By Andréa Rajman
L’OMS définit la santé mentale comme un « état de bien-être qui permet à chacun∙e∙s de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés de la vie quotidienne, de travailler avec succès et de manière productive, et d'être en mesure d'apporter une contribution à la communauté ». Depuis les années 70, nous savons que différentes catégories de facteurs individuels et socio-environnementaux impactent la santé des individus : la biologie humaine, le style de vie et les comportements, l’environnement social et naturel, ainsi que le système de santé. Lorsqu’un facteur impacte positivement la santé, on le nomme facteur protecteur : par exemple, la gestion des émotions favorise la santé mentale. Inversement, lorsqu’un facteur impacte négativement la santé, on le nomme facteur de risque. Ainsi, une situation de conflit armé représente évidement un risque pour la santé mentale.
La pandémie de Covid-19 a fortement mis en évidence les inégalités existantes, en particulier d’ordre économique, comme facteur ayant une grande influence sur la santé mentale à court et à long terme. Pour cette raison, la politique de santé publique et mentale doit être globale, intersectorielle et transculturelle, et prendre en compte de nombreux facteurs, au-delà des simples aspects individuels et des systèmes de santé.
La table ronde « L’influence des déterminants de la santé mentale : vers une approche holistique et multifactorielle ? » organisée par MMS, qui s’est tenue en présentiel le 26 septembre 2023 à Lausanne, s’est intéressée aux enjeux et approches des déterminants de la santé permettant d’améliorer la santé mentale.
Une vingtaine de personnes ont participé à cette table ronde, principalement des responsables de projets, des coordinateur∙rice∙s et directeur∙rice∙s de programmes de la coopération internationale travaillant, entre autres, sur les déterminants de la santé et plus particulièrement sur la santé mentale, mais également des expert∙e∙s en matière de santé et/ou de coopération internationale issu∙e∙s d’organisations telles que la DDC ou l’Etat de Genève.
Après un bref tour de table, nous avons proposé un nuage de mots pour établir la représentation des déterminants de la santé mentale pour les participant∙e∙s. La sécurité, l’âge, le soutien social, l’activité physique et l’environnement ont été les mots les plus cités par les participant∙e∙s. D’autres mots clés ont aussi été mis en avant comme multifactoriel, le contexte géographique, l’accès aux ressources, etc. (cf. image ci-dessous).
Ensuite, deux organisations intervenantes (dont l’une est membre de MMS) ont permis de poser le cadre de la problématique des déterminants de la santé mentale : ProSam, association Suisse romande gérée par des bénévoles, et Handicap International.
Afin de poser le cadre durant cette table ronde, Manon Duay a présenté la définition de la santé mentale selon l’OMS.
« (…) non seulement des attributs individuels tels que la capacité à gérer ses pensées, ses émotions, ses comportements et ses interactions avec les autres, mais aussi des facteurs sociaux, culturels, économiques, politiques et environnementaux tels que les politiques nationales, la protection sociale, le niveau de vie, les conditions de travail et le soutien de la communauté ». (OMS 2022)
Ce rapport indique qu’il existe des facteurs protecteurs (génétique, bonne condition physique, accès aux services, sécurité économique, estime de soi, etc…) et les facteurs de risques (violence basée sur le genre, perte de l’emploi, conflits, crise climatique, etc…).
La Commission des Déterminants sociaux de la Santé (CSDH) qui a été créée en 2005 par l’OMS, insiste sur l’importance des déterminants contextuels et structurels et a proposé des déterminants de la santé mentale.
Il est possible de citer trois catégories de déterminants qui influent sur la santé mentale :
Comment agir sur ces déterminants ? Les stratégies efficaces sont multisectorielles. En voici quelques exemples non-exhaustives :
L’association ProSam, créée en Suisse romande début 2022, est un exemple d’action à petite échelle. Son comité est constitué de 6 membres et d’une bénévole, venant de milieux divers. Sa mission est de (1) promouvoir la santé mentale de la population suisse romande par le partage d’expérience, la vulgarisation d’information et la communication ; (2) de créer des synergies entre plusieurs acteur∙rice∙s ; (3) d’utiliser des supports de communication pour favoriser l’accès aux ressources de soutien et ouvrir la parole sur la santé mentale.
Son premier projet se nomme « L’Aurore d’un espoir ». Par le partage d’un témoignage sous la forme de court-métrage, il se veut transmettre un message d’espoir et montrer qu’un rétablissement est possible. Ce projet agit sur les déterminants suivants : l’exclusion sociale, le non-accès aux soins et aux ressources, la discrimination et la stigmatisation. ProSam tente de recréer de la cohésion sociale en générant des espaces où les gens se retrouvent et discutent de la santé mentale. Cette petite association utilise l’art comme outil d’expression afin de réduire la stigmatisation de la santé mentale et surtout d’ouvrir la parole sur le sujet.
HI (Handicap International – Humanité & Inclusion) rappelle que 13% de la population mondiale vit avec un problème de santé mentale, dont 82% dans un pays du Sud (Source : OMS). HI souligne l’importance des interventions SMSPS (santé mentale et soutien psychosocial) dans des contextes de développement, car c’est un droit humain fondamental.
Les équipes d’Handicap International promeuvent un modèle holistique et une santé mentale optimale en favorisant la participation sociale, conformément à l'Agenda 2030 pour le développement durable et à la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, dont la vision inclut un monde où "le bien-être physique, mental et social est assuré".
HI a une vision holistique de la santé mentale qui prend en compte ses aspects sociaux, psychologiques et médicaux, avec un accent particulier sur :
HI développe des projets multisectoriels pour
prévenir et traiter la détresse psychologique et/ou les troubles mentaux. L‘approche
intersectorielle est également très importante et HI travaille sur deux aspects :
· Les approches intégrées à d’autres services, comme la réadaptation physique et fonctionnelle.
·
Les déterminants sociaux dans
lesquels on s’intéresse aux causes de la détresse et l’on promeut la santé
mentale.
Des présentations des différents projets et expériences durant la première partie de l’après-midi ont permis de lancer une discussion fournie et de réfléchir aux enjeux, défis et potentielles réponses concernant les déterminants de la santé mentale.
Penser la santé mentale au prisme des déterminants de la santé plutôt qu’en termes psychiatriques
En écoutant les intervenantes, les participant∙e∙s soulignent que la santé mentale doit être abordée en prenant en compte les déterminants de la santé, qu’il ne faut pas la cantonner uniquement à la question de la maladie psychique, mais qu’il faut positiver son approche en la liant avec le bien-être de la personne et à tout ce qui l’entoure.
De plus, il serait important de sensibiliser et de former le personnel de santé aux problèmes de santé mentale, afin d’encourager le réflexe social et pas seulement médicamenteux. Les participant∙e∙s insistent sur un réel besoin de changement de paradigme. Une évolution des mentalités fait partie du travail de l’OMS mais sa réalisation reste très lente.
Du besoin d’une approche holistique et intersectorielle
Au niveau de la politique cantonale, les participant∙e∙s constatent une certaine imperméabilité entre les politiques publiques : le travail continue de se faire en silo. Se pose alors la question de comment sortir de ce modèle et arriver à une approche plus holistique ? Selon eux∙elles, le défi est d’arriver à un continuum entre les différents secteurs et les différents niveaux. Au niveau national suisse, par exemple, il faudrait changer les lois et sensibiliser les politiques.
De la nécessité d’un soutien social et communautaire
Durant la discussion, il a été relevé que lorsque l’on souffre de troubles psychiques graves et cela sur plusieurs années, le soutien social et communautaire manque. Un phénomène également relevé par les professionnel∙les de la santé et accru par le manque de spécialistes dans certains pays. C’est pourquoi le soutien et l’action communautaire deviennent très important, car ils sont localement accessibles.
De l’importance d’intégrer la dimension de santé mentale dans les projets
En travaillant sur des programmes de soins classiques, certaines ONG participantes se sont rendues compte des besoins en santé mentale. En Suisse, elles ont parfois mis en place des actions à l’intérieur de leurs programmes, ce qui permet d’atteindre les populations vulnérables avec un programme d’accès aux soins, en engageant un∙e psychologue avec une clinique de soins mobiles par exemple.
Du besoin d’indicateurs de qualité et de données quantifiables
Les participant∙e∙s constatent qu’il y a une lacune dans la recherche en santé mentale et qu’il est difficile de définir des indicateurs de qualité en raison de la pression mise sur la performance quantitative au détriment de la qualité de l’intervention. Une réponse à cet enjeu serait de financer des recherches-action participatives, axées sur la collaboration entre chercheur∙euses et membres de la communauté.
Restitution des working groups
Suite à une demande de nos membres et pour une plus grande interactivité dans nos événements, nous avons proposé 3 groupes de travail portant sur les enjeux des déterminants de la santé mentale et les actions possibles. Cette partie de la journée a été très appréciée car elle a permis de stimuler l’intelligence collective et de continuer le partage de réflexions et de connaissances.
A la question quels sont les enjeux actuels des déterminants de la santé, voici les constats et les priorités qui ont été soulignées, ainsi que les pistes et actions envisagées :
Cette table ronde a permis de discuter et de réfléchir sur les différents défis et enjeux en matière de déterminants de la santé mentale. Les participant∙e∙s ont fait le constat transversal d’une tendance à l’accentuation de l’individualisation de la société (perte du soutien communautaire, responsabilité portée par les spécialistes en santé mentale à une échelle individuelle).
Ils∙elles ont aussi relevé qu’il y a beaucoup de points communs entre les déterminants de la santé physique et ceux de la santé mentale et se sont posés la question de la différence qui est faite entre les deux lorsque l’on parle de cohésion sociale. Pourtant, dans sa définition, la santé comprend la santé physique et mentale.
Les participant∙e∙s ont également constaté un décalage énorme entre la charge des maladies et les moyens mis à disposition. La santé mentale est le parent pauvre de la santé et la tendance à la médicalisation des comportements est inquiétante.
Enfin, les participant∙e∙s sont unanimes quant à une absence de stratégie en santé publique et de vision holistique de la santé mentale, ainsi qu’une insuffisance de financement. Cette perception réductrice de la santé mentale ne favorise pas, par exemple, la reconnaissance du rôle primordial de la cohésion sociale et du soutien communautaire.