De Valentina Maggiulli
Une crise sanitaire comme la pandémie actuelle de coronavirus dévoile implacablement, à l’échelle mondiale, les failles et le sous-financement des systèmes de santé. Alors que le personnel soignant doit généralement relever d’immenses défis, les sages-femmes et leurs prestations de soins sont particulièrement affectées. Dans de nombreux pays du Sud, mais également en Suisse, les visites à l’hôpital qui ne sont pas urgentes sont déconseillées. Toutefois, les naissances sont, par nature, difficilement planifiables et il n’est pas possible de les retarder. Une analyse de Valentina Maggiulli, directrice de Women's Hope International.
À l’heure actuelle, les femmes enceintes en Suisse sont clairement désorientées. Pendant des mois, les parents se sont préparés à la naissance et ils se sont réjouis. Et soudainement, des conditions-cadres complétement différentes règnent. De nombreuses questions ouvertes sont en suspens. Qui pourra être présent à l’hôpital lors de l’accouchement? Après la naissance, ma famille pourra-t-elle m’épauler? Quels sont les risques associés à une visite de la sage-femme à mon domicile? Chez les sages-femmes également, l’inquiétude se fait ressentir, notamment, car elles sont conscientes de la responsabilité élevée qui pèse sur elles. Comment puis-je protéger mes clientes et les nouveau-nés? Comment puis-je me prémunir contre une transmission? Mais de nombreuses sages-femmes indépendantes se posent également des questions d’ordre pratique, telles que: où puis-je recevoir le matériel de protection recommandé? La Fédération suisse des sages-femmes souligne le rôle des sages-femmes dans son concept d’urgence (2020): «Elles assument leur rôle de professionnelles dans les soins de premier recours et sont les premières interlocutrices pour les femmes enceintes, les parturientes, les accouchées et les femmes allaitantes. Elles sont joignables et soutiennent les familles dans cette difficile période de pandémie.»
Les sages-femmes et les obstétrciens traditionnels se trouvant dans nos pays partenaires du Sud souhaiteraient également satisfaire à cette exigence. Ils sont constamment confrontés à des obstacles qui sont quasiment insurmontables. Dans les zones rurales notamment, l’électricité est insuffisante pour pouvoir accompagner de manière adéquate les accouchements de nuit. En outre, une pénurie de matériaux de protection et de médicaments sévit continuellement. L’eau, qui constitue un élément majeur des mesures d’hygiène et de sécurité pour se protéger contre une infection au COVID-19, est un bien précieux qui, souvent, n’est pas disponible.
La plupart des mesures ordonnées, dans nos pays partenaires, pour empêcher la propagation du coronavirus sont sûrement justifiées. Malgré cela, les répercussions à long terme sur la santé des mères et de leur nouveau-né seront significatives. De nombreuses cliniques mobiles qui, notamment, se déplacent aussi à l’intérieur d’un pays, ne peuvent plus circuler. Les femmes enceintes n’atteignent plus les centres médicaux, étant donné que les transports publics ont été arrêtés.
Des dizaines de milliers de contrôles prénataux essentiels pour les mères et les enfants à naître ne seront pas réalisés, et ce, durant des mois.
Des dizaines de milliers de contrôles prénataux essentiels pour les mères et les enfants à naître ne seront pas réalisés, et ce, durant des mois. Seulement très peu d’ambulances destinées au transport dans les hôpitaux sont disponibles pour les patientes à risque. Ceci peut, à l’apparition de complications, entraîner chez la mère davantage de blessures traumatiques graves liées à l’accouchement et conduire au décès de l’enfant.
Des études récentes montrent que - même avec les calculs de projection les plus conservateurs - près de 250 000 décès supplémentaires pourraient survenir chez les nouveau-nés. Chez les mères vivant dans les pays à revenus faibles et moyens, le nombre de décès supplémentaire pourrait s’élever à environ 12 000 (Roberton et al., 2020).
Outre ces aspects importants relatifs à la naissance, la probabilité de grossesses chez les adolescentes augmente en raison des confinements imposés lors de crises sanitaires. L’accès aux moyens de contraception est coupé, la plupart des écoles sont fermées et les filles et les jeunes femmes sont exposées, dans leur foyer, à davantage d’agressions sexuelles. Les premières analyses de données depuis la flambée de la pandémie du coronavirus montrent, dans divers pays, une hausse générale de la violence sexuelle et de la violence basée sur le genre.
La division de statistique du Secrétariat de l'Organisation des Nations Unies évoque, dans son dernier rapport, d’une pandémie fantôme.
La division de statistique du Secrétariat de l'Organisation des Nations Unies (2020, p. 58) évoque, dans son dernier rapport, d’une pandémie fantôme. Les connaissances résultant d’études réalisées après les épidémies d’Ebola confirment ces craintes (PNUD, 2017 & FNUAP, 2017).
Ces discriminations structurelles fondées sur le sexe, qui sont déjà existantes, émergent davantage lors de crises. Dans beaucoup de pays, les femmes et les filles disposent d’un pouvoir décisionnel réduit. Par conséquent, leurs besoins demeurent largement non couverts.
La crise du coronavirus place les systèmes de santé, en Suisse et dans les pays du Sud, devant des défis de diverses natures. Considérer le travail des sages-femmes à sa juste valeur sociétale et lui donner le respect qu’il mérite, tel est l’appel lancé aux hommes et aux femmes politiques par la Fédération suisse des sages-femmes lors de la journée internationale des sages-femmes (2020, p. 2). Ceci concerne, entre autres, l’approbation de leur contrat de structure. Pour le moment, il est encore difficile d’évaluer les répercussions à long terme de la pandémie actuelle sur la santé de la mère et de l’enfant ainsi que sur le travail des accoucheurs et des accoucheuses dans les pays du Sud. Toutefois, il y le risque que les années d’efforts pour améliorer la santé sexuelle et reproductive et les drois y relatifs des femmes et des filles, régressent.
Malgré les conséquences négatives de la pandémie, une opportunité unique s’offre à nous. Notre politique sanitaire nationale et mondiale, les systèmes de santé et les prestations s’y rapportant sont mis au banc d’essai. Nous pouvons démasquer les inégalités existantes qui sont basées sur les genres et les améliorer, de manière durable, pour la génération à venir. Pour atteindre cela, les gouvernements doivent faire un effort commun avec la société civil, en Suisse et dans les pays du Sud. C’est justement en 2020, l’année internationale des sages-femmes et du personnel infirmier que des signaux clairs devraient être lancés et que les investissements attendus depuis longtemps devraient être réalisés.