De Bernard Borel
Mon voyage d’un mois au Chiapas m’a donné la chance de pouvoir partager et accompagner le travail sur le terrain de l’ONG Madre Tierra Mexico (MTM). Au cours de ce voyage, j'ai eu la chance de constater le travail important fourni par cette l'ONG, tant par l’appui régulier sur le terrain (à la fois matériel et de formation), qu’à des organisations sociales qui aident des communautés de paysans (souvent des peuples originaires de la région) à défendre leurs droits et à les sortir de leur marginalité : souvent ils n'ont pas accès aux programmes de santé (de nombreux enfants sont peu ou pas vaccinés et les grossesses se passent sans aucun contrôle médical), rarement accès à l’eau potable et souvent n'ont à manger que ce qu'ils produisent, soit du maïs.
J'étais donc sur le chemin de ces caravanes de migrants dont la presse internationale se fait abondamment écho, surtout parce que le Président Trump, en a fait sa campagne électorale avec l’intention de créer un mur à sa frontière sud qui les séparent du Mexique, pour empêcher « cette horde de centre-américains » d'entrer sur sol nord-américain.
Madre Tierra México a décidé de tenir un poste de santé à Escuintla sur la côte occidentale du Chiapas et étape « obligée » de ces caravanes, non sans avoir pris du temps avec les organisations sociales avec lesquelles elle travaille de désamorcer les tensions souvent suscitées par les médias dominants qui présentent les migrants comme des voleurs ou des brigands, et non pas des pauvres comme eux qui cherchent une vie meilleure.
La migration mexicaine et centre-américaine aux Etats-Unis n'est pas un phénomène nouveau. Elle a probablement toujours existé, mais en tous les cas était déjà très présente dans les années 80, où de très nombreux salvadoriens fuyaient la guerre et cherchaient, comme aujourd'hui, un travail et la possibilité d'envoyer des « remesas » (soit une partie de l'argent gagné) à leur famille restée au pays. J'ai rencontré un homme qui a d'abord migré aux Guatemala puis au Mexique, puis a passé quelques années aux Etats-Unis puis depuis 20 ans s'est installé au Chiapas où il survit grâce à un petit terrain qu'il cultive. Ou cet autre qui a migré avec son frère à ses 12 ans du Guatemala au Mexique pour trouver du travail, car leurs parents ne pouvaient plus les entretenir et vivaient dans un climat lourd de persécution, puis, 5 ans plus tard, est allé aux Etats-Unis, où il est resté 4 ans à travailler 14-16h par jour et logeant dans un appartement collectif pour économiser et pour améliorer le quotidien de sa famille qui vit au sud du Mexique. Ces 2 exemples illustrent bien que c'est la nécessité économique et l'insécurité qui est la source de la migration : elle a toujours existé parce que la pauvreté est restée toujours la même, ce qui remet en question le système économique globalisé.
Pendant longtemps, la décision de partir était individuelle, et c'est peut-être en chemin, que certains se regroupaient, parce que le parcours migratoire se complique au fur et à mesure que l'on s'approche du Nord.
Si on reprend le nombre de migrants illégaux, répertoriés par le HCR qui atteignent les Etats-Unis, on voit que depuis plus de 10 ans il est assez stable, soit autour de 1 million chaque année. Ce qui a changé c'est la rhétorique du Président Trump, qui en a fait un thème politique (à l'image de l'UDC en Suisse). Les caravanes de migrants (essentiellement du Guatemala, du Honduras et du Salvador), dont on parle tellement pour nous faire croire que c'est un véritable exode, est une réponse collective de ces gens pour échapper au mieux, aux vols, viols et rapts, commis par les bandes de narcotrafiquants, qui souvent agissent de connivence avec la police et les militaires (et les témoignages sont nombreux à ce sujet). Il est intéressant de relever que très peu de migrants sont nicaraguayens, pays dont la presse internationale nous répète régulièrement qu'il s'agit d'une dictature. Mais la population a de quoi vivre, l'éducation et la santé sont gratuites, et l'accès à l'eau potable et à l'énergie électrique : de plus c'est un pays auto-suffisant du point de vue alimentaire. Hormis les troubles sociaux de l'année passée (qui faisaient le bonheur de qui?), c'est le pays le plus sûr de l'Amérique Centrale, après le Costa-Rica. Rien à voir en tous les cas avec le Salvador, le Honduras et le Guatemala, où encore trop de gens n'ont aucun lopin de terre à cultiver pour eux et leur famille et le nombre journalier des homicides est effrayant.
Le gouvernement mexicain de M. Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), au pouvoir depuis 6 mois tente de trouver une solution humaine à la migration, mais subit des pressions des Etats-Unis qui le poussent à militariser la frontière avec le Guatemala. De plus M. Trump a pris de mesures de rétorsion contre le Honduras, le Salvador et le Guatemala, puisqu’ils « laissent partir leurs concitoyens » ce qui aggravent la situation des plus pauvres.
AMLO tente de résister ; il porte officiellement assistance aux caravanes de migrants et cherche des solutions de travail au Mexique pour eux, en imaginant de créer des zones franches dans le Sud du pays. Mais, dans les faits, depuis déjà au moins 3 mois, il a supprimé les postes de santé qu'il avait installé le long de la route et son unique objectif est que ces caravanes entrent moins en contact avec la population (qui ne les accueille pas toujours bien d'ailleurs) et cherche à les concentrer dans des centres « temporaires » fermés.
Madre Tierra Mexico tient donc régulièrement un poste de santé à Escuintla et a pu observer que les problèmes de santé rencontrés étaient d'une part ceux liés à la marche (blessures, entorses, etc… mais aussi déshydratation : on est sous les tropiques !), la fatigue (d'autant qu'il y a des gens de tous âges depuis de tous petits bébés jusqu'à des personnes du 3ème âge, y compris en chaise roulante), des demandes de renouvellement de médicaments pour des maladies chroniques documentées telles que hypertension ou diabète, mais aussi liés aux maladies courantes de la précarité telles que les diarrhées, bronchites ou bronchopneumonies ou encore, bien que moins grave, la gale.
Mais ce qui frappe l'esprit des soignants (souvent de simples promoteurs de santé, qui d'ailleurs sont souvent plus solidaires que les médecins!! Ce sont, de fait, les pauvres qui aident les pauvres, en leur donnant aussi parfois nourriture et habits...), et que les collaborateurs de Madre Tierra Mexico ont bien relevé c'est le désespoir, l'angoisse, parfois la résignation de ces migrants, qui ont tout quitté et souvent se sont endettés et, confrontés à de telles difficultés, qu'ils se demandent s'ils trouveront une terre d'asile pour travailler : ils comprennent que beaucoup d'entre eux risquent fort d'être refoulés. Mais le retour en arrière n'est pas une solution, car ils n'y voient pas d'issue pour leur sort chez eux.
J'étais en octobre 2015, à la frontière de la Grèce et de la Macédoine, au moment où le flux de migrants venant essentiellement de Syrie était le plus fort. Ces migrants étaient des demandeurs d'asile, qui fuyaient la guerre et qui avaient tout perdu. Les problèmes de santé que nous rencontrions étaient les mêmes qu'au Chiapas en 2019.
Médicalement, lorsque les migrants sont sur la route, on est condamné à faire une intervention de « bas seuil », leur offrir un moment de répit, mais surtout de ne pas les retenir dans leur décision de continuer coûte que coûte leur route, en leur souhaitant, malgré un environnement hostile, qu'ils arrivent à bon port.
Quand on partage ces instants de vie des migrants le long de leur pèlerinage douloureux, on comprend vite que c'est en amont qu'il faut agir : c'est un large débat qui dépasse le propos de ce témoignage, mais il est nécessaire au nom de la simple justice sociale.
Madre Tierra Mexico MTM est une association civile basée au Mexique, Chiapas qui accompagne des organisations indigènes, paysannes et ouvrières luttant pour la défense des Droits Humains et de la Terre Mère, au Mexique et au Guatemala. Le travail de cette organisation se concentre sur l'organisation communautaire et la formation de promoteurs/trices dans les domaines de la permaculture et de la santé, en incluant des notions sociales et économiques.