Le monde entier joue au plus fin avec les personnels de santé, et la Suisse n’est pas en reste
Photo: UNMEER/Martine Perret/flickr.com; CC BY-ND 4.0 Deed

Il y a quatorze ans, l’Assemblée mondiale de la santé adoptait le Code de pratique de l’OMS pour le recrutement des personnels de santé (le Code). L’objectif était la création d’un cadre visant à empêcher le recrutement incontrôlé de personnel de santé entre les pays, et de protéger ainsi les systèmes de santé les plus faibles.

Pour la première fois, le Code reconnaissait que, face à la pénurie mondiale des personnels de santé, des règles étaient nécessaires pour que les États ne se les débauchent pas mutuellement. Les populations des pays dont le système de santé est déjà sous-financé et faible finissent toujours par faire les frais de ce petit jeu. Voilà pourquoi le réseau Medicus Mundi Suisse (MMS) et le réseau international Medicus Mundi International (MMI) se sont toujours engagés en faveur du Code de l’OMS. Aucun système de santé ne peut fonctionner sans un nombre suffisant de médecins, d’infirmiers, d’infirmières et de sages-femmes bien formés. Il lui serait impossible de garantir la santé pour tous.

Quatorze ans plus tard, dans le cadre du cinquième rapport périodique de l’OMS sur l’application du Code, MMS tire un bilan mitigé en ce qui concerne le Code dans son ensemble, et extrêmement critique vis-à-vis de ses développements en Suisse.

Pour la première fois, le Code reconnaissait que, face à la pénurie mondiale des personnels de santé, des règles étaient nécessaires pour que les États ne se les débauchent pas mutuellement.

Les migrations des personnels de santé sont très diverses

Les migrations des personnels de santé sont un phénomène complexe. En principe, toute personne formée dans une profession de santé a le droit de migrer en toute légalité. Il est important d’insister sur ce droit individuel, car il est question ici de facteurs plus structurels dans le jeu international concernant les personnels de santé, ayant un impact beaucoup plus important.

Les migrations des personnels de santé revêtent différentes formes, pas uniquement transnationales. Par exemple, il peut s’agir de l’infirmière qui quitte un dispensaire dans la campagne tanzanienne pour aller travailler dans un hôpital de la grande ville de Dar es Salam. Ou de la sage-femme qui passe de l’hôpital public de Dacca à une clinique privée dans la même ville. De la même manière, pour faire référence au rôle des œuvres d’entraide du monde entier, on peut citer le médecin qui quitte son poste dans un hôpital de district pour assumer une mission de gestion au sein d’une organisation internationale. Sans oublier les médecins roumains qui viennent travailler en Suisse, ou les infirmières et infirmiers alsaciens qui exercent en tant que personnel frontalier dans les hôpitaux et les maisons médicales du canton de Bâle-Ville.

Voilà pourquoi le réseau Medicus Mundi Suisse (MMS) et le réseau international Medicus Mundi International (MMI) se sont toujours engagés en faveur du Code de l’OMS. Aucun système de santé ne peut fonctionner sans un nombre suffisant de médecins, d’infirmiers, d’infirmières et de sages-femmes bien formés. Il lui serait impossible de garantir la santé pour tous.
Photo: World Bank Photo Collection/ Arne Hoel / World Bank/flickr.com; CC BY-NC-ND 4.0 Deed <br>
Photo: World Bank Photo Collection/ Arne Hoel / World Bank/flickr.com; CC BY-NC-ND 4.0 Deed

Ces différentes formes de migration s’expliquent toutes par des facteurs similaires, qui en déterminent la dynamique. La pénurie chronique de personnel de santé en est la cause principale : partout dans le monde, le personnel formé est insuffisant. Dans les pays à faible et moyen revenus, cela peut s’expliquer par un manque de ressources, mais aussi par une mauvaise définition des priorités. En Suisse également, la pénurie de médecins est artificiellement aggravée par le numerus clausus. Dans le domaine des soins, il a fallu que l’initiative sur les soins infirmiers soit adoptée pour que l’État soit contraint d’investir davantage dans la formation des infirmières et infirmiers.

Trop peu de places de formation et des conditions de travail déplorables

Qu’elle soit politiquement provoquée ou involontaire, la pénurie globale de personnel de santé ne fait que renforcer les migrations, d’autant que d’autres puissants facteurs entrent en jeu. Dans le Sud, l’environnement de travail est souvent défaillant, surtout et malheureusement dans le secteur public de la santé. Les hommes et les femmes disposant d’une formation qualifiée dans le domaine de la santé ont besoin d’un environnement de travail dans lequel ils peuvent mettre en pratique leurs compétences. Si vous ne disposez pas d’outils de diagnostic suffisants, si vous n’avez pas un accès régulier à l’électricité et/ou à l’eau ou si vous ne pouvez pas vous procurer les médicaments qui sauvent des vies, vous vous tournerez vers un autre emploi.

La qualité de l’environnement de travail est un vaste sujet qui comprend aussi les conditions de travail comme les horaires, la possibilité de travailler à temps partiel, sans oublier la rémunération. Ces éléments peuvent pousser le personnel à abandonner les professions de santé. En revanche, le niveau élevé des salaires en Suisse va attirer les personnels de santé étrangers. Cela permet aux établissements de santé du pays de pouvoir recruter également à l’étranger.

Les différents facteurs de migration font que les pays dotés de systèmes de santé financièrement solides sont moins touchés par la pénurie mondiale que ceux dont les systèmes de santé sont faibles, et dont les soins apportés à la population sont en outre affaiblis par l’exode.

Alors, nous irons les chercher nous-mêmes

Depuis longtemps, la Suisse bénéficie d’un système de santé de qualité comparable et financièrement solide, ce qui lui permet d’attirer du personnel de l’étranger. En règle générale, elle n’a pas besoin d’y recruter activement, car le personnel concerné vient à elle de son propre chef.

Dans son tout dernier rapport sur l’application du Code de l’OMS pour le recrutement des personnels de santé en Suisse, MMS estime que cette situation a changé. Le réseau constate une augmentation du recrutement direct, c’est-à-dire actif, à l’étranger par les établissements de santé suisses. Par exemple, l’hôpital cantonal de Bâle-Campagne a entamé une tentative de recrutement aux Philippines (SRF, 28.12. 2023). Selon les médias, plusieurs hôpitaux, dont certains publics, procèdent à un recrutement actif à l’étranger par le biais de « castings », notamment à Rome et à Berlin (SonntagsBlick, 30. April 2023).

Le renforcement d’une pratique de recrutement active de la part des prestataires de santé suisses indique que la situation de pénurie s’est aggravée. Comme le constate MMS dans son rapport : « Le nombre de postes à pourvoir dans le domaine des soins, en moyenne annuelle, était de 9282 en 2021, de 12 312 en 2022 et de 13 765 en 2023 (Obsan Monitoring national du personnel soignant, 6.8.2024) Cela correspond à une augmentation d’environ 48 % des postes vacants en l’espace de trois ans : un signe clair de l’aggravation de la pénurie de personnel dans le domaine des soins. »

Dans son tout dernier rapport sur l’application du Code de l’OMS pour le recrutement des personnels de santé en Suisse, MMS estime que cette situation a changé. Le réseau constate une augmentation du recrutement direct, c’est-à-dire actif, à l’étranger par les établissements de santé suisses.
Photo: U.S. Army Africa photo by Staff Sgt. Andrea Merritt/ U.S. Army Southern European Task Force, Africa/flickr.com; CC BY 4.0 Deed
Photo: U.S. Army Africa photo by Staff Sgt. Andrea Merritt/ U.S. Army Southern European Task Force, Africa/flickr.com; CC BY 4.0 Deed

La situation est également plus tendue en ce qui concerne les médecins. Selon le SonntagsZeitung, les établissements de santé suisses ne se contentent plus de recruter directement dans les pays limitrophes. La Roumanie est désormais le quatrième pays d’origine des médecins en Suisse, derrière l’Allemagne, la France et l’Italie (Sonntagszeitung.ch, 12 février 2023).

Quatorze ans après l’adoption du Code de l’OMS, la Suisse est en passe de s’éloigner plus que jamais de son application. En ne réduisant pas sa dépendance vis-à-vis du personnel de santé formé à l’étranger, elle affaiblit foncièrement la durabilité mais aussi la capacité de son système de santé à faire face aux crises. Elle se trouve donc en contradiction avec les articles 3.6 et 5.4 du Code. Ceux-ci prévoient la formation et la planification à long terme des personnels de santé, axées sur les besoins. Des personnels de santé qui restent également dans le système (ce que l’on appelle la rétention).

Autrement dit : la Suisse ne forme pas assez de personnel de santé en fonction de ses besoins et le nombre de personnes qui quittent la profession est trop élevé. Dans le cas des médecins, l’obstacle ne réside pas seulement dans le numerus clausus : trop peu d’efforts sont engagés pour former suffisamment de médecins de famille dans le domaine des soins de santé primaires (cf. NZZ, 14.06.2024).

Selon les médias, plusieurs hôpitaux, dont certains publics, procèdent à un recrutement actif à l’étranger par le biais de « castings », notamment à Rome et à Berlin.

Des règles du jeu claires sont désormais nécessaires

Cette politique ne peut fonctionner que dans la mesure où la Suisse n’est pas confrontée à une nouvelle crise sanitaire et que l’afflux de personnel étranger est garanti. Or, ce dernier point devient de plus en plus critique. En effet, les pays voisins essaient eux aussi de garder leurs personnels, voire de les rapatrier, en offrant de meilleures conditions de travail. Les besoins nationaux augmentant parallèlement, le recrutement passif de la part des établissements de santé suisses risque d’être de moins en moins efficace. C’est la raison pour laquelle ils recourent de plus en plus au recrutement actif à l’étranger. Mais en agissant ainsi, la Suisse va à l’encontre de l’esprit et des principes du Code de l’OMS.

L’aggravation de la situation décrite dans le système de santé ne concerne pas seulement la Suisse : c’est un constat mondial. À la suite du cinquième rapport périodique de l’OMS sur l’application du Code, dans le cadre duquel MMS a établi le sien en tant que représentant de la société civile, une commission élaborera des propositions à l’intention du Secrétariat de l’OMS. L’Assemblée mondiale de la santé, qui se tiendra en mai 2025, se prononcera ensuite sur le rapport.

Il faut également réfléchir à un système d’indemnisation afin de renforcer l’incitation à former son propre personnel selon ses besoins et à ne plus recruter activement à l’étranger. Les pays de destination devraient ainsi prendre en charge les coûts de formation dans les pays d’origine.

Une chose est certaine pour MMS : le Code de l’OMS doit devenir plus contraignant. Il faut renforcer le personnel de santé, en tant qu’élément central des soins de santé de chaque pays. Il faut également réfléchir à un système d’indemnisation afin de renforcer l’incitation à former son propre personnel selon ses besoins et à ne plus recruter activement à l’étranger. Les pays de destination devraient ainsi prendre en charge les coûts de formation dans les pays d’origine.

En mettant en œuvre l’initiative sur les soins infirmiers, la Suisse démontre qu’elle est prête à investir davantage dans une formation de qualité et dans un bon environnement de travail. Il serait toutefois judicieux qu’elle ne se limite pas aux soins infirmiers, mais qu’elle l’étende à d’autres professions de santé. En tout état de cause, l’adoption de l’initiative sur les soins infirmiers confère à la Suisse une légitimité démocratique lui permettant de s’engager en faveur d’un renforcement du Code de l’OMS au niveau international.

L'« Independent Stakeholder Reporting 2024 »

En août 2024, MMS a rédigé le rapport de progression sur l'application du Code de l'OMS pour le recrutement des personnels de santé dans le cadre du 5e rapport périodique. L'« Independent Stakeholder Reporting 2024 » contribue à ce que la communauté des États reste informée des évolutions du Code de l’OMS.

Rapport

Un appel urgent : ne pas combattre la pénurie de personnel de santé au détriment des plus pauvres !

La pénurie de personnel de santé s’aggrave, aussi bien en Suisse que dans le reste du monde

En mai 2024, Medicus Mundi Suisse et l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI) ont publié un appel urgent concernant la pénurie de personnel et les pratiques de recrutement suisses. Celui-ci a été signé par 29 organisations du système de santé suisse et de la coopération internationale en matière de santé.

Lien vers l’appel

Martin Leschhorn Strebel
Martin Leschhorn Strebel est historien et directeur du réseau Medicus Mundi Suisse. Il est également président de Medicus Mundi International. Depuis quelques années, il se consacre à la thématique de la pénurie de personnel de santé dans le monde. E-Mail