De Martina Staenke
« Juillet 2022 : la greffe de cellules souches guérit un quatrième patient infecté par le VIH. » Cette information venue de Californie a été diffusée à point nommé pour l’ouverture de la 24e Conférence internationale sur le sida, qui s’est tenue à Montréal du 29 juillet au 2 août 2022. Pourtant, cette guérison isolée vaut-elle vraiment la peine d’être signalée, compte tenu des millions de personnes infectées qui ne reçoivent toujours aucun traitement ?
La pandémie du sida pourrait être surmontée depuis longtemps si toute personne infectée, dès le moment de son infection, pouvait avoir accès aux médicaments antirétroviraux (ART) déjà disponibles depuis les années 1990. Si ce n’est pas le cas, en particulier dans les pays du Sud, c’est en raison des restrictions commerciales et des prix vertigineux des nouveaux médicaments, qui rendent tout simplement impossible le traitement de nombreuses personnes infectées. Jusqu’à présent, l’industrie pharmaceutique peut décider des vies humaines, sans que les gouvernements des pays qui abritent cette industrie n’interviennent de quelque manière qui soit. Cela a été le cas lors de la pandémie du VIH/sida et cela s’est répété de façon flagrante avec celle de Covid-19.
Nous disposons de tout le nécessaire pour mettre un terme à la pandémie du sida, seule la volonté politique fait défaut. Ce message a été martelé lors de la conférence #AIDS2022. Cette année, la Conférence sur le sida, intitulée « Follow the Science », a montré une fois de plus que, même si aucun vaccin n’a été trouvé à ce jour (et il est légitime que cela nous interroge vu l’expérience de la récente pandémie…), les techniques médicales et les connaissances ont fait de telles avancées que plus personne ne devrait être infecté par le VIH, et encore moins mourir du sida. Or, ce qui continue de faire défaut, c’est une solidarité internationale sur laquelle on peut compter, ainsi qu’un nécessaire surcroît de moyens financiers. En 2021, les fonds internationaux disponibles pour lutter contre le VIH étaient inférieurs de 6 % à ceux de 2010. L'ONUSIDA déplore depuis longtemps cette diminution du soutien, avec les conséquences que cela implique pour ses programmes, et se bat chaque année pour obtenir des contributions sans cesse remises en question, notamment par l'ODA (Overseas Development Assistance).
Cette année, la Conférence sur le sida, intitulée « Follow the Science », a montré une fois de plus que, même si aucun vaccin n’a été trouvé à ce jour, les techniques médicales et les connaissances ont fait de telles avancées que plus personne ne devrait être infecté par le VIH, et encore moins mourir du sida.
La lutte contre le sida s’est effondrée et l’objectif d’en finir avec cette épidémie d’ici 2030 est menacé. Le nouveau rapport de l’ONUSIDA, « In Danger », publié lors de la conférence, ainsi que de nombreuses voix qui se sont élevées à l’occasion d’AIDS 2022, ont fait part d’une profonde inquiétude et dressé un sombre tableau. La pandémie de Covid-19 a réduit les progrès à néant, accru massivement les inégalités et fait reculer la lutte contre le sida de plusieurs années. Les chiffres font l’effet d’une douche froide : un million et demi de personnes ont été infectées par le VIH/sida en 2021, soit environ un million de plus que l’objectif mondial, et les infections ont surtout augmenté dans les régions où elles avaient auparavant enregistré un recul. En 2021, une nouvelle infection est survenue toutes les deux minutes parmi les jeunes femmes et les filles, en particulier en Afrique subsaharienne. Dix millions de personnes sont en attente de traitement et 650 000 décès ont été à déplorer en 2021 (ONUSIDA, 2022 A).
Le vaginal de dapivirine permet d’espérer qu’à l’avenir, les femmes seront mieux à même de se protéger activement contre le VIH et qu’elles ne seront plus à la merci de leurs partenaires sexuels.
La conférence a particulièrement mis en avant l’éventail des possibilités médicales qui s’élargit constamment. La multithérapie reste un moyen incroyablement efficace de prévention et de traitement des infections, et de nombreuses études ont confirmé l’efficacité d’I=I (Indétectable = Intransmissible). La mise au point de médicaments antirétroviraux injectables à action prolongée constitue une avancée considérable et révolutionnaire, qui a le potentiel de transformer l’épidémie. Utilisée à des fins préventives, la PrEP (prophylaxie pré-exposition) prise en injection tous les deux mois peut empêcher une infection jusqu’à 99 %. Pour les femmes africaines en particulier, on considère que cette possibilité peut changer la donne, et l’OMS a déjà annoncé des lignes directrices pionnières concernant l’utilisation de ce médicament (cabotégravir, CAB-LA).
L’annonce de ViiV Healthcare, fabricant de cabotégravir (CAB-LA), de baisser le prix dans un certain nombre de pays à moyens et faibles revenus et de mettre la technologie à la disposition du Medicines Patent Pool afin de permettre la production de médicaments génériques correspondants dans environ 90 pays, a suscité l’attention internationale. Cependant, comme cela a été récemment critiqué lors d’une conférence de presse de l’ONUSIDA, peu de choses se sont passées à cet égard et ViiV a été invité à tenir sa promesse et à étendre la possibilité de fabriquer des médicaments génériques à tous les pays ayant des taux élevés d’infection par le VIH (ONUSIDA, 2022 B).
Une revendication vigoureusement exprimée par les militant·e·s lors de
la conférence concerne la hausse des fonds pour le financement de l’anneau
vaginal de dapivirine (DPV-VR). Comme les femmes en ont le plein contrôle,
qu’il ne présente aucun effet secondaire et est considéré comme sûr et
pratique, cet anneau est une option recherchée par les femmes pour réduire le
risque d’infection par le VIH. Il permet d’espérer qu’à l’avenir, les femmes
seront mieux à même de se protéger activement contre le VIH et qu’elles ne
seront plus à la merci de leurs partenaires sexuels. Une utilisation correcte
de l’anneau suppose de le porter dans le vagin pendant 28 jours, après
quoi il doit être remplacé par un nouvel anneau. En 2021, l’Organisation
mondiale de la Santé (OMS) a donné son feu vert à la mise en place de l’anneau
comme moyen de prévention supplémentaire pour les femmes à haut risque
d’infection par le VIH dans le cadre de stratégies de prévention combinée (OMS, 2021).
Utilisée à des fins préventives, la PrEP (prophylaxie pré-exposition) prise en injection tous les deux mois peut empêcher une infection jusqu’à 99 %.
« Des gens meurent à cause des inégalités ! » Un appel lancé par Linda-Gail Bekker, professeure et directrice du Desmond Tutu Health Centre au Cap à l’occasion de la conférence #AIDS2022.
« Inégalités dangereuses » – « dangerous inequalities » est le slogan de cette édition de la Journée mondiale du sida (ONUSIDA, 2022 C). Ces inégalités se sont également manifestées de manière éclatante lors de la catastrophe des visas qui a éclipsé la conférence, car de nombreux activistes du monde entier se sont vu refuser l’entrée au Canada. Une session a dû être complètement annulée, parce que l’ensemble des intervenantes en provenance de pays du Sud n’ont pas pu mettre le pied sur le territoire canadien, ce qui n’a pas manqué de faire scandale ! (Voir photo.)
Symptomatique des décennies de lutte contre le sida : ceux qui observent et portent la majeure partie du fardeau de la maladie n’ont pas pu être entendus lors de la conférence.
Winnie Byanyima, directrice de l’ONUSIDA, a critiqué ce déséquilibre qu’elle a qualifié d’inacceptable, décrivant une forme de racisme et de colonialisme dans la santé globale, ce dont elle avait déjà particulièrement pris conscience lors de sa participation à une manifestation réunissant des représentantes étasuniennes des institutions globales de santé. Selon le credo de l’événement, ils voulaient écouter les personnes concernées dans les communautés. Malheureusement, ces voix n’étaient pas présentes – aucune personne touchée par le VIH, aucune militante ni aucune scientifique du Sud n’avait été invité à cette rencontre. Les progrès réalisés à l’échelle mondiale dans la lutte contre le VIH/sida sont principalement dus à l’activisme inédit de la société civile concernée.
Le problème, selon la directrice de l’ONUSIDA, est que ce sont précisément ces caractéristiques – les inégalités, notamment le racisme – qui font progresser la pandémie. Mondialement, les infections diminuent, mais dans de nombreux pays, elles continuent d’augmenter parmi les groupes marginalisés, ceux qu’on appelle les « populations clés », notamment les populations noires et indigènes (AIDS, 2022: Anti-racism and decolonizing the AIDS response: Moving from rhetoric to reformation).
Symptomatique des décennies de lutte contre le sida : ceux qui observent et portent la majeure partie du fardeau de la maladie n’ont pas pu être entendus lors de la conférence.
L’une des raisons majeures expliquant que l’épidémie se manifeste depuis des années au sein des populations clés (key populations) et qu’elle y connaisse une hausse est le non-respect de leurs droits humains. Environ 70 % des nouveaux cas recensés au cours de l’année passée concernaient ces groupes, parmi lesquels on compte les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH), les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes transsexuelles, les consommateurstrices de drogues injectables et les personnes détenues (OMS, 2022; AIDS, 2022: Launching new WHO guidelines for key populations: Focus for impact).
Les faits sont suffisamment connus : la montée du conservatisme politique conduit de nombreux gouvernements à ne pas reconnaître ces populations et à les marginaliser, contrairement aux préconisations des scientifiques. Elles sont confrontées à d’importantes contraintes juridiques. Par exemple, soixante-huit pays criminalisent les hommes homosexuels et les relations homosexuelles, favorisant ainsi leur discrimination et leur stigmatisation.
La diminution des ressources et la restriction du soutien financier aux pays à faibles revenus ont empêché d’atteindre les objectifs intermédiaires 90-90-90 fixés par l’ONUSIDA (90 % dépistés, 90 % sous traitement, 90 % charge virale supprimée) d’ici 2020. Les gouvernements n’ont pas réussi à atteindre les groupes vulnérables décrits plus haut. Ces groupes symbolisent la dernière étape des cibles 10-10-10, qui sont cruciales pour mettre fin à la pandémie d’ici 2030. Une focalisation trop rigide sur les objectifs 90-90-90, qui portaient principalement sur la lutte contre le VIH dans la population globale, a largement négligé les groupes cibles. On a trop misé sur l’idée que les offres toucheraient également les groupes vulnérables (AIDS, 2022: The 2025 targets: Powerful mobitivators or will we miss the mark?).
Avec les nouveaux objectifs intermédiaires adoptés à l’horizon 2025, l’ONUSIDA intensifie ses efforts pour éradiquer le sida d’ici 2030 et s’attache plus qu’auparavant à lutter contre les inégalités sociales en tant que principale barrière. Les cibles « 25 » placent pour la première fois les populations clés au cœur de la prévention du VIH, y compris la lutte contre leur stigmatisation et la discrimination. L’inégalité entre les sexes et la diminution de la violence à l’égard des femmes et des filles sont également essentielles. Dans le même temps, le rôle de leadership des communautés, considérées comme la clé de la réussite, devrait être renforcé (ONUSIDA, 2021).
Avec les nouveaux objectifs intermédiaires adoptés à l’horizon 2025, l’ONUSIDA intensifie ses efforts pour éradiquer le sida d’ici 2030 et s’attache plus qu’auparavant à lutter contre les inégalités sociales en tant que principale barrière.
Les nouvelles cibles sont également un appel aux gouvernements pour
qu’ils accordent une plus grande attention à la santé mentale des personnes
concernées. Le manque de prise en compte de la santé mentale a fait l’objet de
nombreux débats lors d’AIDS 2022 : l’importance des soins intégrés
est bien connue, mais peu de pays offrent un soutien psychosocial dans le cadre
de leurs services de traitement du VIH. Lucy Cluver, professeure de travail
social à l’Université d’Oxford et à l’Université du Cap, fait état de
programmes très efficaces et faciles à adapter, particulièrement pour les
jeunes, pour lesquels le diagnostic du VIH est souvent traumatisant (The Lancet, 2022).
Marijke Wijnroks, du Fonds mondial, reconnaît que les
programmes du Fonds n’avaient accordé qu’une place secondaire à cette
problématique par le passé, mais elle a souligné que cette question était
explicitement prise en compte dans la nouvelle stratégie, qui met l’accent sur
des soins de santé primaires axés sur la personne. De nombreuses études ont
montré que même les personnes séropositives qui suivent un traitement et se
sentent physiquement en bonne santé continuent d’être victimes de
stigmatisation et de souffrir de dépression et autres problèmes psychologiques (AIDS, 2022: Mental health and HIV: the emerging and critical dimension in fighting HIV).
L'éradication de la pandémie du sida n’est plus entre les mains de la science, mais de la politique.
La Conférence sur le SIDA a été claire : il est beaucoup moins coûteux de mettre fin au sida que de ne pas le faire. Si l’on ne parvient pas à enrayer la pandémie d’ici 2025 à un niveau tel que moins de 370 000 nouvelles infections par le VIH soient recensées chaque année, il sera de plus en plus difficile et coûteux de mettre un terme à la pandémie d’ici 2030. La Suisse, en sa qualité de membre du conseil d'administration du Fonds mondial de lutte contre le sida et de nombreuses agences des Nations unies telles que l’OMS, devrait s’engager avec plus de force contre la lassitude des donateurs et accélérer la hausse nécessaire des ressources financières.
L'éradication de la pandémie du sida n’est plus entre les mains de la science, mais de la politique.