De Bernard Borel
La pandémie due au Sars-Co-2 a surpris par sa contagiosité, l'absence de traitement et le risque que ce virus pouvait -au moins 20 fois plus souvent que pour une grippe saisonnière- être mortelle. Et pourtant, tous les virologues vous le diront : la question n’était pas de savoir si une telle pandémie se produirait un jour, mais quand. Devant cette réalité, le confinement – malgré son coût social et économique potentiel- était raisonnable du point de vue médical pour ralentir la propagation et donc permettre aux systèmes de santé de faire face à l'afflux de patients.
On voyait début mars comment l'Italie était débordée. Et l'on peut dire qu'en Europe, même s'il y a eu des variations entre pays, et malgré un certain cafouillage initial la stratégie a été efficace. On peut observer que les pays qui ont introduit les mesures de protections, dont le confinement, le plus précocement sont ceux qui au final semblent s'en sortir le mieux. Mais cette crise due au Sars-Co-2 a révélé à quel point nos systèmes de santé sont fragiles, et nos sociétés inégalitaires, même ici en Europe. D'ailleurs, les pays qui ont le plus réduit l'offre de soins publique ces 10 dernières années font partie de ceux qui ont été les plus débordés.
L'Amérique latine, qui est maintenant l'épicentre de la pandémie et le restera au moins jusqu'à la fin juin, a, elle, eu, en principe, le temps de se préparer et pourtant les stratégies pour y faire face sont loin d'être uniformes et encore moins concertées.
Il y a ceux qui nient la réalité, comme ils nient la crise écologique, tel Bolsonaro, au Brésil (en parfaite adéquation avec le président des États-Unis Trump d'ailleurs !) et s'opposent cyniquement à tout confinement -comme toute protection individuelle-, tout en sachant que leur système de santé n'est pas en mesure de prendre en charge un pic de malades mais s'en moquent : il y a de nombreux morts, parce qu’ils n'ont pas accès aux soins. Il faut savoir qu'au Brésil, suite au « frein aux dépenses » adopté juste après le coup d'État parlementaire contre la présidente Dilma Rouseff, aggravé par le renvoi des 8000 médecins cubains en 2018, le système de santé public n'a plus les moyens de soigner sa population et a moins de la moitié des lits hospitaliers recommandés par l'OMS : la mortalité y est inquiétante, mais d'avantage pour le défaut structurel du système de santé ; le confinement erratique ne fait que l'aggraver, (heureusement nombreux gouverneurs essaient de le faire respecter dans les grandes villes.)
Il y a aussi ceux qui profitent de la crise du Covid-19 pour imposer un confinement et un couvre-feu où les raisons sanitaires ne sont de loin pas la première préoccupation : on peut citer le Chili, qui était en proie à une contestation très forte, ou la Bolivie, où le gouvernement illégitime de Mme Añez, auto-proclamée présidente après le coup d'Etat contre Evo Morales en novembre 2019, ont imposé un confinement autoritaire et militaire, profitant en plus pour harceler -voire incarcérer- leurs opposants en les accusant de violer le confinement : rien n'est fait pour améliorer l'accès aux soins ! On sait même que le ministre de la santé de Mme Añez a détourné des fonds lors d'achats de respirateurs même pas adaptés à la prise en charge de patients atteint de Covid-19 ; il a dû démissionner. Mais on pourrait aussi citer la Colombie où le confinement très strict a amené des situations de carence alimentaire mises en évidence par l'ONG Action contre la faim, bien sûr parmi les réfugiés, en particulier vénézuéliens, mais aussi dans les quartiers populaires des grandes villes dont la capitale Bogota. Des situations analogues se retrouvent au Salvador et au Honduras, où les cas de Covid-19 sont malgré tout nombreux, probablement parce que l'immense majorité de la population tire ses revenus du secteur informel et n'a aucune protection sociale ; elle peut difficilement rester chez elle...et le télétravail n'est pas envisageable !
Il y a aussi le Nicaragua et Cuba qui ont adopté une position de confinement proche de la Suède, misant beaucoup sur leur système de santé primaire dont la performance est reconnue internationalement et font du traçage autour des patients positifs l'axe principal, associé aux précautions de distanciation physique et du lavage de mains. Ils sont diabolisés par l'opposition soutenue par l'Amérique de Trump (qui n’en est pas à un paradoxe près !) qui ne cesse d'accuser les présidents de laisser mourir leur peuple. Qu' aurait dit l'opposition si le président Ortega du Nicaragua, qu'elle considère comme un dictateur, avait proposé un confinement « militarisé » comme au Chili? Et ses propositions sanitaires sont-elles réalistes ? Pourtant, il semble que la stratégie choisie est payante, même si, au Nicaragua en particulier, la crise sanitaire est tellement instrumentalisée politiquement qu'il est difficile maintenant, alors qu'on est dans la phase la plus critique, de pouvoir en être certain, tant la réalité des chiffres est impossible à vérifier. Il n'y a, en tous les cas, pas de raisons de penser que cela soit pire que dans les pays voisins -la faim en moins!-.
L'OMS, qui devrait avoir une vision globale et comprend en son sein de nombreux spécialistes, aurait probablement dû proposer des mesures variées et adaptées à la réalité de chaque pays ou région. Et insister pour que ces mesures soient fondées sur des évidences scientifiques démontrant leur pertinences en terme de santé globale dans un contexte donné et s'assurer que leur application suive cette même logique.
On peut raisonnablement penser que le confinement n'a de sens que s'il existe une bonne protection sociale et sanitaire et si la population a confiance dans ses autorités. Autrement, il risque d'aggraver la crise et de plus détourner des fonds nécessaires à affronter les inégalités endémiques.
Mais surtout, cette crise met en évidence l'absurdité de notre système de production basée sur le marché, qui mine le bien public tout en créant une catastrophe écologique majeure.
En attendant, seul un vaccin nous sortira de cette menace du Sars-Cov-2. Mais il ne nous mettra pas à l'abri d'une nouvelle pandémie si nous ne changeons pas notre logique marchande.
Sans oublier, comme le rappelait récemment une virologue de renom, qu'elle pourrait venir d’Amérique du Sud. En effet, la déforestation de larges pans de forêts primaires nous expose à des virus qui n’ont encore jamais été en contact avec l’être humain.