De Agenor Junior Clerge et Monika Christofori-Khadka
Malgré les avancées en matière de santé et droits sexuels et reproductifs (SDSR) au niveau mondial, des lacunes importantes subsistent. C’est notamment le cas en ce qui concerne l’éducation complète à la sexualité, l’accès à la contraception, le dépistage et le traitement des infections sexuellement transmissibles, les services d’avortement sans risque et la prévention des violences sexuelles et basées sur le genre (VSBG). Bien que les taux de mortalité maternelle et infantile aient considérablement diminué dans le monde, l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2024) estime que 800 femmes meurent encore chaque jour de causes évitables liées à la grossesse. Et que 99 % de ces décès surviennent dans des environnements à faible revenu, en particulier au sein de communautés rurales et marginalisées. Les crises humanitaires ne font qu’exacerber ces disparités.
En effet, dans un tel contexte, les femmes et les filles sont encore plus privées des droits fondamentaux en matière de SDSR. Les conséquences sont désastreuses. Des études ont montré qu’en cas de crise humanitaire, on assiste à une augmentation des taux de grossesses non désirées, d’avortements pratiqués dans des conditions dangereuses, de violences sexuelles et basées sur le genre, d’infections sexuellement transmissibles (y compris le VIH), de complications liées à la grossesse et à l’accouchement, de fausses couches, d’enfants mort-nés, de mortalité et de morbidité maternelles et néonatales (UNFPA, 2022).
Bien que les SDSR constituent un aspect essentiel des interventions humanitaires, ils sont souvent négligés en situation de crise. Historiquement, les organisations humanitaires se concentrent plutôt sur les besoins immédiats (abris, nourriture et soins médicaux pour lutter contre les maladies infectieuses), négligeant souvent les besoins spécifiques des populations touchées en matière de services de santé sexuelle et reproductive (SSR). En 2020, l’UNFPA a lancé le Dispositif Minimum d’Urgence (DMU) pour la SSR (UNFPA, 2020), que l’on retrouve dans le Manuel de terrain du Groupe interorganisations sur la santé reproductive en situations de crise humanitaire (IAWG, 2018). Il est intégré dans les normes et mécanismes de financement existants pour les interventions humanitaires, notamment le manuel Sphère (Sphere, 2018) et le Fonds central pour les interventions d’urgence. Cependant, lors de crises humanitaires, les ressources restent souvent concentrées sur l’urgence immédiate, entraînant une réduction de celles allouées aux programmes de SSR et d’éducation à la SSR. Les SDSR étant reconnus comme un droit humain fondamental, il devient urgent de répondre aux besoins des femmes et des filles, des hommes et des garçons dans les situations de crises humanitaires et de migration.
Bien que les SDSR constituent un aspect essentiel des interventions humanitaires, ils sont souvent négligés en situation de crise. (...) Les SDSR étant reconnus comme un droit humain fondamental, il devient urgent de répondre aux besoins des femmes et des filles, des hommes et des garçons dans les situations de crises humanitaires et de migration.
Dans les
situations d’urgence que sont les catastrophes naturelles, les conflits armés
et les pandémies, l’importance de l'accès aux services de SSR est amplifiée,
pour plusieurs raisons impérieuses :
Pour préserver la santé et les droits des populations touchées, les stratégies ciblées doivent garantir l’inclusion et l’accessibilité des services de SDSR, en y intégrant une formation des prestataires de soins de santé leur permettant de répondre avec discernement aux besoins spécifiques des différents groupes. L’adoption de pratiques fondées sur des données probantes dans des contextes stables peut contribuer à améliorer les SDSR des réfugiés et personnes déplacées en période de crise humanitaire. Pour garantir les SDSR dans les situations d’urgence, il ne suffit pas de préserver la santé. Il faut aussi défendre les droits et l’autonomie des personnes dans leurs choix en matière de procréation.
Outre les normes de santé reproductive dans les situations humanitaires, le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030 inclut également la fourniture de services de SSR en tant que composante essentielle du renforcement de la résilience des personnes et des communautés.
La prise en compte des SDSR est indispensable non seulement lors des interventions sanitaires, mais aussi dans la mise en place d’infrastructures dans les camps, telles que les abris, les espaces sécurisés, l’accès à l'eau et aux installations sanitaires, ainsi que pour l’emplacement des distributions d’aides. Pour prévenir les VSBG, les latrines doivent être proches du lieu de vie des femmes et des filles, et bien éclairées la nuit. Les camps doivent disposer de bonnes infrastructures d’éclairage sur les routes et les chemins. Les distances entre les abris et les points de distribution d’eau et d’aides doivent être courtes. L’infrastructure des camps doit permettre l’accès des ambulances en cas d’urgences obstétriques ou autres.
Une bonne collaboration entre les différents acteurs humanitaires est essentielle pour répondre aux besoins en matière de SDSR de manière intégrée, et pour minimiser dès le départ d’éventuelles conséquences négatives.
L’adoption de pratiques fondées sur des données probantes dans des contextes stables peut contribuer à améliorer les SDSR des réfugiés et personnes déplacées en période de crise humanitaire. Pour garantir les SDSR dans les situations d’urgence, il ne suffit pas de préserver la santé. Il faut aussi défendre les droits et l’autonomie des personnes dans leurs choix en matière de procréation.
La prise en compte des SDSR est indispensable non seulement lors des interventions sanitaires, mais aussi dans la mise en place d’infrastructures dans les camps, telles que les abris, les espaces sécurisés, l’accès à l'eau et aux installations sanitaires, ainsi que pour l’emplacement des distributions d’aides.
Les SDSR couvrent un large éventail de questions, dont le droit de prendre des décisions éclairées concernant son corps et sa santé reproductive, sans violence, ni discrimination, ni coercition. L’accès à une éducation complète à la sexualité, à la contraception, à des services d’avortement sans risque, à des soins de santé maternelle et à la prévention des IST est essentiel au respect de ces droits.
Même si les organisations humanitaires s’efforcent de créer des services de SSR fonctionnels ainsi qu’un environnement propice protégeant les femmes et les filles, les hommes et les garçons de la violence sexuelle, il leur est quasiment impossible de faire respecter le « droit de prendre des décisions éclairées concernant son corps et sa santé reproductive, sans violence, ni discrimination, ni coercition ».
Les pays signent les Conventions de Genève, mais le respect de ces principes se détériore. La diplomatie humanitaire est plus importante que jamais. En outre, les lacunes en matière de SDSR découlent souvent de barrières socioculturelles et juridiques, qui sont devenues de plus en plus restrictives dans de nombreux pays au cours de la dernière décennie. Alors que cela souligne la nécessité d’une action urgente pour promouvoir et protéger ces droits dans les contextes humanitaires, favorisant ainsi la santé, la justice sociale et le bien-être en général, les acteurs humanitaires sont confrontés au défi de trouver les bons points d’entrée pour garantir les SDSR dans les situations d’urgence, afin de ne pas compromettre leur légitimité générale à aider les populations dans ces moments-là.
Même si les organisations humanitaires s’efforcent de créer des services de SSR fonctionnels ainsi qu’un environnement propice protégeant les femmes et les filles, les hommes et les garçons de la violence sexuelle, il leur est quasiment impossible de faire respecter le « droit de prendre des décisions éclairées concernant son corps et sa santé reproductive, sans violence, ni discrimination, ni coercition ».
On ne saurait trop insister sur le besoin urgent de services complets en matière de SDSR en cas de crises à venir. En les intégrant dans les cadres de préparation et de réponse aux situations d’urgence, les organisations humanitaires peuvent soulager la détresse et défendre les droits, la dignité et la santé des communautés touchées. Malgré les progrès accomplis depuis l’accord du Caire (UNFPA, 1994), la communauté internationale doit encore respecter son engagement en faveur d’un accès équitable à des services de SDSR de qualité dans un environnement de plus en plus difficile.
En tant que signataire de l’accord du Caire et pays d’origine de la Convention de Genève (ICRC,1949), la Suisse peut jouer un rôle crucial dans l’amélioration de l’accès aux SDSR dans les situations d’urgence. En sensibilisant l’opinion publique, en mobilisant des ressources et en faisant preuve de leadership via des financements et des actions de mobilisation, le pays a le potentiel pour contribuer de manière significative à une réponse humanitaire plus équitable et plus solide, garantissant l’accès aux services essentiels en matière de SDSR, tout en utilisant la diplomatie humanitaire pour faire respecter les Conventions de Genève. Grâce à des efforts concertés, nous pouvons œuvrer pour tenir la promesse d’un accès universel aux SDSR pour toutes et tous, en particulier lorsque ces personnes sont les plus vulnérables.
On ne saurait trop insister sur le besoin urgent de services complets en matière de SDSR en cas de crises à venir.