L’objectif de ce projet est de contribuer à augmenter le personnel infirmier qualifié dans le département de Matagalpa, en améliorant les conditions d’étude et la qualité de l’enseignement. Mais les personnes diplômées de la UNAN rencontrent un sérieux problème : alors que ce personnel est urgemment nécessaire, on lui préfère souvent des auxiliaires d’infirmerie qui reçoivent une formation plus courte et qu’il est possible de payer moins cher. Problème politique, épineux, à suivre.
Soutien à l’initiative novatrice de sages-femmes qualifiées, Rocha, Uruguay
Entre 2013 et 2015, la CSSR a soutenu un groupe de sages-femmes et de médecins de la Maternité publique de l'hôpital départemental de Rocha. Ce groupe voulait mettre en œuvre des pratiques visant à améliorer la prise en charge des femmes enceintes et des parturientes. Un besoin ressenti tant par les usagères que par le personnel soignant.L’équipe de coordination était composée de représentant-e-s des trois secteurs du projet: obstétrique, pédiatrie et travail social. L’Association civile “Projet SOS”, une association locale visant à instaurer des espaces de participation citoyenne, afin d’améliorer la qualité de vie de tous les habitants de Rocha, s’allie à ce projet.
Un nouveau modèle d’assistance va donc s’implanter dans le domaine de la santé périnatale, adoptant une perspective humaniste et respectueuse des droits sexuels et reproductifs, pour les usagères de la Maternité publique de Rocha. Dans ce cadre, les sages-femmes ont la possibilité de travailler en mobilisant toutes leurs compétences, selon les découvertes alternatives faites cette dernière décennie, avec le matériel nécessaire même s’il est rudimentaire, et cela pas seulement pour les classes moyennes. Tout le personnel de la Maternité est impliqué dans la dynamique. C’est une réussite, même si l’aide de la CSSR a été modeste et limitée dans le temps.
Grâce à un personnel très motivé, la philosophie de l’humanisation de la prise en charge des femmes enceintes va faire son chemin en Amérique latine. L’une des membres de l’équipe va être appelée en Argentine et au Pérou pour présenter l’expérience de Rocha et pour faciliter sa multiplication.
Selon l’OMS, le renforcement des soins infirmiers et obstétricaux -et la garantie que les personnels infirmiers et les sages-femmes soient en mesure de déployer leur plein potentiel- est l’une des actions les plus importantes que nous puissions accomplir pour parvenir à des soins de santé universels et pour améliorer la santé des populations dans le monde (WHO, 2020). Les projets passés et actuels de la CSSR soutiennent sages-femmes, infirmières et promotrices de santé au Guatemala, au Nicaragua, en Uruguay. Il manque 9 millions de personnel soignant dans le monde, c’est beaucoup, mais notre engagement est solide, même s’il est infime. Lorsque sages-femmes et infirmières seront mieux utilisées et mieux traitées, le monde ne s’en portera que mieux