De Erika Placella
Les troubles psychiques ont fortement augmenté en Bosnie-Herzégovine au cours des vingt dernières années. La Suisse soutient le pays dans la Réforme de son système de santé mentale visant un accès équitable à des soins de qualité dispensés dans un cadre communautaire.
En Bosnie-Herzégovine, une grande partie de la population souffre encore des séquelles de la guerre qui a ravagé les Balkans occidentaux dans les années 1990. Les troubles psychiques les plus courants sont la dépression, l’anxiété et les désordres liés au stress et aux violences domestiques, mais également des pathologies plus lourdes telles que les troubles psychotiques ou la démence. L’abus d’alcool et l’addiction aux substances psychoactives est particulièrement préoccupant chez les jeunes adultes souffrant de traumatismes transgénérationnels liés au conflit. (Jordanova 2012) Ces désordres sont par ailleurs exacerbés par un taux de chômage élevé et une paupérisation à large échelle. Le vieillissement de la population et l’augmentation de l’espérance de vie engendrent également une recrudescence des problèmes mentaux affectant les personnes âgées, notamment la démence.
Sous l’impulsion du processus de désinstitutionalisation des soins psychiatriques engagé dans la région Européenne depuis années 1970, il y a une dizaine d’années, le pays s’est lancé dans une profonde réforme de son système de santé mentale visant à un meilleur équilibre entre prise en charge ambulatoire et hospitalière et le développement de services de proximité. L'abandon progressif de l'asile comme modèle d'intervention et le recours limité à l'hospitalisation représente un vrai défi dans un contexte où les représentations sociales participant à la stigmatisation et l’exclusion sociale des personnes souffrant de troubles mentaux sont encore importantes. Depuis 2010, la Suisse soutient cette Réforme dans les deux Entités qui composent le pays (Fédération de Bosnie-Herzégovine et Republika Srepska), en partenariat avec les Cantons du Jura, Fribourg, Berne et Genève.
Promouvant un accès équitable aux services, le projet vise à améliorer la santé et le bien-être des personnes vivant avec des problèmes psychiques ou à risque de développer des troubles mentaux. Afin de garantir une approche globale, des actions visant à réduire les facteurs de risque, assurer la continuité de la prise en charge en milieu communautaire, ainsi qu’à lutter contre la stigmatisation et améliorer l’intégration sociale des personnes souffrant de troubles mentaux, sont également menées, en collaboration avec les services sociaux, la police et les institutions éducatives. Un réseau de 72 centres de santé mentale communautaires a été établi, couvrant toute la population du pays.
Le projet intervient à la fois au niveau du cadre réglementaire, au niveau de la provision des services et au niveau de la communauté. Il vise le renforcement des capacités des patients et de la population à exiger des services de qualité à un prix abordable. L’intervention s’appuie sur un vaste réseau de partenariats : institutions et experts Suisses, autorités centrales, fédérales et locales, associations professionnelles, agences d’accréditation et associations de patients.
Dans une première phase, le cadre légal et administratif relatif à la provision des services de santé mentale de proximité a été adapté, avec comme acquis majeur la prise en charge des prestations par l’assurance-maladie. En outre, une loi stipulant que toutes les institutions qui accueillent des personnes souffrant de désordres mentaux doivent faire l’objet d’inspections régulières, menées par des organismes indépendants, a été promulguée. La composition du personnel des centres a été fixée par les autorités compétentes. Les agences d’accréditation des deux Entités ont été renforcées et les centres soutenus dans le processus de certification et dans l’application des standards développés.
Une évaluation externe réalisée en mars 2017 a fait état de résultats très satisfaisants, malgré des obstacles structurels majeurs : cadre politique fragmenté, mécanisme de financement et système de formation complexes, flux migratoire important de personnel qualifié.
Totalement intégrés dans les structures de santé primaire, les centres mis en place offrent des prestations de qualité. Ils proposent de nouvelles formes de thérapie dans un délai raisonnable, grâce notamment à la formation d’une équipe multidisciplinaire qualifiée, constituée d’un psychiatre, un psychologue, une infirmière et une assistante sociale. Ces équipes interviennent également en milieu communautaire par des actions promotionnelles et préventives. Un soutien technique important est également assuré par les Cantons suisses s’agissant des thérapies occupationnelles et de nouvelles formes de gestion des patients tels que le « case management ». Des campagnes nationales de lutte contre la dépression et l’anxiété sont en outre organisées, en partenariat avec les Instituts de Santé Publique des deux Entités.Grâce à toutes ces actions conjointes, le taux d’hospitalisation des personnes souffrant de troubles mentaux a diminué de 30% depuis le lancement du projet.
Le projet bénéficie également d’un mentorat de la part d’un psychiatre suisse spécialisé dans la lutte contre la stigmatisation et la discrimination des personnes souffrant de troubles mentaux. Des associations de patients ont été créées ou revitalisées et leurs membres soutenus dans le développement de compétences personnelles, afin de témoigner, partager leur expérience de vie et reconstruire l’estime de soi. Grâce aux nouvelles formes de thérapie, la majorité des patients ont retrouvé une place dans la société et certains ont même réintégré le marché du travail.
Cette sensibilisation à large échelle a contribué à changer l’attitude de la population envers les personnes souffrant de troubles psychiques. Alors qu’un plus large public est intéressé à mieux comprendre ce type de pathologies, les journalistes traitent le sujet avec moins de préjudices. La santé mentale fait désormais l’objet de reportages et de débats télévisés. L’attitude du personnel de soins est désormais plus empathique et fondée sur le respect du patient.
En favorisant un accès équitable aux services et promouvant une collaboration accrue entre la communauté et les autorités locales, une participation plus importante des usagers à la prise de décision et le développement de valeurs sociétales communes (lutte contre la stigmatisation), le projet contribue au maintien de la cohésion sociale dans un contexte où de nombreux facteurs accélèrent son effritement.
Des mesures spécifiques sont explorées afin de garantir la durabilité des structures mises place par le projet. Il en va de même s’agissant de la supervision de la qualité des prestations, du renforcement des capacités organisationnelles et du développement des compétences du personnel. La priorité est donnée au soutien d’institutions nationales pour qu’elles soient en mesure d’assumer ces tâches. Des associations professionnelles mieux structurées peuvent par exemple jouer un rôle clé dans la formation et le système qualitéet mener des actions de plaidoyer plus concertées.
Afin de garantir une performance accrue, la phase actuelle du projet vise un renforcement des capacités de gestion du personnel, notamment en matière de planification intégrée des ressources humaines et des activités, gestion financière, suivi et évaluation, négociation et communication.La culture de la qualité et des avantages y relatifs est promue afin de garantir l’adhésion aux standards développés et de faciliter le processus de ré-accréditation. La protection du personnel et l’amélioration des conditions de travail, notamment en vue de réduire les risques de surmenage, figure également parmi les priorités actuelles.
La collaboration entre les différents acteurs locaux est également intensifiée, notamment entre les structures sanitaires et le secteur social et éducatif, ainsi que la concertation avec les municipalités, afin d’assurer la continuité des soins et contenir les coûts y relatifs.
Afin de garantir une meilleure coordination et une collaboration proactive avec les hôpitaux et cliniques psychiatriques,il est prévu de renforcer le système de référencement et la confiance mutuelle, dans un contexte où la désinstitutionalisation de la santé mentale rencontre encore une vive résistance.
Le projet a investi d’importantes ressources dans le renforcement des institutions chargées d’élaborer et de mettre en œuvre des programmes nationaux de prévention des troubles mentaux.
Les capacités de ces structures restent toutefois limitées, les activités fragmentées et la collaboration avec les centres de santé mentale plutôt occasionnelle. Par ailleurs, les actions promotionnelles et préventives menées par le personnel des centres en milieu communautaire ne s’inscrivent pas dans un cadre structuré et ne font pas l’objet d’une planification et d’un suivi adéquats.
Afin de renforcer les associations de patients, il est prévu de mieux les structurer et d’intensifier la collaboration avec les organismes faîtiers, associations professionnelles et institutions engagées dans la défense des droits des patients faisant l’objet de discrimination. Des possibilités d‘entreprenariat socialsont également explorées. Dans la mesure où les personnes souffrant de maladies mentales ont tendance à adopter des styles de vie à risque, des activités de sensibilisation en matière de consommation de tabac, d’alcool et de nourriture équilibrée seront également menées au sein des associations.
Jordanova, Kalina: Transmission of traumatic experiences in the families of war survivors from Bosnia and Herzegovina, UCL School of Slavonic and East European Studies, London, suvremene TEME, (2012.) god. 5., br. 1, CONTEMPORARY issues, (2012) Vol. 5, No. 1.
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