De Claudia Salazar Narváez, Roberta Ortiz, Sima Saleh und Nicolette Gianella
Une expérience de soins palliatifs pédiatriques, fruit de la collaboration entre le Ministère de santé du Nicaragua et deux ONG suisses (Médecins du Monde Suisse/MdM et Associazione per l'Aiuto Medico al Centro America/AMCA) se développe à grâce à l’enthousiasme et la participation du personnel de santé : médecins, infirmières, psychologues, assistantes sociales… Cet article est un travail collectif rédigé par des protagonistes de ce projet : deux pédiatres nicaraguayennes qui travaillent á l’hôpital de référence nationale pédiatrique à Managua, une pédiatre collaboratrice de MdM et la représentante de AMCA. En partant de la description du projet, ce texte presente un cas exemplaire, une étude sur la douleur et le modèle de santé qui en assure l’impact.
Claudia Salazar, Médecin Pédiatre Diplôme en Soins Palliatifs Pédiatriques
Les processus, les composants et l'expérience des soins palliatifs pédiatriques au Nicaragua, développés à partir de l'hôpital Manuel de Jesús Rivera (La Mascota) et du service de néonatologie de l'hôpital Bertha Calderón Roque, unités qui conduisent ce projet, ont été possibles grâce au soutien de l’Association pour l’aide médicale en Amérique centrale (AMCA) et Médecins du Monde Suisse (MdM), à travers un projet de collaboration qui a démarré en 2015.
Les soins palliatifs pédiatriques (SPP) au Nicaragua débutent institutionnellement en 2007 avec l'organisation de l'équipe interdisciplinaire de SP dans le service d'hémato-oncologie de notre hôpital. En 2010, le MINSA (ministère nicaraguayen de la santé) désigne notre hôpital pour démarrer le programme SPP. En 2011, des bénévoles se joignent au programme et un processus de formation de pédiatres commence au niveau des soins de santé secondaires.
Le réseau de soutien aux soins palliatifs est créé en 2013 et en 2016 MINSA-AMCA-MDM signent un accord de collaboration pour le projet de soins palliatifs pédiatriques.
Ce projet a trois composantes fondamentales :
Cet aspect vise, en premier lieu, à sensibiliser le personnel de santé aux SPP, en particulier de le former au traitement de la douleur et autres symptômes qui génèrent de la souffrance pour le patient et sa famille ; on aspire à stimuler et promouvoir l’appropriation d’une culture de soins palliatifs de la part de tous les acteurs du système de santé. Ces processus formatifs ont débouché sur l'élaboration et l'utilisation d'un guide de soins palliatifs, conçu dans le cadre du projet et approuvé par le ministère de la santé.
Le personnel de santé a été formé sur différents thématiques : principes généraux des SPP, évaluation et gestion de la douleur et d'autres symptômes, communication de mauvaises nouvelles, fin de vie et voie sous-cutanée, entre autres.
Depuis 2015, ce projet a organisé 5 semaines de sensibilisation aux SP, en 2019, la devise était "Mes soins, Mes droits".
Selon l'OICS (Organe International de Contrôle des Stupéfiants), les besoins en morphine du pays ont plus que doublé de 2015 à 2018 ce qui met en évidence que le Nicaragua se dirige vers une meilleure prise en charge de la douleur.
D’autre part, grâce à ce projet, nous pouvons prescrire aujourd’hui de la morphine orale à nos patients, ce qui permet le traitement de la douleur intense à leur domicile.
Roberta Ortiz, Médecin Pédiatre Oncologue Responsable SP du Service d’Hémato-oncologie
Une de nos jeunes patientes, qui a maintenant 17 ans et vient de Limay, un village très éloigné, est allée à l'hôpital d'Estelí, la capitale du département, en raison d'une toux et d'une fatigue intense. J'ai cherché le pédiatre en charge des SP là-bas, mais je ne l'ai pas trouvée: elle était à Managua pour une formation. Une radiographie pulmonaire a montré qu'il y avait une énorme masse dans son poumon gauche. Une rechute de son ostéosarcome après 4 ans sans maladie ... Une rechute horrible, sans option curative.
En raison de son âge, elle a été admise en médecine interne et non en pédiatrie. Elle avait très peur, elle était en détresse avec des gens qui ne connaissaient pas son histoire, tout ce qu'elle avait enduré, son amputation, les efforts pour s'adapter à sa prothèse et elle sentait qu'elle se noyait. Sa mère m'a appelée désespérée. J'ai appelé la pédiatre formée en SPP et elle m'a mise en contact avec l'interniste en charge du service, et quand j’ai reçu une photo de la radiographie pulmonaire, j'ai compris le désespoir de la jeune patiente, elle ne respirait qu'avec un poumon et on n'avait pas commencé la morphine pour la dyspnée.
J'ai appelé le médecin interniste, il m’a écoutée très gentiment, je lui ai expliqué qu'il fallait commencer la morphine pour sa dyspnée (respiration douloureuse et haletante) et il me dit : Mais elle n’a pas mal, docteur ...
Je lui ai alors expliqué que la détresse respiratoire fait mal, elle provoque des souffrances, je lui ai parlé des effets de la morphine sur le poumon pour améliorer cet horrible effort causé par le manque ou la soif d'air. Il a écouté et accepté de commencer la perfusion de morphine, nous l'avons calculée ensemble. Mission accomplie ! En l'absence de connaissances entraînant des souffrances inutiles, l'arme est d'éduquer, éduquer et encore éduquer.
Une question de cœur, de sensibilisation, de toucher des cœurs parfois insensibilisés en raison du fardeau des soins et du peu de ressources, en rappelant que soulager, écouter et accompagner ne coûte pas cher. Il ne faut pas oublier que chaque enfant, chaque adolescent mérite une gestion adéquate des symptômes car la douleur peut être inévitable mais la souffrance n'est pas acceptable !!!
Sima Saleh, Médecin Pédiatre Master en santé globale / collaboratrice de MdM Suisse
La douleur est un phénomène complexe dont l’expérience s’inscrit non seulement au sein de réalités biologiques, mais également au sein de dimensions psycho-socio-culturelles. Dans le cadre du programme national de soins palliatifs pédiatriques, il était pertinent d’approfondir le concept de la douleur telle que vécue par les Nicaraguayens afin d’adapter au contexte local les activités de formation et les soins prodigués.
Une étude qualitative, mandatée par Médecins du Monde Suisse, fut réalisée en 2017. Son objectif premier était d’explorer le vécu, les perceptions et les attitudes associées à la douleur et son traitement chez les enfants hospitalisés et bénéficiaires de soins palliatifs, et ce, selon les perspectives de différents acteurs. Cette étude visait aussi à identifier les obstacles au traitement hospitalier de la douleur afin d’améliorer les soins aux enfants.
7 focus groups totalisant 23 participants furent réalisés dans le service d’hémato-oncologie de l’hôpital national de référence pédiatrique à Managua (Hospital Infantil Manuel de Jesus Rivera « La Mascota »). Ces entretiens ont permis d’exposer les perspectives de différents groupes d’acteurs impliqués dans les décisions et le traitement hospitalier de la douleur : des adolescents recevant des soins palliatifs, des parents de patients en soins palliatifs de même que le personnel psychosocial, médical et d’infirmerie du service.
Les résultats de l’étude se sont avérés fort informatifs. Il s’est révélé que la douleur n’était ni perçue ni vécue comme une normalité au Nicaragua. D’ailleurs, elle se doit d’être traitée avec le but de l’éliminer ou au mieux la diminuer. Plusieurs facteurs contribuent à la souffrance des patients hospitalisés et de leurs parents notamment l’éloignement géographique et la coupure avec la communauté, la souffrance des autres patients hospitalisés et des considérations hospitalières. Les patients hospitalisés sont pleinement conscients des enjeux d’allocation intra-hospitalière des ressources et certaines de leurs décisions en sont teintées.
Cette recherche qualitative, axée sur le témoignage narratif d’acteurs clés impliqués dans les relations de soins à l’hôpital, a mis en lumière des enjeux réels en lien avec la douleur et son traitement. Le service d’hémato-oncologie de l’Hôpital La Mascota fut très réceptif aux recommandations faisant suite au rapport et a mis en application des actions concrètes pour mieux répondre aux besoins des patients hospitalisés. Finalement, au concept traditionnel d’une douleur totale, se rajoute ici, au Nicaragua, l’existence de douleurs partagée, collective, géographique et hospitalière qui sera désormais prise en compte dans les soins palliatifs pédiatriques prodigués.
Nicolette Gianella, Représentante de AMCA au Nicaragua
Le professionnalisme et la passion du personnel de santé ont donné naissance à ce projet, mais son impact et sa durabilité dépendent de l'espace qu'il trouve dans le modèle de santé familiale et communautaire (MOSAFC).
Un modèle centré sur la personne qui rapproche les services de santé à la population et qui permet le suivi des patients en soins palliatifs, dans leur communauté, par des équipes multidisciplinaires locales.
Placer la personne au centre des actions, en tant qu'être biopsychosocial, implique la recherche d'une solution globale aux problèmes de santé, qui inclut nécessairement l'axe palliatif.
En ce sens, les systèmes locaux de santé conçoivent et mettent en œuvre un système de suivi, afin que le réseau communautaire puisse accompagner les patients en soins palliatifs sur leur territoire.
Ce modèle de santé basé sur l'universalité et la gratuité de la santé, centrée sur les plus démunis et sur la collaboration entre les différents secteurs de soins et la communauté et entre les secteurs public et privé, nous semble être un partenaire idéal pour un projet comme celui-ci car il permet de multiplier les apports de la collaboration au bénéfice de la société. Actuellement, par exemple, il y a des enfants en soins palliatifs suivis dans des endroits reculés de Rio San Juan, Bluefields et Estelí, où les ressources locales sont sensibilisées : il va sans dire qu’il s’agit d’une énorme réussite des SP du Nicaragua et elle n’est pas réservée qu’aux enfants.
Les SP du Nicaragua ont développé des attitudes et des compétences locales indéniables, la solidarité internationale doit continuer à contribuer pour « pallier » les inégalités nord-sud en termes de possibilités économiques.