De Jörg Arnold
Pour bon nombre d’organisations de coopération au développement, la «décolonisation» est un sujet difficile. Il fait appel à leur capacité à l’autocritique et la question de la légitimité de leur propre action se pose rapidement. Néanmoins, elles sont appelées à prendre part au débat.
Les organisations de développement débattent de «decolonizing aid». La politique planche sur l’aménagement de sa coopération avec les pays du Sud et examine (enfin) le passé colonial. Les entreprises internationales sont de plus en plus tenues responsables de leur comportement au niveau mondial. Ce sont là les premiers pas sur le chemin vers un monde juste et inclusif.
Mais le chemin est encore long et, en rapportant la décolonisation uniquement au passé, nous choisissons la facilité. La «décolonisation» exige que nous réfléchissions en général aux structures de pouvoir avec lesquelles les États, les entreprises mais également les communautés religieuses charismatiques ou les organisations de développement poursuivent leurs intérêts économiques, idéologiques et moraux dans les pays du Sud. En effet, structures coloniales n’ont pas pris fin avec l’indépendance des colonies. Les mécanismes de contrôle, d’influence et d’exploitation, mus par des intérêts particuliers, ne sont peut-être plus aussi manifestes aujourd’hui qu’ils ne l’étaient à l’époque historique du colonialisme – et les acteurs sont différents. Néanmoins, structures de pouvoir et intérêts de domination ont perduré tout comme les moyens de leur mise en œuvre avec tout le registre de violence, de discrimination, de dépendance, de promesse de salut et de charité.
Structures coloniales n’ont pas pris fin avec l’indépendance des colonies. (...) Structures de pouvoir et intérêts de domination ont perduré tout comme les moyens de leur mise en œuvre avec tout le registre de violence, de discrimination, de dépendance, de promesse de salut et de charité.
Le colonialisme n’a pas seulement à voir avec l’exploitation de ressources naturelles ou la réorganisation imposée de systèmes économiques pour sécuriser les marchés. Outre cette dimension économique, le colonialisme est également associé à la dévalorisation culturelle et la contrainte à l’assimilation culturelle. Que le soulèvement violent des jeunes Français dans les villes de France s’explique, comme l’écrivait récemment le Neue Zürcher Zeitung (Gujer, E. 2023), par les «traditions de faible niveau d’éducation des pays d’origine» et que, dans le même élan, l’appel au respect de la «culture dominante» se renforce, exprime de façon anecdotique l’importance de la dimension culturelle des modèles de pensée coloniaux persistants.
La dépossession culturelle est un moyen efficace de long terme d’assurer la domination. Quiconque est qualifié de manière diffamatoire et récurrente, dans sa vie professionnelle et personnelle, dans les photos ou dans les textes, de « peu éduqué », semeur de désordre, attardé, non-croyant, violent, paresseux et de mœurs légères, dont la culture est cataloguée de «sous-culture» ou n’a d’importance que comme objet de recherche ethnologique, ressent, en tant qu’être humain, de la déconsidération et, en tant que membre de la société, de la violence structurelle. Concrètement, cela se traduit par des perspectives de vie moindres pour les individus et des ressources moindres pour les économies nationales. Ce faisant, la communication visuelle est un instrument puissant de perpétuation des stéréotypes d’exclusion (Arnold, J. 2023). Car, avec les images, les idées deviennent concrètes et les opinions réalité.
Le colonialisme n’a pas seulement à voir avec l’exploitation de ressources naturelles ou la réorganisation imposée de systèmes économiques pour sécuriser les marchés. Outre cette dimension économique, le colonialisme est également associé à la dévalorisation culturelle et la contrainte à l’assimilation culturelle.
En tant qu’acteurs.trices de la société civile, les ONG travaillant dans la coopération au développement ont un rôle et une responsabilité particulièrement importants dans le débat sur la «décolonisation». Elles ne jouissent pas seulement d’une crédibilité particulièrement élevée et d’une certaine influence en politique et dans la société. Avec leur communication, elles ont aussi un impact qu’il ne faut pas sous-estimer. Parce que le «discours d’égal à égal» se retrouve dans le modèle de la plupart d’entre elles, elles peuvent contribuer de façon décisive à casser les modèles coloniaux.
De nombreuses organisations sont passées, dans leurs activités, des aides unilatéralement paternalistes à des partenariats où les besoins et les ressources des partenaires et individus locaux sont au centre des projets. Savoir local et ébauches de solutions sont intégrés à la coopération. Ce n’est pas seulement de la reconnaissance, cela permet aussi d’ancrer plus durablement les processus de changement devant servir aux besoins et priorités des communautés locales. Il faut instaurer une culture de la coopération et de l’apprentissage mutuel au lieu de suivre une approche hiérarchique où les concepts occidentaux sont considérés comme supérieurs.
Par contre, par peur de perdre des parts sur le marché des dons, les organisations de développement déploient de multiples efforts dans la collecte de fonds et le marketing pour mettre en œuvre dans leur travail les concepts mis au point dans leurs propres départements de programme.
Par contre, par peur de perdre des parts sur le marché des dons, les organisations de développement déploient de multiples efforts dans la collecte de fonds et le marketing pour mettre en œuvre dans leur travail les concepts mis au point dans leurs propres départements de programme. Des modèles qui flirtent avec le concept du «white saviourism» des donateurs.trices et génèrent l’urgence avec des stéréotypes de pauvreté et d’incapacité d’action; des narratifs qui manient tout à tour misère et bonheur reconnaissant des bénéficiaires: ils constituent encore le registre standard des collecteurs de fonds et de leurs agences. Il est certes beaucoup question de « storytelling » éthique, mais le nombre d’organisations qui élaborent effectivement des concepts appropriés et investissent dans leur mise en œuvre, est restreint (Caspari, D. 2023).
Des narratifs qui manient tout à tour misère et bonheur reconnaissant des bénéficiaires: ils constituent encore le registre standard des collecteurs de fonds et de leurs agences.
Le discours sur la «décolonisation» est parvenu au cœur des sociétés
occidentales. Les structures de pouvoir sont soumises à une réflexion
critique et les rapports de pouvoir remis en question. La légitimité des
organisations occidentales en tant qu’acteurs.actrices du
«développement» fait l’objet d’un débat à bien des égards. Sur le marché
des organisations caritatives, il faut remarquer que de plus en plus de
grandes et moyennes associations recherchent des coopérations
stratégiques avec des organisations sur place et renoncent aux services
intermédiaires des organisations de développement classiques.
Donateurs.trices remettent en cause l’image des pays du Sud qui leur est
présentée dans les appels aux dons. La décolonisation est présente, la
coopération au développement va se modifier en fonction de ce discours.
Se pencher stratégiquement sur la question de la décolonisation et
s'engager dans de véritables partenariats avec le Sud mondial n'est plus
une question. Nombre de départements de programmae sont sur cette
voie. Il est grand temps que collecte de fonds et marketing s’y mettent
aussi et examinent leur pratique d’un œil critique.