Combattre la « pandémie silencieuse » de la résistance aux antimicrobiens : ressortez les casseroles et les poêles
Foto von Clem Onojeghuo auf Unsplash


Programme global de recherche de l’OMS : un manuel pratique pour agir

En juin 2023, l’OMS a publié un programme mondial de recherche (WHO, 2023) avec quarante priorités, onze domaines et cinq thèmes. Il s’agit essentiellement d’un manuel pratique dont le but est de susciter des propositions de recherche concrètes, susceptibles d’être financées par des donateur∙rices, pouvant être mises en œuvre dans différents contextes économiques et axées sur des agents pathogènes identifiés comme prioritaires par l’OMS. L’objectif est de guider les décideurs et décideuses politiques, les chercheur∙ses, les donateur∙rices, les organismes chargés de la mise en œuvre, l’industrie et la société civile dans la collecte de données probantes en vue d’efforts collectifs visant à endiguer la RAM chez l’humain. En se basant sur l’analyse de 3000 documents publiés au cours des dix dernières années, les expert∙es ont classé par ordre de priorité 2000 manques de connaissances et ont défini 40 thèmes de recherche cruciaux. Ce classement permet de répondre aux préoccupations selon lesquelles la multitude d’interventions possibles risquait sans cela, de paralyser l’action (Wellcome, 2020).

OMS (2023) : Programme mondial de recherche sur la résistance aux antimicrobiens dans la santé humaine, Note de politique générale

Priorités de recherche sur la résistance aux antimicrobiens

Graphique : © Organisation mondiale de la santé 2023; CC BY-NC-SA 3.0 IGO<br>
Graphique : © Organisation mondiale de la santé 2023; CC BY-NC-SA 3.0 IGO


Éléments manquants : financement et visibilité

Cela va-t-il fonctionner ? Les expériences passées rappellent que le défi majeur essentiel sera celui du financement. En 2015, l’OMS a publié l’approche « Une seule santé » pour lutter contre la RAM, dans laquelle le G7, le G20 et d’autres pays sont engagés. Celle-ci regroupe les secteurs de la médecine humaine et vétérinaire, de l’agriculture et de l’environnement. En septembre 2023, l'Organisation de coopération et de développement économiques (l'OCDE) a publié une note de politique générale intitulée « Embracing a One Health Framework to Fight Antimicrobial Resistance » (Adopter une approche « Une seule santé » pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens) (OECD, 2023). Son constat : les programmes nationaux de lutte contre la RAM ne sont pas financés, « seule une partie d’entre eux prévoient des dispositions financières pour la mise en œuvre de leurs plans ». Il est de notoriété publique que convaincre les décideur∙ses politiques de financer la lutte contre une menace invisible à évolution lente est difficile. Les parallèles avec le changement climatique sont évidents.

Il s’agit là d’un obstacle majeur à surmonter : cela nécessite des structures de financement à long terme avec une gouvernance indépendante de la politique intérieure à court terme. Pour convaincre celles et ceux qui tiennent les cordons de la bourse, l’OCDE a établi une base de données probantes qui démontre les coûts macroéconomiques de l’inaction ainsi que l’impact sur la main-d’œuvre. L’accessibilité financière d’un ensemble regroupant les politiques hospitalières, communautaires et mixtes est mise en évidence, en démontrant que ces dernières seront capables de s’autofinancer. Sept des onze interventions modélisées coûtent moins d’un dollar par habitant et par an, avec un retour sur investissement de 2,3 à 24,6 %. La Suisse pourrait être l’un des principaux bénéficiaires des économies réalisées sur les coûts des soins de santé et de l’amélioration de la productivité.

Son constat : les programmes nationaux de lutte contre la RAM ne sont pas financés, « seule une partie d’entre eux prévoient des dispositions financières pour la mise en œuvre de leurs plans ».

OCDE (2023): Adopter une approche « Une seule santé » pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens

Schéma 6. Mettre en œuvre un ensemble d’interventions mixtes présente des avantages sanitaires et économiques cinq fois plus importants que les coûts de mise en œuvre

Source: OECD 2023, Adopter une approche « Une seule santé » pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens. https://doi.org/10.1787/ce44c755-en
Source: OECD 2023, Adopter une approche « Une seule santé » pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens. https://doi.org/10.1787/ce44c755-en


Quel rôle pour la Suisse ?

Les gouvernements, en particulier dans les pays à hauts revenus, doivent maintenant apporter les éléments manquants. La Suisse a beaucoup à offrir. Ayant adopté très tôt les approches « Une seule santé » sur le territoire national, elle peut partager son expertise dans le cadre d’exercices de « jumelage » avec les pays commençant tout juste à les mettre en œuvre. En matière de prévention et de contrôle des infections et de l’hygiène des mains, la Suisse dispose d’une expertise technique mondiale de pointe et d’un centre collaborateur OMS des Hôpitaux Universitaires de Genève, ainsi que d’une expérience de surveillance nationale au sein d’ANRESIS et de Swissnoso.

À Bâle, un écosystème a été développé avec des universités, des start-ups, des décideuses et décideurs politiques et des agences de l’innovation. Il gère des programmes de recherche multidisciplinaires alignés sur le programme de l’OMS. Les entreprises biopharmaceutiques suisses poursuivent leurs recherches sur les traitements et les diagnostics. Elles ont été rejointes à Bâle par l’AMR Action Fund (Fonds d’action contre l’antibiorésistance), un partenariat public-privé d’un milliard de dollars destiné à favoriser la mise au point de nouveaux antibiotiques.

La Suisse a beaucoup à offrir. Ayant adopté très tôt les approches « Une seule santé » sur le territoire national, elle peut partager son expertise dans le cadre d’exercices de « jumelage » avec les pays commençant tout juste à les mettre en œuvre.

Une menace invisible : connue aussi sous le nom de « pandémie silencieuse »

Le deuxième défi majeur reste toutefois celui de l’invisibilité. Alors que des vies et l’économie mondiale sont en danger, pourquoi qualifie-t-on souvent cette menace sanitaire mondiale majeure de « pandémie silencieuse » (Rayan RA, 2023) ? Outre le financement insuffisant, nous n’avons pas convaincu non plus les dirigeants politiques, ni le grand public de l’urgence de la situation. La pandémie de RAM est à l’opposé de celle du Covid-19 durant laquelle des masques et des affiches de prévention étaient bien visibles au quotidien dans les rues du monde entier. Les conséquences humaines de la RAM sont invisibles aux yeux du grand public. Les décès ne sont pas imputables à une maladie identifiée, mais à l’échec des traitements. Le manque de diagnostics pertinents empêche les infections résistantes d’être recensées. Le fait de qualifier la pandémie de « silencieuse » lui donne presque une excuse pour rester cachée.

Outre le financement insuffisant, nous n’avons pas convaincu non plus les dirigeants politiques, ni le grand public de l’urgence de la situation.
Pexels Photo de Rosemary Ketchum: https://www.pexels.com/de-de/foto/menschen-die-sich-auf-der-strasse-versammeln-1464223/
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Rompre le silence : faire résonner à nouveau les casseroles et les poêles de la pandémie

Les ensembles de mesures proposés par l’OMS et l’OCDE soulignent la nécessité d’améliorer la communication avec le public. Pour susciter l’attention, accroître la visibilité et débloquer des fonds, il faudrait peut-être que celui-ci envisage de taper à nouveau bruyamment sur des casseroles, à l’échelle mondiale, comme il l’a fait pendant la pandémie de Covid-19. Ce serait cette fois pour soutenir les travailleur∙ses de santé se trouvant en première ligne face à la RAM. Le nouveau programme de recherche est un « appel à l’action ». Compte tenu de la charge plus lourde et des besoins différents de la lutte contre la RAM dans les systèmes de santé à faibles ressources, il contient des de recommandations adaptées. Au cours des trois derniers mois, l’OMS a fourni le manuel pratique et l’OCDE l’analyse coûts-bénéfices. Dans l'idéal, les économies réalisées sur les coûts des soins de santé et les bénéfices en termes de productivité devraient servir à financer le programme de recherche. Financement et visibilité sont des éléments essentiels pour que la réponse soit efficace cette fois-ci.

Pour susciter l’attention, accroître la visibilité et débloquer des fonds, il faudrait peut-être que celui-ci envisage de taper à nouveau bruyamment sur des casseroles, à l’échelle mondiale, comme il l’a fait pendant la pandémie de Covid-19.

Le Global Health Centre (GHC) est l’un des centres de recherche de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) consacré à la gouvernance globale de la santé.


Références

Nadya Wells
Nadya Wells, Senior Research Advisor, Global Health Centre, Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID). Nadya est une professionnelle expérimentée en matière d’investissement. Sa passion est de jeter des ponts pour faciliter l’augmentation du financement de la santé globale. Elle travaille actuellement sur le projet FINPHARM, financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Il consiste à explorer l’impact de la financiarisation sur la santé globale par le biais d’une série d’études de cas pharmaceutiques. Elle y dirige les travaux sur la résistance aux antimicrobiens (RAM). Email