La protection sociale et les services de santé durables sont indissociables de l'égalité des sexes

Cérémonie d’ouverture de la CSW 2019 à New-York. Photo: © Susanne Rohner

 

La Commission de la condition de la femme (CSW) est l'organe central des Nations Unies en charge des questions liées aux droits des femmes et à l'égalité des sexes. Elle rend compte au Conseil économique et social des Nations Unies. Chaque année, la CSW se réunit au mois de mars dans le cadre d'une session de deux semaines. Cette année, la 63ème session de la CSW a battu des records de participation, avec plus de 5 200 représentant.e.s issu.e.s de la société civile et 1 850 représentant.e.s des pouvoirs publics. La Suisse était représentée à New York par une délégation d'une quinzaine de personnes, présentées lors de l'ouverture de la session par le Conseiller fédéral Alain Berset. Au cours de la première semaine, outre les manifestations officielles et les réunions bilatérales, environ 450 événements parallèles (Side Events) officiels ont été organisés. Parallèlement, le jeudi a marqué l'ouverture des négociations sur le thème prioritaire « Systèmes de protection sociale, accès aux services publics et infrastructures durables », qui se sont poursuivies durant toute la semaine suivante, pour aboutir le vendredi à l'adoption de « Conclusions concertées » .

 

Résultat : un statu quo, rien de plus

Dès l'origine, nul n'ignorait, compte tenu du contexte mondial globalement difficile en matière de droits des femmes et d'égalité des sexes, que la négociation d'un document final basé sur le consensus relevait du défi. On peut dès lors se féliciter que cet objectif ait été atteint sans qu'aucune ligne rouge n'ait été franchie ni qu'aucun pas en arrière n'ait été observé.

Cependant, le document final porte également les marques de ces débats et des atteintes aux droits fondamentaux des femmes actuellement observées dans des pays tels que les États-Unis, la Russie ou encore l'Arabie saoudite. Ces stigmates ne sont pas sans rapport avec la présence de l'Observateur permanent du Saint-Siège aux Nations Unies, lequel met à profit ce statut spécial en prenant activement part aux négociations. Les axes de travail que sont la santé sexuelle et reproductive, notamment, et en particulier les droits sexuels, constituent pour ces cercles ni plus ni moins qu'une épine dans le pied - et peu importent les conséquences des atteintes à ces droits sur la santé des femmes. Dans ce contexte, il n’est donc pas étonnant que le document final représente un statu quo par rapport à l’année dernière : il se limite en effet à la santé sexuelle et reproductive et aux droits en matière de procréation.

CSW63 (Commission de la Condition de la Femme - CSW) dédiée à la protection sociale, à l’accès aux services publics et aux infrastructures durables. Photo: © Susanne Rohner

 

Lors des Side Events, qui ont réuni de nombreux intervenant.e.s et expert.e.s de premier plan, les différents volets du thème prioritaire ont pu être abordés de manière approfondie. L'accent a souvent été mis sur les défis pratiques auxquels se heurtent les intervenant.e.s sur le terrain. Les paragraphes ci-après donnent un aperçu de trois de ces Side Events :

 

Side Event : Témoignages de femmes victimes de violences sexuelles en temps de guerre

En présence du Conseiller fédéral Alain Berset, la délégation suisse a abordé principalement les problématiques de l'égalité en matière de rémunération, du travail non rémunéré et des régimes de retraite. Elle a également participé à l'organisation d'un Side Event intitulé « Témoignage de femmes victimes de violences sexuelles en temps de guerre », qui traitait de la prise en charge et de l'aide apportée aux femmes ayant survécu à des violences sexuelles en République démocratique du Congo (RDC). Les participant.e.s ont assisté à une présentation des initiatives menées par la "Dr. Denis Mukwege Foundation", ainsi qu'au témoignage direct de victimes de ces violences sexuelles.

Le prix Nobel de la paix préconise une approche globale à l'égard des survivantes 

Au Congo, son pays d'origine, le Dr Denis Mukwege, gynécologue, vient en aide aux victimes de viol et de violences sexuelles ; son engagement et celui de la militante yézidie des droits humains, Nadia Murad, ont été salués par un prix Nobel conjoint en 2018. Les violences sexuelles sont utilisées comme une arme de guerre et leurs auteurs doivent rendre des comptes devant la justice, a déclaré dans un message vidéo le Prix Nobel de la paix. En effet, outre leurs conséquences physiques effroyables, ces violences ont également des conséquences psychologiques insupportables, liées notamment à la stigmatisation des victimes. Dans le cadre de sa mission auprès de ces femmes, le Dr Mukwege préconise une approche holistique, basée sur quatre piliers. Selon lui, ces femmes ont non seulement besoin de soins médicaux et d'une prise en charge psychologique, mais également d'une assistance sociale et juridique.

Témoignages de survivantes

Tatjana Mukanire, qui a survécu à des violences sexuelles en République Démocratique du Congo, a fondé en 2017 un mouvement de solidarité. Elle explique pourquoi les femmes victimes de violences sexuelles doivent impérativement être aidées dans tous les domaines pour pouvoir reprendre une vie normale.

Vasffije Krasniqi Goodman, qui a survécu à des actes similaires au Kosovo, n'a quant à elle bénéficié d'aucune prise en charge. « L'État ne se préoccupait pas des victimes ». C'est pourquoi il est important qu'un dispositif d'aide aux victimes soit mis en place à l'échelon international. Selon Sylvie Durrer, Directrice du Bureau fédéral pour l'égalité entre femmes et hommes (BFEG), les violences perpétrées à l'encontre des femmes constituent une violation des droits sexuels et des droits humains. La lutte contre toute forme de violences faites aux femmes est un axe de travail prioritaire pour la Suisse.

 

Side Event : Témoignages de femmes victimes de violences sexuelles en temps de guerre avec Sylvie Durrer, Directrice du BFEG (2ème en partant de la droite). Photo : © Susanne Rohner

 

Inclusion des jeunes filles et jeunes femmes marginalisées

Le plaidoyer en faveur de l'inclusion au cœur du Side Event « STEP IT UP! » Adolescentes les plus marginalisées : inverser la tendance en matière de VIH et garantir les droits à la santé sexuelle et reproductive pour toutes à l'horizon 2030. La manifestation, organisée sous l'égide d’ONUSIDA et du réseau ATHENA, a placé au cœur des débats les besoins des jeunes filles et jeunes femmes particulièrement marginalisées, dans toute leur diversité : qu'elles soient confrontées à la misère ou à des handicaps, toxicomanes, victimes de violences sexistes, migrantes, travailleuses du sexe, membres de la communauté LGBTI, domestiques ou jeunes veuves.

Les Objectifs de développement durable ne peuvent être atteints que si ces femmes et ces jeunes filles cessent d'être laissées pour compte et que leurs droits fondamentaux sont reconnus et exercés. Il s'agit en particulier de leurs droits sexuels et reproductifs. Or, en pratique, cet objectif est loin d'être atteint. Les jeunes ne sont mentionnés qu'une seule fois dans l'Agenda 2030 - et ce, bien que dans certaines régions du monde, le VIH/SIDA soit la première cause de décès chez les adolescentes. L'accès à l'éducation sexuelle holistique est encore limité, tout comme le sont les connaissances sur le VIH.

#WhatGirlsWant

Pour progresser sur ce volet, des mesures participatives doivent être mises en œuvre. Winny Obure, coordinatrice de #WhatGirlsWant au Kenya, explique : « Les jeunes filles et les jeunes femmes veulent être impliquées dans les processus décisionnels. Aucune décision les concernant ne doit être prise sans elles. Elles veulent disposer de moyens d'action et que leur voix soit entendue. Elles demandent également à prendre la parole sur les questions relatives à leurs droits en matière de santé sexuelle et reproductive. Mais nous ne pourrons évoquer ces questions avec elles qu'en les impliquant pleinement dans la réflexion. » Ces revendications sont conformes à l'analyse proposée par Deneka Thomas, du programme Women Deliver Young Leaders, qui travaille auprès des jeunes de la communauté LGBTI.

@Teenergizer!

Yana Panfilova, originaire d'Ukraine, présente un témoignage saisissant :

Enfant, Yana devait constamment aller à l'hôpital et prendre de nombreux médicaments. Elle se posait alors une quantité de questions : « Pourquoi dois-je prendre tous ces comprimés ? », « Pourquoi moi ? », « Que se passe-il ? » Elle se sentait mal dans sa peau et exclue. Lorsqu'elle a eu dix ans, sa mère lui apprit qu'elle était séropositive. Lors des RDV chez le médecin, celui-ci s'adressait presque exclusivement à sa mère. Yana a grandi avec l'impression que sa santé ne lui appartenait pas, mais était l'affaire du médecin et de sa mère. En grandissant, Yana s'est posé d'autres questions : « Puis-je avoir des rapports sexuels ? », « Pourrai-je avoir des enfants ? » Personne n'a jamais répondu à ses questions. Dans son pays, les enseignant.e.s n'abordent pas non plus les problèmes liés à la santé et aux droits sexuels et reproductifs.

À l'adolescence, Yana Panfilova a décidé de militer et a fondé Teenergizer!, un mouvement qui réunit aujourd'hui des adolescents d'Ukraine, de Géorgie, de Russie et de toute la région d’Europe de l'Est et d’Asie centrale. L’objectif est de créer des passerelles et de revendiquer des droits, afin que les jeunes concernés soient au centre des systèmes de soins de santé et traités avec dignité. Les jeunes veulent s'approprier leurs droits et la protection de ces droits, et disposer de moyens d'action concrets.

 

La couverture santé universelle va de pair avec la protection sociale

Un autre Side Event, organisé notamment par l'OMS, était consacré à la couverture santé universelle. Cette offre de « soins de santé généraux » est incluse dans le troisième Objectif de développement durable (ODD3).

« La santé de la planète passe par la santé des populations », a déclaré Mary Robinson, ancienne présidente de l'Irlande, qui intervenait en qualité de conférencière d'honneur. L'ODD3, à savoir l'accès à la Santé pour tous, ne peut être atteint que dans une perspective d'égalité des sexes. Les femmes doivent piloter les initiatives et concevoir et mettre en œuvre les systèmes de santé en tenant compte de critères d'égalité hommes-femmes et de critères « intersectionnels » - telle est l'ambition affichée. Aujourd'hui, la moitié de la population mondiale est exclue des services de soins de santé généraux. Près de 100 millions de personnes vivent encore dans une pauvreté extrême, car l'accès aux soins de santé est payant. La couverture santé universelle va de pair avec la protection sociale et contribuera à ce que personne ne soit laissé pour compte - telle est la conclusion de ce Side Event.

La référence :

 

Susanne Rohner
Depuis 2006, Susanne Rohner travaille au sein de la Fondation SANTÉ SEXUELLE Suisse (SSCH), qui représente au niveau national les centres et services spécialisés, ainsi que les associations professionnelles du domaine de la santé sexuelle et reproductive et des droits y relatifs. Elle est responsable du secteur Advocacy de SANTÉ SEXUELLE Suisse et gère notamment le secrétariat du groupe parlementaire CAIRE+. Elle a également participé aux travaux de la Commission de la condition de la femme (CSW) dans le cadre du réseau international de santé sexuelle dont SSCH membre. Du 9 au 16 avril de cette année, elle a pris part à la 63ème session annuelle de la CSW à New York en tant que membre de la délégation suisse. Susanne Rohner a étudié l'histoire et les sciences politiques.