Une nouvelle approche de MdM pour améliorer l'égalité des chances en matière de santé pour les femmes

Avortement gratuit, légal et accessible. Pour tout le monde ?

De ​Stefania Paracchini et Joselyne Rivera

Parler de santé publique, c'est parler de droits sexuels et reproductifs; en parler, c'est parler du droit à l'autonomie corporelle et à la liberté de décision; parler de tout cela, c'est parler de l'intersectionnalité et des déterminants sociaux de la santé. Dans le cadre du projet santé-migration de Médecins du Monde Suisse au Mexique (MdM), nous cherchons à garantir le droit universel à la santé pour toutes et tous, y compris le droit à l’avortement. Afin de matérialiser cet objectif, l’analyse contextuelle est indispensable, car ce qui est compris comme un droit pour certains reste un privilège pour d'autres.

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Foto von Gayatri Malhotra auf Unsplash


Santé et Droits Sexuels et Reproductifs

En comprenant la santé comme un concept qui ne se limite pas à « l’absence de maladie », mais comme une équation complexe intégrant le "bien-être et l’équilibre dans toutes les sphères du fonctionnement humain : physique, social, mental, sexuel et reproductif" (OMS, 2006), les défis deviennent évidents. D’autant plus lorsqu’on aborde la question du choix de la maternité, qui englobe tous ces aspects, mais dont on parle peu, et sur lequel on intervient encore moins.

La santé et l'équité en matière de santé sont déterminées non seulement par des facteurs biologiques, mais plus encore par les conditions dans lesquelles les personnes naissent, grandissent, vivent et vieillissent. Ces conditions sont à leur tour déterminées par des facteurs structurels : la politique, l'économie, les lois, les normes sociales et culturelles, qui déterminent tous la répartition du pouvoir et des ressources.

Ce sont ces mêmes déséquilibres de pouvoir qui empêchent l'équité en matière de santé ; et en particulier en santé sexuelle et reproductive, le système patriarcal confine la sexualité des femmes à la reproduction et à l’hétérosexualité et considère la gestation comme une conséquence logique de la persécution des femmes qui mènent une vie sexuelle libre et épanouie. De ce fait, l’avortement n’est pas un simple acte médical, sinon un acte de désobéissance pour l'autodétermination des femmes, l’égalité de genre et la liberté de choix.

De ce fait, l’avortement n’est pas un simple acte médical, sinon un acte de désobéissance pour l'autodétermination des femmes, l’égalité de genre et la liberté de choix.

Migration au Mexique

Par ailleurs, lorsque l’on travaille sur une stratégie visant à garantir la santé et les droits sexuels et reproductifs et à contribuer à l'accès à l'avortement sécurisé pour les femmes et les personnes ayant la possibilité de gestation dans un contexte de mobilité, il faut également envisager les différents scénarios psychosociaux possibles, ainsi que les barrières additionnelles et les vulnérabilités croisées :

  • L’origine des grossesses qui peuvent résulter d'un viol subi sur la route migratoire, d'une exploitation sexuelle, d'une extorsion, d'une coercition, de la traite d’êtres humains.
  • L'accès aux services publics de santé sexuelle et reproductive pour des conseils en matière de contraception qui est limité en raison d’actes de xénophobie, de la violence institutionnelle, de la peur des usager.ères de fournir des informations personnelles et, dans de nombreuses situations, de la barrière de la langue, comme c'est le cas pour les personnes originaires d'Haïti, qui représentent actuellement le deuxième plus grand nombre de migrants entrant au Mexique.
  • Le logement, qui consiste le plus souvent en des campements informels dans des espaces insalubres ou même dans la rue, des refuges principalement gérés par des congrégations religieuses, ou la location de petites chambres que les personnes partagent dans des conditions qui n’assurent pas le respect de la vie privée.
  • La féminisation des soins déterminée par le système patriarcal qui prend la forme du « travail de soins non rémunéré des femmes », et qui, dans le contexte de migration, s'étend non seulement à la famille élargie mais aussi à toute la communauté en situation de mobilité, afin de garantir, entre autres, la protection des membres de leur propre famille.
  • Les coutumes et croyances culturelles lié à la sexualité et à la reproduction, le discours hétéronormatif et les lois et politiques discriminatoires des pays d’origine ainsi que de transition.
Photo: © Médecins du Monde <br>
Photo: © Médecins du Monde

Stratégie

La compréhension de tous ces défis qui empêchent l'équité dans la jouissance de la santé et des droits sexuels et reproductifs, et plus particulièrement ceux qui sont spécifiques à la situation migratoire, nous a amené à placer la santé sexuelle et reproductive comme axe prioritaire de notre projet santé et migration.

MdM-Suisse a choisi une intervention directe en fournissant une offre des soins holistiques pour rendre la santé sexuelle et reproductive accessible à toutes les personnes à partir de leurs besoins immédiats, travail qui nous permet en même temps de générer une base de données en nommant et en dignifiant chaque femme et personne enceinte qui décide révolutionnairement d'exercer leurs droits à l'autonomie.

Nous considérons ce dernier aspect nécessaire non seulement en termes de protocole de prise en charge, mais aussi comme le pilier fondamental sur lequel baser un système de santé réellement accessible à toutes et tous et adapté aux différents besoins de chaque individu. Ce n'est qu’ainsi que nous pourrons atteindre l'équité en matière de santé, où chacun.e sera en mesure de réaliser son plein potentiel santé et bien-être, tout en gardant ses spécificités individuelles.

MdM-Suisse a choisi une intervention directe en fournissant une offre des soins holistiques pour rendre la santé sexuelle et reproductive accessible à toutes les personnes à partir de leurs besoins immédiats, travail qui nous permet en même temps de générer une base de données en nommant et en dignifiant chaque femme et personne enceinte qui décide révolutionnairement d'exercer leurs droits à l'autonomie.

Notre modèle, en cours d’opérationnalisation, se compose de plusieurs indicateurs et outils de mesure ainsi que d’une guide technique adapté :

  • Recrutement : tous les membres de l’équipe de MdM sont recrutés sur la base d'un principe strict : « être pro-choix ». En d'autres termes, lors de chaque entretien d’embauche, nous mettons en exergue la vision de MdM concernant le travail prioritaire sur l'avortement et seuls ceux qui partagent ce principe pro-choix peuvent être sélectionnés.
  • Formation continue : dans le cadre du processus d'intégration, les lignes directrices relatives à l'avortement sécurisé sont communiquées à l'ensemble de l'équipe, et pas seulement aux médecins. En outre, des moments spécifiques sont réservés aux mises à jour et à la sensibilisation afin de garantir un accompagnement respectueux et informé.
  • Psychoéducation et plaidoyer : des échanges structurés sur les droits reproductifs dans le cadre du travail de promotion de la santé. Cette année, une table ronde, à laquelle a participé 15 femmes d'âges, de nationalités et de contextes migratoires différents autour du "droit de décider", a été un événement décisif dans les projections et les affirmations sur la nécessité de créer des espaces sûrs pour le dialogue et les soins cliniques, comme celui que nous sommes en train de renforcer. C’est en écoutant toutes les participantes, en partageant de manière hétérogène avec des femmes qui étaient "contre" l'avortement, que nous avons finalement atteint un consensus selon lequel aucune femme ne devrait avoir à accoucher sans le vouloir, et encore moins mourir d'une pratique cruelle et lucrative.
  • Code vert : En interne, dans le cadre de notre modèle de soins (mobiles), nous nous tenons toujours prêts à canaliser les demandes d’avortement quel que soit le poste occupé: chauffeur, infirmière, promotrice de la santé, psychologue, médecin, coordinatrice. La personne qui reçoit la demande de l'usagère, informe l'équipe que nous avons un "code vert", ce qui nous permet de prioriser ce cas, étant donné que dans un contexte aussi restrictif, en plus de la mobilité constante, il se peut que le retard conduise la femme ou la personne ayant une possibilité de grossesse à renoncer à demander une aide pour ce service.
  • Référent inter-institutionnel : nous sommes actuellement le point de référence pour diverses ONG internationales travaillant dans la région. Les organisations peuvent nous référer des personnes qui, au cours d'une intervention, mentionnent leur désir d'interrompre leur grossesse.

C’est en écoutant toutes les participantes, en partageant de manière hétérogène avec des femmes qui étaient "contre" l'avortement, que nous avons finalement atteint un consensus selon lequel aucune femme ne devrait avoir à accoucher sans le vouloir, et encore moins mourir d'une pratique cruelle et lucrative.

Guide technique opérationnel

Notre protocole actuel pour l'avortement suit les « lignes directrices techniques pour la prise en charge de l’avortement sécurisé au Mexique » (Gobierno de Mexico, 2022) et les mises à jour de la « Fédération internationale de gynécologie et d'obstétrique » (Mifepristone & Misoprostol Dosing Chart, 2023).

Après avoir recueilli les antécédents médicaux afin d'identifier les contre-indications à l'avortement médicamenteux, nous fournissons à l’usagère des conseils, des informations et le kit complets afin qu'elle puisse effectuer le processus de manière autonome, accompagnée à distance par nos soins, comme le recommande l'OMS dans ses dernières lignes directrices (OMS, 2022).

Nous disposons également d'un échographe portable pour effectuer, lorsque nécessaire, un examen rapide qui nous permet d’identifier approximativement l'âge gestationnel et d'exclure d'éventuelles grossesses extra-utérines.

Après avoir recueilli les antécédents médicaux afin d'identifier les contre-indications à l'avortement médicamenteux, nous fournissons à l’usagère des conseils, des informations et le kit complets afin qu'elle puisse effectuer le processus de manière autonome, accompagnée à distance par nos soins, comme le recommande l'OMS dans ses dernières lignes directrices.

Cas accompagnés

Au cours des quatre derniers mois, quatre accompagnements à l'avortement sécurisé ont été menés avec succès :

  • Une femme nullipare de 24 ans, originaire du Honduras, métisse, requérante d’asile, qui avait été violée sur la route migratoire.
  • Une femme de 29 ans, originaire du Honduras, métisse, requérante d’asile, mère de deux enfants, dont le désir de grossesse est satisfait, qui a décidé d'interrompre sa grossesse car, selon elle, " un enfant la lierait à son partenaire actuel, qui exerce des violences à son encontre ". Après un accompagnement complet de la part de l’équipe médicale de MdM, elle a été réorientée vers notre service de gestion de cas de violence de genre et elle a reçu la protection nécessaire.
  • Une femme de 27 ans, originaire du Honduras, métisse, requérante d’asile, qui craint de dire à son partenaire qu'elle est enceinte.
  • Une fille de 15 ans, originaire du Honduras, métisse, requérante d’asile, qui demande également que ses tuteurs ne soient pas informés de son état et de sa décision.

« Celui qui ne bouge pas ne sent pas ses chaînes ». Rosa Luxemburg.

Tous ces cas confirment l'information partagée ci-dessus : le discours de désobéissance.

Pour ces femmes en effet, les soins prodigués n'étaient pas seulement la délivrance d'une ordonnance, mais la validation de leurs décisions et donc la mobilisation nécessaire pour desserrer leurs chaînes et, en cascade, celles des autres. L’avortement devient ainsi un moyen pour la réaffirmation de soi, de leur valeur en tant que personne, et pour la réappropriation de sa propre identité, éraillée par toutes les épreuves liées à la migration.

Pour ces femmes en effet, les soins prodigués n'étaient pas seulement la délivrance d'une ordonnance, mais la validation de leurs décisions et donc la mobilisation nécessaire pour desserrer leurs chaînes et, en cascade, celles des autres.

C'est pourquoi, depuis le projet santé-migration de MdM au Mexique, nous continuons et continuerons à travailler pour que le droit de décider soit pour toutes et tous, pour que la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs ne soit pas seulement une priorité théorique mais aussi pratique dans l'agenda politique de la santé publique, et pour que l'intersectionnalité et la pertinence culturelle accompagnent tous les processus de création, de conception et de mise en œuvre.

Nous savons que la route est encore longue et nous sommes conscients que la collectivité est le moyen de se reconnaître, de se soigner et de s'accompagner mutuellement ; nous continuons également à travailler au renforcement des systèmes de santé publique, à la formation et à la sensibilisation du personnel de santé aux droits humains et à l'avortement, ainsi qu'à la volonté de chacune des personnes impliquées dans la prise de décision.

« L'éducation sexuelle pour décider, la contraception pour éviter l'avortement, l'avortement sécurisé pour éviter la mort ».
Slogan féministe populaire.


Références
​Stefania Paracchini
Stefania Paracchini, MPH , Référente Santé et Droits Sexuels et Reproductifs, Médecins du Monde Suisse et Belgique, Bruxelles. Email
 Joselyne Rivera
Dr. Joselyne Rivera, MD , Coordinatrice du projet santé et migration, Médecins du Monde Suisse, Mexique.