De Natalie Sharples
Pour obtenir le droit à la santé, il faut opérer un changement radical. Un changement des politiques responsables de la mauvaise santé collective, un changement dans la répartition mondiale du pouvoir et des ressources, un changement au sein du mouvement pour la santé pour tous, écrit Natalie Sharples de Health Poverty Action.
Chez Health Poverty Action, il y a certaines choses dont nous sommes fiers. Nous ne créons pas de systèmes parallèles. Nous collaborons étroitement avec les autorités locales, les commissions de santé régionales et les autorités nationales pour construire des systèmes de santé efficaces qui soient adaptés et accessibles à ceux qui en ont besoin. Nous cherchons à remettre en cause les déséquilibres de pouvoir, du niveau local au niveau mondial. Et nous nous attaquons aux causes profondes de la pauvreté sans prétexter que les activités caritatives et d’aide au développement constituent des solutions.
Nous nous engageons dans d’autres domaines, qui toutefois exigent une réflexion et une lutte permanentes. Tout d’abord, en construisant la solidarité entre les habitants des pays du Nord et ceux du Sud. Dans les écrits concernant l’aide et la charité, les pays du Nord font figure de généreux sauveurs du Sud, ce qui n’a fait qu’aggraver les déséquilibres de pouvoirs, en apportant de l’eau au moulin d’un programme de droite qui était déjà sceptique envers les actions caritatives, et sabotant le projet de solidarité. Et, en ces temps ou les inégalités se creusent, cette perception n’est guère pertinente. Il serait en effet mal venu, alors que le National Health Service - Grande-Bretagne souffre d’un sous-financement chronique et d’une privatisation accrue, de prôner la mise en place de systèmes de santé solides dans les pays du Sud, alors qu’un système de santé publique est en train de s’étioler sous nos yeux. En associant la coopération en matière de santé avec l’aide au développement, nous sommes tombés dans le piège, typiquement néolibéral, du «diviser pour mieux régner»: preuve en est l’hostilité croissante à l’égard de l’aide au développement. Nous ne vaincrons pas le scepticisme général en égrenant les succès de l’aide au développement. Nous devons arrêter d’opposer les habitants du Nord à ceux du Sud, et attirer l’attention des gens, indépendamment de leur pays de résidence, sur les causes premières de la mauvaise santé qui nous concernent tous. Chose plus facile à dire qu’à faire, bien sûr, pour les organisations mandatées et financées pour travailler dans les pays du Sud.
Nous avons fait les premiers pas dans cette direction grâce aux partenariats, à la participation à des campagnes d’organisations elles-mêmes actives dans les pays du Nord et à la recherche de fonds pour le travail et les actions dans les pays du Nord.
Pour sortir du cadre de l’action caritative, nous nous devons d’affronter les causes premières de la mauvaise santé, au lieu d’être obsédés par la meilleure façon de dépenser les fonds caritatifs. L’accès universel aux soins de santé ne sera pas obtenu à travers l’aide au dévelopement, nous en sommes parfaitement conscients. Les systèmes de santé ont besoin d’une redistribution des richesses: à travers des régimes fiscaux nationaux solides, et à travers la restitution des biens volés par les riches. Qu’il s’agisse d’évasion fiscale, d’aides aux grandes sociétés, de lutte antidrogue ou de l’effet des changements climatiques qui détournent les ressources des citoyens pour en faire bénéficier les sociétés et les élites mondiales, nous devons reprendre le pouvoir. Cela signifie faire le ménage dans les paradis fiscaux, mettre fin à la dette illégitime, passer des accords commerciaux qui ne vont pas à l’encontre de la santé mais au contraire la favorisent, mettre en œuvre des mesures de lutte contre la drogue qui soutiennent la santé et des vies, au lieu de mener une guerre perdue d’avance contre ce fléau. Cela signifie se saisir de cet argent et le réaffecter à des actions visant à fournir des services santé publique.
L’expression «aide au développement» doit être revisitée: elle doit maintenant évoquer une forme de redistribution des richesses parmi tant d’autres, dont les pays ont besoin, tant sur leur territoire qu’à l’international. On peut commencer par être plus honnêtes sur sa nature.
Il ne s’agit pas de «coopération» en matière de santé, mais bien de justice. Et il ne s’agit pas d’aide, mais, tout au plus, d’une compensation.
Tant que nous perpétuerons la notion d’aide en tant que charité, nous ne pourrons pas opérer un tournant radical. Réparations, compensations, solidarité universelle, geste symbolique ou redistribution: Quel que soit le nom que nous devrions lui donner – il est urgent de prendre une décision et de continuer de la répéter.
Nous devons également en faire davantage pour lier nos programmes aux déterminants structurels de la santé. Celles et ceux d’entre nous qui dans leur vie professionnelle côtoient le monde du néolibéralisme pur et dur doivent appeler les choses par leur nom. Et dénoncer le climat politique et économique qui a causé ce besoin de services chaque fois que nous parlons de notre travail. Les sensibilités politiques dans différents pays rendent cette tâche difficile – lorsqu’elles ne la bannissent pas – mais plus nous essayons d’établir les liens, mieux nous parviendrons à remodeler ce que représente la coopération en matière de santé et à situer notre travail pratique dans un plus vaste scénario de changement.
Nous pourrions aussi faire mieux pour générer de la positivité. Notre secteur est efficace lorsqu’il s’agit d’attirer l’attention sur les problèmes, mais parvient moins bien à définir des solutions stimulantes. Nous faisons en sorte que les gens se sentent dépassés, et que le changement soit impossible. Par le terme positivité, je n’entends pas des allégations trompeuses sur l’efficacité de l’aide au développement, ou des images «inspirantes» de pauvres gens qui travaillent dur.
J’entends plutôt définir une vision claire, courageuse et radicale du monde tel que nous le voudrions, avec des solutions de changement positives.
Les exemples dans ce sens ne manquent pas. Citons celui du système de santé de Cuba, du rejet du néolibéralisme auquel s’est ensuivie la réduction de la pauvreté en Équateur, ou encore celui de la qualité des services publics dans les pays nordiques. Nous devons cesser de mettre les gens en colère et commencer à leur donner de l’espoir.
Enfin, nous devons affronter la question de notre privilège. Nous ne pouvons pas remodeler la dynamique du pouvoir mondial tout en la reproduisant au sein de nos propres organisations. Au Royaume-Uni, le secteur est clairement dominé par la classe moyenne blanche, hautement éduquée. Cela a donné des situations où des groupes de privilégiés apportent des solutions à des problèmes qui n’ont en jamais connues.
Nous devons placer la libération au cœur de notre action, ce qui suppose que nous devions sortir de notre zone de confort et remettre en question nos propres perceptions, ainsi que nos pratiques. Les structures organisationnelles et de rémunération soulèvent des questions auxquelles nous n’avons pas encore répondu. Devons-nous nous aligner sur les rémunérations d’organisations similaires pour attirer les meilleures compétences, ou estimons-nous que des salaires confortables proposés pour la gestion d’ONGI du Nord nous éloignent trop des gens avec qui nous travaillons? Devrions-nous envisager des structures salariales ou de gestion forfaitaires de revenus, ou ajuster notre rémunération pour tenir compte du patrimoine hérité ou des charges familiales? Si nous croyons à la redistribution des richesses, devrions-nous en faire davantage pour la mettre en pratique?
La réponse n’est guère facile. Et, compte tenu des contradictions si nombreuses dans ce domaine, se sentir parfaitement à l’aise devrait susciter la méfiance. Ressentir l’inconfort, poursuivre notre introspection et relever les défis extérieurs: voilà ce qu’il nous reste à faire. En guise de conclusion, je citerai Teju Cole: Si nous devons intervenir dans la vie des autres, un peu de diligence raisonnable est le moins que l’on puisse attendre.
L' article a gagné le MMI Essai concours "Health cooperation beyond aid - Pathways for change": The winner and the reader