Le travail essentiel mais peu reconnu des promoteurs de santé au Chiapas en 2022

Après la pandémie, les cartels de la drogue s’installent - Les promoteurs de la santé dans un contexte difficile

De Dr Bernard Borel

J’ai eu le privilège de partager pendant trois semaines la vie et le travail de l’ONG Madre Tierra Mexico (MTM), soutenue par la Fédération genevoise de coopération (FGC), au travers d’un projet présenté par la Centrale Sanitaire de Suisse Romande (CSSR). Pour situer en deux mots la situation, le Mexique espère, tout comme la Suisse, sortir de la pandémie et vient de rouvrir ses écoles officiellement après deux ans de fermeture. Mais le Chiapas est depuis huit mois le théâtre d’une prise de contrôle de territoire par les narco-trafiquants, ce qui fait que, dans de nombreuses zones rurales, surtout celles proches de la frontière avec le Guatemala, les enseignants n’ont pas repris leur poste à cause de l'insécurité que cela crée et les enfants continuent sans école. Belastungen, die auch die Arbeit der Gesundheitpromotor:innen enorm herausfordern.

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Après la pandémie, les cartels de la drogue s’installent - Les promoteurs de la santé dans un contexte difficile
Un promoteur de santé prend la pression lors d'une campagne organisée par Madre Tierra Mexico. Photo : © Madre Tierra Mexico


Avec la pandémie, les programmes de vaccination (comme les autres programmes verticaux) ont été très erratiques si bien que de nombreux enfants ont des schémas vaccinaux incomplets. Il y a donc actuellement un désert éducatif et sanitaire public dans la plus grande partie du Chiapas, alors que les niveaux de pauvreté sont incroyables pour un pays qui regorge de ressources. C'est dans ce contexte difficile que les promoteurs de santé travaillent : ils sont les seuls à être en lien avec les communautés rurales dont ils sont issus et où ils continuent souvent de vivre. Au risque de leur intégrité physique : le 30 avril 2 promoteurs chevronnés et leur fille ont été victime d'une odieuse agression de la part de narco-trafiquants, avec des uniformes de la polices !1


Madre Tierra Mexico comme facilitatrice du travail des promoteurs

En l'occurrence, MTM les forment et les supervisent, essentiellement sur des thèmes de promotion de la santé et de prévention des maladies : ils veillent à la bonne construction de latrines sèches (permettant de récupérer les excréments et l'urine, comme fertilisants) et de fours à bois fermés, qui évitent que les femmes et les petits enfants vivent dans des fumées passives nocives. Avec leurs collègues de permaculture, ils incitent, au travers de parcelles démonstratives communautaires, à ce que chaque famille fasse son jardin potager et plante quelques arbres fruitiers pour diversifier l'alimentation. Encore faut-il que le problème de l'eau soit résolu, ce qui est loin d'être le cas. Parfois, il y a à peine de l'eau pour boire et pas vraiment potable, et donc l'hygiène corporelle est difficile. MTM, actuellement, essaie, pour chaque communauté où elle intervient, de trouver avec la communauté un accès facilité à l'eau, en créant un puits profond ou en puisant de l'eau dans une rivière proche et en installant des filtres à eau très simples.

Un four fermé pour éviter les risques de maladies pulmonaires dues aux fumées passives des feux ouverts encore si répandus au Chiapas: c'est bon pour la santé et utilise moins de bois! Photo : © Madre Tierra Mexico<br>
Un four fermé pour éviter les risques de maladies pulmonaires dues aux fumées passives des feux ouverts encore si répandus au Chiapas: c'est bon pour la santé et utilise moins de bois! Photo : © Madre Tierra Mexico

En effet, ces quelques apports basiques et pourtant si importants correspondent à des changements de pratiques. Et rien n'est simple, c'est pourquoi le promoteur visite régulièrement les maisons : il rappelle le bon usage des latrines, du four (parfois encore trop délaissé pour le feu à même le sol), rappelle l'importance du jardin potager pour diversifier l'alimentation. C'est encore la communauté organisée qui parfois s'occupe de la culture de champignons, de la pisciculture ou encore d’un poulailler collectif : sans promoteur, choisi par les gens locaux, cela serait très difficile. Le promoteur profite aussi des réunions régulières des responsables communaux pour rappeler les principes d'hygiène personnelle et de l'espace public, mais aussi sur la nocivité des boissons industrielles type Coca-Cola : il faut dire que le Chiapas a le triste record de la quantité de ces boissons bues qui va de pair au record de personnes diabétiques.

Et rien n'est simple, c'est pourquoi le promoteur visite régulièrement les maisons : il rappelle le bon usage des latrines, du four (parfois encore trop délaissé pour le feu à même le sol), rappelle l'importance du jardin potager pour diversifier l'alimentation.
Le percement d'un puit profond dans un village du Chiapas, fait grâce à la coopération suisse et réalisé par Madre Tierrs Mexico: Enfin le problème de l'eau se résoud! Photo: © Madre Tierra Mexico<br>
Le percement d'un puit profond dans un village du Chiapas, fait grâce à la coopération suisse et réalisé par Madre Tierrs Mexico: Enfin le problème de l'eau se résoud! Photo: © Madre Tierra Mexico

L'organisation de la communauté ou la démocratie participative

Mais là encore, c'est le travail collectif, stimulé par le promoteur, qui est essentiel. Il permet de consolider l'organisation communautaire. Le promoteur la favorise et peut compter sur son soutien dans une relation horizontale. C'est un vrai exercice de démocratie participative, et rien ne se fait sans l'approbation communautaire , même si le processus peut prendre son temps.

C'est un vrai combat de faire reconnaître ce travail, comme la porte d'entrée d'un système de santé : on en est encore loin ! En attendant, leur rémunération hélas n'est assurée que par les ONG comme MTM, et donc la pérennité de leur travail est très fragile.

Une journée avec une promotrice

Ce matin-là, on se retrouve vers 8h avec la promotrice de santé de la communauté « Albores de Zapata », dans la région frontière du Chiapas. On profite de la présence de la coordinatrice pour la région de la formation de l'ONG Madre Tierra Mexico (MTM) pour faire une visite de maison en maison pour voir comment fonctionnent les toilettes sèches, le four à bois fermé et le filtre à eau. Dans chaque famille, la promotrice demande s'il y a des problèmes puis révise les installations. Dans une maison, on nous dit que le filtre à eau ne fonctionne plus depuis 1 mois : c'est l'occasion de rediscuter de sa maintenance, et de réexpliquer comment effectuer le nettoyage et l'importance de le faire régulièrement et quelques minutes plus tard, l'eau filtrée coule à nouveau.

Ailleurs, la promotrice observe qu'ils utilisent probablement trop de chaux pour les toilettes sèches, là où la terre et les cendres seraient tout aussi utiles et sans coût, ou le tuyau qui relie la cuvette à l'extérieur et récupère l'urine est à l'air libre : c'est l'occasion de rappeler qu'il est préférable de l'enterrer pour éviter les mauvaises odeurs ou mieux de récupérer les urines dans un bidon et ainsi les utiliser comme fertilisants organiques. Plus loin, on nous explique les problèmes avec la cheminée du four, trop fragile et qui a du être changée déjà 2 fois ou la plaque qui s'est incurvée avec le temps et fonctionne moins bien. Il s'en suit une discussion car c'est un problème récurrent sur les premiers fours installés et une amélioration technique est en cours d'évaluation : une solution sera apportée d'ici 1 ou 2 mois peut rassurer la coordinatrice du programme. Ailleurs encore, cette mère de famille dit utiliser le four surtout pour faire les tortillas, mais continue à utiliser un feu ouvert pour le reste. Il s'en suit un long échange sur la nocivité des fumées et le bienfait d'utiliser au maximum le four. Tout cela dans la bonne humeur, sans jugement. Et c'est aussi l'occasion de féliciter l'une ou l'autre des familles pour les quelques arbres fruitiers plantés ou le petit jardin potager cultivé dans sa petite parcelle de terrain et de se réjouir ensemble que le problème de l'accès à l'eau sera résolu avec le puits profond en cours de construction !

L'après-midi le responsable de la communauté invite les enfants à se réunir sur la place du village. Une quarantaine d'entre eux arrivent et la promotrice va les mesurer et les peser et vérifier la dentition. Elle profite de faire un atelier participatif sur l'importance de se laver les mains et les dents dans une ambiance très ludique et assez informelle.

Le soir, lors d'une assemblée du village, la promotrice rend compte de ses observations et profite de faire passer encore quelques messages de promotion de la santé dans un esprit positif et rappelant comment l'accès à l'eau facilité par le puits devrait encore permettre de permettre à tous de vivre mieux. Et de rappeler que les boissons sucrées gazeuses -chères mais si facilement accessibles-, devraient être évitées et remplacées par desjus de fruits naturels...provenant des arbres de leurs parcelles.

Photo : © Madre Tierra Mexico
Photo : © Madre Tierra Mexico


Un travail encore peu reconnu

Lourdes tâches, faites dans un contexte d'insécurité. Tout déplacement est risqué et c'est pourquoi l'Etat n'envoie plus de personnel. Et pourtant ces promoteurs, malgré une formation de plus en plus formalisée, ne sont pas titularisés ni reconnus par l'Etat (tout comme les sage-femmes, seuls les médecins étant reconnus comme professionnels de l'obstétrique au Mexique). C'est un vrai combat de faire reconnaître ce travail, comme la porte d'entrée d'un système de santé : on en est encore loin ! En attendant, leur rémunération hélas n'est assurée que par les ONG comme MTM, et donc la pérennité de leur travail est très fragile.

Footnote
  1. Communiqué de presse CSSR et MTS : https://css-romande.ch/chiapas/

 Dr Bernard Borel
Dr Bernard Borel, MPH, pédiatre FMH, membre de la commission technique de la FEDEVACO et du comité de E-Changer, ancien président de MDM Suisse, ancien coopérant au Nicaragua (1980-1990).