De Nago Humbert
Il peut paraitre paradoxal d’associer les notions de « médecine humanitaire" et de "soins palliatifs". Malheureusement entre le fantasme des "guérisseurs humanitaires" du Nord et la réalité des malades du Sud il existe plus qu’une image floue qui nous renvoie une fausse représentation de la réalité.
5 millions d’enfants de moins de 5 ans décèdent annuellement, les ¾ en Afrique Sub-Saharienne.
Dans cette région du monde, l’accès aux soins de santé basé sur l’aspect curatif est non seulement fragile, mais également très aléatoire. Dans des contextes où les ressources à disposition sont limitées et les barrières à l’accès aux soins nombreuses, ceux qui ne peuvent pas être guéris se retrouvent exclus du système et renvoyés chez eux. Selon un rapport de l’ONG Human Rights Watch « 60% des personnes qui meurent chaque année dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires, soit le chiffre impressionnant de 33 millions de personnes, ont besoin de soins palliatifs » et « plus de 3,5 millions de personnes atteintes d’un cancer ou du sida au stade terminal meurent chaque année sans traitement antalgique adéquat »(Human Rights Watch 2011). Les enfants sont parmi les grands perdant de cette funeste loterie.
En effet selon l’OMS 98% des enfants ayant des besoins en soins palliatifs vivent dans des pays à revenu faible et par conséquent environ 98% non pas accès au soulagement de la douleur.
En effet selon l’OMS 98% des enfants ayant des besoins en soins palliatifs vivent dans des pays à revenu faible et par conséquent environ 98% non pas accès au soulagement de la douleur. Ce constat est d’autant plus terrible que les soins palliatifs peuvent être proposés à un coût relativement faible et à tous les niveaux du système de santé, y compris dans les communautés rurales.
Dans de multiples essais, plusieurs auteurs ont tenté de définir les soins palliatifs pédiatriques. Nous avons retenu, lors de la rédaction des normes en soins palliatifs pédiatriques du Québec, celle de l’association for children with life-threatenings or terminal conditions and their families and the royal college of pediatrics and child health :
Les soins palliatifs pédiatriques sont des soins actifs et complets, englobant les dimensions physiques, psychologiques, sociales et spirituelles. Le but des soins palliatifs est d’aider à maintenir la meilleure qualité de vie possible à l’enfant et d’offrir du soutien à sa famille ; cela inclut le soulagement des symptômes de l’enfant, des services de répit pour la famille et des soins jusqu’au moment du décès et durant la période de deuil. Le suivi de deuil fait partie des soins palliatifs, quelle que soit la cause du décès, ce qui inclut les traumatismes et les pertes dans la période périnatale. (Humbert, Nago 2012)
Belle définition de l’idéal de la prise en charge pour les pays du Nord, mais une lointaine réalité pour la plupart des pays du Sud.
Mais revenons à cette définition. Les mots choisis et par conséquent leur sens ne sont pas anodins dans notre approche de cette discipline quelque peu spécifique, notamment lorsque nous devons la présenter aux patients et à leurs parents.
Même si la mort plane toujours sur la représentation que se font de nous les parents, notre action pour notre patient, mais également pour son entourage, est de maintenir la meilleure qualité de vie possible. Le mot "décès" n’est cité que comme un événement de passage dans notre travail puisqu‘il ouvre sur le suivi de deuil, une autre phase de la vie pour ceux qui restent.
Le champ d’intérêt des soins palliatifs pédiatriques est avant tout la vie, car ne pas pouvoir guérir ne signifie pas mourir dans l’immédiat.
Les deux grandes interrogations, à propos de l’intervention clinique des soins palliatifs pédiatriques, tournent autour de la question de la temporalité et de la sémiologie diagnostique.
Dans les prochaines années, le défi majeur des soins palliatifs pédiatriques sera leur intégration dans les soins de santé des pays défavorisés. Actuellement, ils sont encore perçus dans les milieux médicaux et par les gouvernements comme faisant partie d’une approche pour pays privilégiés. Ceci ne doit toutefois pas nous servir d’excuse pour ne pas redoubler d’effort afin de favoriser leur accessibilité pour la population pédiatrique de notre monde qui a en le plus besoin. Mais pour une certaine élite médicale de ces pays, les soins palliatifs pédiatriques reste une problématique de pays riches.
Et pourtant, pour travailler dans ces pays depuis plusieurs années, nous pouvons confirmer que les enfants ressentent, au-delà des interprétations anthropologiques ou culturelles, de la douleur, de la souffrance et de l’angoisse comme n’importe quel enfant atteint d’une maladie potentiellement mortelle et que la douleur de la perte est universelle chez les mamans, les papas et les frères et sœurs.
Dans la plupart des pays défavorisés, lorsque qu’on ne peut pas guérir un enfant, on le rend simplement à sa famille et le petit malade va mourir, entouré d’amour certes, mais dans la douleur et les souffrances de l’agonie.
Il ne s’agit pas ici de faire du néocolonialisme médical en imposant nos méthodes, car nous avons beaucoup à apprendre de ces sociétés dans leur approche communautaire, mais de sensibiliser le corps médical et les professionnels de la santé, ainsi que les gouvernements, pour une meilleure prise en charge des enfants atteints d’une maladie incurable. Même si le traitement de la douleur et des autres symptôme associés reste les éléments primordiaux des soins palliatifs, la dimension culturelle doit être spécifiquement étudiée et considérée.
L’expertise palliative est évidemment indissociable du contexte qui la forge. La culture offre la capacité de se représenter le monde de manière organisée et influe fortement les moments principaux du cycle de la vie tels que la mort. Par exemple nous ne devons pas sous-estimer l’importance des guérisseurs ou tradipraticiens dans la prise en charge, car c’est souvent les premières personnes que les parents vont consulter. Certains rites et coutumes doivent être compris, de même que certains tabous et codes afin d’appréhender les mondes interactionnels qui vont entourer le processus de la fin de vie. Le dialogue entre les soignants et les familles se situe au cœur de cette dynamique.
En Afrique sub-saharienne par exemple, l’appartenance à un groupe a une importance fondamentale : l’enfant n’appartient pas simplement à son père et à sa mère mais également à un lignage, parfois patrilinéaire ou matrilinéaire. Le rôle de l’unité familiale sera donc généralement élargi. Il faudra donc prendre en compte la définition de la famille propre à chaque société afin de ne pas risquer des simplifications dues à la transposition d’un modèle familial occidental. La connaissance et la compréhension des rites relatifs à la protection est également fondamentale et notamment ceux qui concernent le deuil. Et enfin prendre en considération les aspects religieux et leurs croyances, sachant l’importances de ceux-ci dans les sociétés africaines. Par exemple dans certaines communautés en République démocratique du Congo, un enfant ne meurt pas, il est tué et par conséquent il faut trouver le coupable, ce qui avoir des conséquences dramatiques dans certains cas.
Médecins du Monde Suisse depuis quelques années a décidé de faire de cette problématique un des thèmes transversaux de son programme. Actuellement nous développons des projets en Afrique, en RDC, au Cameroun, au Togo et au Bénin. En Amérique centrale, au Nicaragua, à l’hôpital de la Mascota à Managua, nous appuyons un projet de SPP en collaboration avec l’ONG Suisse AMCA (Ass. Aiuto Medico Centro America). Ces projets visent à l’amélioration de la prise en charge de la douleur et des symptômes associés des enfants atteints d’affections potentiellement mortelle, mais aussi à favoriser l’échange de pratiques et d’expertises dans le but d’intégrer l’accessibilité des soins palliatifs pédiatriques dans l’offre clinique des différentes structures sanitaires :
Face à l’impuissance de ne pouvoir guérir, les soins palliatifs pédiatriques offrent une réponse médicale humaine et efficace, à une réalité inacceptable.