By Hélène Delomez, Hafid Derbal, Leila Fasseaux, Johanna Mansson, Constance Theisen and Andréa Rajman
Medicus Mundi a organisé une table ronde, à Lausanne le 29 septembre 2020, ayant pour thème « L’impact de la pandémie sur la santé mentale et la violence basée sur le genre (VBG) ». Une quinzaine de personnes étaient présentes, dont des coordinateurs et des responsables de programme, ainsi que des responsables d’organisations actives dans la coopération internationale en matière de santé, et plus particulièrement sur la santé mentale et la violence basée sur le genre (VBG). Trois associations membres du Réseau Medicus Mundi Suisse ont présenté leurs expériences sur l’impact que la crise a provoqué dans leur organisation et leurs projets.
En novembre 2019, la maladie de la Covid-19 faisait son apparition en Chine. Avec un taux de propagation extrêmement rapide. Dans 215 pays plus 20 millions de personnes ont été infectées par le coronavirus et plus de 731'000 personnes décédées (Source : OMS, 11 août 2020).
Le principal impact psychologique de la Covid-19 sur la santé mentale accuse un taux élevé de stress et d’anxiété. Les activités normales et les habitudes de la population mondiale ont été bouleversé, tant sur le plan de la santé que sur l’accès aux produits de première nécessité (alimentation, …).
Mais si l’ensemble de la planète est touché, il ne l’est pas de la même manière. En effet, les populations les plus vulnérables (les femmes, les enfants, …) sont particulièrement touchées par la crise qui a exacerbé les inégalités existantes.
Concernant la violence basée sur le genre et plus particulièrement la violence domestique, l'ONU a qualifié l'augmentation mondiale de la violence domestique de "pandémie fantôme" aux côtés de la Covid-19. On estime que les cas ont augmenté de 20% pendant le confinement, car de nombreuses personnes sont coincées chez elles avec leur agresseur.
Au sein de la population vulnérable, beaucoup d’enfants de tous âges ont été touchés dans leur bien-être durant le premier semestre 2020, 188 pays ont imposé des fermetures d'écoles à l'échelle nationale, touchant plus de 1,6 milliard d'enfants et de jeunes. Plus des deux tiers des pays ont mis en place une plateforme nationale d'enseignement à distance, mais dans les pays à faible revenu, cette proportion n'est que de 30%.
Bien avant cette pandémie, près d’un tiers des jeunes n’ont pas eu accès au numérique. De ce fait, les données disponibles suggèrent que les enfants et les adolescents, lors de ce confinement, sont plus exposés à la violence, au risque d’infection au VIH et ou des grossesses précoces.
La protection de l’enfance est le domaine central d’intervention de Terre des hommes (Tdh) se déclinant principalement par les programmes suivants : « Enfants et jeunes en migration »; « Accès à la justice pour enfants et jeunes » et « Enfants en crises humanitaires».
Le secteur « protection transversale » soutient les programmes et garantit la mise en œuvre d'interventions transversales intégrées et cohérentes en matière de protection, notamment par une approche commune visant à renforcer le système de protection de l'enfance.
Parmi ses principales responsabilités on peut évoquer, entres autres, de:
Tdh adopte une compréhension holistique de la santé mentale et du bien-être psychosocial, incluant les dimensions physique, émotionnelle, sociale, politique, économique, culturelle et spirituelle, structurée sous les 5 piliers du bien-être (1. sûreté, sécurité, stabilité; 2. liens et réseaux; 3. rôles et identités; 4. justice et droits; 5. espoir et sens) et applicable aux sphères individuelles, familiales et communautaires.
Le cadre de la SMSPS de Tdh vise à renforcer et à servir de cadre opérationnel actualisé pour mettre en œuvre des interventions spécifiques de SMSPS et pour garantir qu'une approche de la santé mentale et psychosociale pour le bien-être et la résilience est intégrée dans tous les programmes.
En réponse à la crise COVID-19, le secteur de protection de l’enfance de Tdh a mis l’accent sur des modalités de réponse composées de cinq axes, soit : Le développement d’outils et guidances; le développement de centres de ressources techniques ; l’accompagnement technique et le développement de compétences ; l’adaptation des interventions existantes et le développement de nouveaux projets spécifiques sur le Covid-19. Dans ses activités de santé mentale et de soutien psychosocial l’accent s’est porté sur l’information du Covid-19 et celle des services à distance (helpline, …), pour réduire la peur, le stress et l’angoisse des enfants et de leurs familles et communautés dans lesquelles ils vivent.
Afin de soutenir le personnel de protection et les responsables qui sont en première ligne pour lutter contre la Covid-19, Tdh a également conçu des fiches pratiques sur les différents thèmes d’intervention, mettant en lumière les principales recommandations pour la planification et la mise en œuvre de la protection de l’enfance à distance (y compris la gestion des cas et la SMSPS). Voir Fiches info Covid-19.
En réponse aux besoins exprimés par le personnel du terrain, six délégations et les coordinateurs régionaux de chaque programme de protection ont collaboré au développement d’une méthodologie de protection de soutien à la santé mentale et au bien-être psychosocial des adolescents âgés de 12 à 18 ans particulièrement adaptée au contexte du Covid-19 et ses restrictions. Ce programme « Ride On » offre un voyage ‘auto-guidé’ des activités que les jeunes peuvent faire seuls ou avec le soutien d’adultes, afin de les aider à renforcer différents aspects de leur bien-être comme le fait de se sentir en sécurité, connecté, respecté, digne et de se sentir plein d'espoir. Voir Ride On
En termes de communication et de plaidoyer sur la protection de l’enfance, la campagne #CovidUnder19 a remporté un franc succès. Il s’agit d’une initiative pour impliquer les enfants dans les réponses à la pandémie de Covid-19. Qu'ils soient confinés et non scolarisés, dans des camps de réfugiés ou des villages surpeuplés, détenus ou vivant dans la rue, en institution ou en déplacement, les enfants et les jeunes ont le droit d'être entendus. En général, leurs opinions ne sont presque jamais sollicitées par les décisionnaires et leurs idées sont rarement écoutées. L'initiative #CovidUnder19 veut changer cela et créer des espaces pour que les enfants à travers le monde puissent participer aux discussions sur les réponses à donner à la pandémie de Covid-19 et contribuer ainsi à façonner le monde post-Covid-19. #CovidUnder19
Pour exemple sur le terrain : la production de guides (« guidances ») est accompagnée d’un soutien technique réalisé à travers divers webinaires et contribution directe à certains projets de terrain : En Grèce, Tdh, en collaboration avec le secteur « protection transversale » a, par exemple, réadapté son projet UNICEF « Child protection Capacity building in Covid-19 Context » et a proposé une série de 12 webinars qui a permis d’accompagner 704 travailleurs en contact avec les enfants, en particulier les enfants réfugiés.
Au Mali, Tdh a accompagné techniquement la « coordination interagence » et le gouvernement dans la production des fiches techniques d'adaptation du système national de gestion de cas au contexte Covid-19.
Au Liban, les activités de soutien psychosocial, originellement prévues en groupe et en présentiel ont été adaptées grâce au développement d’un curriculum de six sessions permettant de soutenir à distance et individuellement les enfants.
Avant la pandémie de coronavirus, l’Afrique du Sud comptait déjà le plus grand nombre de victimes de violence sexuelle et domestique au monde, par rapport au nombre d’habitants. Les mesures de confinement strictes des derniers mois ont certes permis d’enrayer la propagation du virus, mais ont fait augmenter le nombre de cas de violence basée sur le genre. Précisément à un moment où le nombre déjà élevé de victimes de violence augmente encore, le travail du personnel Lifeline s’en trouve massivement impacté. L’exemple du travail de Lifeline, organisation partenaire sud-africaine de terre des hommes schweiz, démontre à quel point la pression psychologique et la charge de travail a augmenté au cours des derniers mois.
Le travail principal de Lifeline est un travail de prévention (écoles, communes, inclusion des hommes, …), ainsi qu’un soutien médical, juridique et psychosocial des victimes de VBG (ambassadrices, hotline, personnel dans les hôpitaux et stations de police, …). Les personnes qui travaillent dans le secteur de la prévention de la VBG et au service des GBV-Survivors ont souvent été elles-mêmes victimes de violence.
Le manque de mobilité (transport publique limité, nombre limité de personnes dans un véhicule, etc.) a limité la portée des interventions de Lifeline durant les mesures strictes entre mars et août 2020. Lifeline a également dû faire face à moins d’espace pour garantir la sécurité des victimes, à un personnel réduit et à une augmentation des cas de VBG. A cette pression énorme se joignent des demandes des autorités locales de les assister dans la mise en œuvre (« implementation » des mesures (accompagnement des tests porte-à-porte).
Afin de minimiser les risques d’un personnel qui pourrait être à nouveau traumatisé ou menacé par un burn-out, Lifeline a entrepris des mesures, telles que la réorganisation des horaires de travail, la concentration sur le travail téléphonique, ainsi que l’accompagnement et le soutien à son personnel.
Pour plus d’informations « Le virus fait peser la menace d’un burn-out »
Médecins du Monde Suisse (MdM) a inscrit la protection des victimes de violence comme axe stratégique majeur de ses programmes.
Au Bénin son programme se décline sur trois axes : la prévention, notamment au travers d’un travail de fonds de sensibilisation des jeunes et adultes ; l’accompagnement des victimes et le plaidoyer pour soutenir les victimes de violences basées sur le genre.
MdM soutien notamment depuis 2015 les Centres de prise en charge intégrés des victimes de violences basées sur le genre (CIPEC). A ce jour, trois CIPEC sont installés dans trois hôpitaux départementaux. Dans chaque centre, une assistante sociale accueille une moyenne de 20 à 30 victimes chaque mois. Elle fait le lien avec un réseau de professionnels de divers domaines permettant une prise en charge holistique des victimes. Les bénéficiaires des programmes de MdM sont avant tout des enfants et des femmes victimes de violences sexuelles par des proches.
Grâce à un travail de plaidoyer de longue haleine en étroit partenariat avec les autorités béninoises, activement engagées dans la lutte contre les violences, une reprise de la gestion des CIPEC par l’Etat béninois est en préparation et un modèle de certificat médical pour les victimes a été adopté. Reconnu par tous les acteurs concernés (policier, judiciaire), ce document permet aux victimes de faire valoir leurs droits et d’accéder à des services spécifiques.
Suite aux premiers cas positifs de Covid-19 en mars 2020, plusieurs mesures pour lutter contre la Covid-19 ont bouleversé le quotidien de la population béninoise, dont la fermeture par les autorités de certains commerces et transports en communs, ainsi que les écoles. La majorité des mesures ont été levées en mai.
La pandémie de coronavirus a aggravé la précarité et la vulnérabilité de certains foyers en exacerbant les inégalités de genre. Mais le nombre de cas positif dans le pays est resté limité et le système de santé, bien que fragilisé, a été malgré tout en mesure de répondre aux demandes de consultation et d’hospitalisation.
Pour MdM, la pandémie a constitué un défi organisationnel de taille, en forçant ses équipes à assurer une gestion de leurs programmes à distance, tout en maintenant les services existants et essentiels pour la prise en charge des victimes dont le nombre ne cesse d’augmenter. Il reste toutefois un défi logistique et financier de tous les jours.
Durant la partie « discussions et échanges » les participants ont fait état des principaux défis, ainsi que des solutions pour mener à bien leurs projets.
La principale difficulté pour les organisations présentes a été d’anticiper et de faire preuve de flexibilité pour leurs partenaires, tout en maintenant les salaires et les charges administratives même lorsque les activités ont dû être arrêtées. Il a fallu également maintenir l’attribution des financements aux partenaires en sollicitant les bailleurs de fonds. Quant à 2021, la planification des projets et la recherche de fonds est rendu difficile par le manque de visibilité.
Une crainte supplémentaire a été évoquée concernant les ressources pour les financements. Il existe une crainte que des ressources qui initialement sont consacrées à la lutte d’autres maladies, telles que la tuberculose, le VIH, etc… seront utilisées pour la lutte contre la Covid-19. Cela est particulièrement pertinent pour les pays dont les systèmes de santé sont fragiles.
L’utilisation des technologies comme la digitalisation a été très utile en particulier pour établir un premier contact. Les appels téléphoniques et les informations sur les gestes barrières dans la lutte contre la Covid-19 via smartphones ont été cruciaux. Cependant, l’infrastructure digitale des zones rurales restent à développer, même dans des pays comme l’Afrique du Sud. Les participants rendent attentif au fait qu’il faudra faire attention à ne pas accentuer encore plus le fossé entre les zones urbaines et zones rurales dans les pays du sud, en mettant l’accent sur des interventions qui sont trop dépendantes de l’accès internet.
Concernant la discussion sur l’évaluation de l’impact de la pandémie sur leurs projets, les participants ont constaté une nette augmentation des appels sur leur hotline, que ce soit pour des problèmes de violence et/ou de santé mentale, mais tous peinent à évaluer des chiffres réalistes. Toutefois certaines estimations ont pu se faire grâce au monitoring régulier des projets.
D’autre part, plusieurs organisations ont pu observer que la pandémie a également été un prétexte pour certains gouvernements de remettre en cause l’accès aux services de santé pour les femmes victimes de VBG, en faisant obstruction, par exemple, à la mise en place de certains projets. C’est pourquoi il est important de continuer à énoncer des plaidoyers, car les crises peuvent également engendrer des atteintes importantes aux droits humains et aux acquis sociaux.
Toutefois, les participants sont unanimes pour souligner que des solutions existent. Par exemple, le rôle des communautés locales et leurs réseaux a été crucial pour maintenir un service de protection à la population durant le confinement. Ces derniers ont démontré l’efficacité et la nécessité de l’ancrage local d’un projet en incluant également la famille proche de la victime. Les structures et les partenariats des pays du Sud déjà existants avant le confinement ont permis d’adapter rapidement les stratégies et les méthodes de travail appliquées aux projets.
Les participants ont relevé que l’abondance de publications et de guides pour lutter contre la Covid-19 ont été très utiles, mais ils n’ont trouvé que peu d’outils pratiques utiles. C’est pourquoi le projet de Terre des Hommes « Ride On » comme solution innovante a suscité beaucoup d’intérêt parmi les participants.
L’échange des discussions et le partage d’expériences et de bonnes pratiques ont permis de mettre en évidence, entre les diverses organisations, une homogénéité des problèmes identifiés en santé mentale, dans le contexte de la Covid-19 (stress, violences conjugales, violence basée sur le genre, …).
D’autre part le partage de différents contextes et d’expériences de terrain permettent également d’accélérer la mise en place de solutions par de meilleures approches, afin d’obtenir des résultats durables, comme par exemple pour améliorer la valorisation des communautés et les organisations locales.
Au cours de cette table ronde, les participants ont souligné que les organisations ont dû se réinventer en adoptant plus de flexibilité en particulier pour assurer le suivi de leurs projets et continuer à communiquer avec leurs partenaires des pays du Sud, à s’adapter à la crise du Covid-19 par leurs modules de formation et par le travail à distance.
Durant les discussions il est ressorti que la crise du coronavirus nous a obligé de repenser notre façon de produire, de consommer et de se recentrer sur l’essentiel pour obtenir une meilleure façon de vivre.
Les impacts sanitaires, sociaux et économiques de la pandémie de coronavirus et les mesures mises en place pour lutter contre cette pandémie auront de lourdes conséquences dans les années à venir. Pour l’instant il n’y a pas encore assez de recul pour faire une analyse de la situation. Il est en particulier très difficile de se projeter en 2021, pour des solutions à long terme, car la crise de la Covid-19 est mondiale.
Malgré cette période particulièrement anxiogène, les participants gardent espoir et s’accordent à dire qu’il faut maintenir l’entraide, l’échange et le soutien mutuel entre nous tous, en renforçant particulièrement les valeurs et la solidarité.
Medicus Mundi Suisse aura comme thème principal en 2021 les conséquences de cette pandémie : « Covid-19 : un changement de cap dans la coopération internationale en matière de santé ». Ce thème permettra d’aborder les thématiques qui préoccupent actuellement nos associations membres et les acteurs actifs dans la coopération internationale en matière de santé.
Terre des hommes (Tdh) est la plus grande organisation suisse d’aide à l’enfance. Depuis 1960, Tdh contribue à bâtir un avenir meilleur pour les enfants démunis et leurs communautés grâce à des solutions innovantes et durables. Active dans plus de 45 pays, Tdh travaille avec des partenaires locaux et internationaux pour développer et mettre en place des projets sur le terrain qui permettent d'améliorer la vie quotidienne de plus de trois millions d’enfants et leurs proches, dans les domaines de la santé, de la protection et de l’urgence. Cet engagement est financé par des soutiens individuels et institutionnels, avec des coûts administratifs maintenus au minimum.
Terre des hommes schweiz soutient près de 50 projets dans 10 pays d'Afrique et d'Amérique latine pour améliorer les conditions de vie des jeunes. L'accent est mis sur la réduction de la pauvreté, la santé sexuelle et reproductive et les droits y relatifs, ainsi que la prévention de la violence. Terre des hommes schweiz a des bureaux de coordination dans 8 pays avec 22 employés locaux.
Médecins du Monde Suisse est une organisation humanitaire médicale indépendante. Sa mission consiste à fournir un accès durable à la santé aux personnes et groupes en situation de vulnérabilité, en Suisse et dans le reste du monde. L’amélioration du bien-être physique, mental et social fait partie intégrante de la mission de l’organisation et demeure un objectif commun aux domaines d’action principaux de son programme : santé et droits sexuels et reproductifs (SDSR) – violences – soins palliatifs pédiatriques (SPP). La stratégie d’intervention de MdM Suisse s’inscrit dans le cadre des ODD des Nations Unies 3, 5 et 16. Dans le cadre de ses programmes, MdM donne une priorité aux contextes fragiles et aux populations les plus vulnérables, les femmes et les enfants.
La Fondation Surgir est active depuis 20 ans dans la lutte contre les violences basées sur le genre en Suisse et à l'international. Elle soutient des programmes de lutte contre les violences faites aux femmes mis en place par des organisations locales en Jordanie et en Palestine.