By Paul Schneider
Nos lois et règlements qui régulent l’asile et la migration rendent (trop) souvent malades. Déjà le chemin de l’exil est de tous les dangers. Dès l’arrivée en Suisse, les violences continuent et les plus costauds peuvent sombrer dans la maladie. Malaise aussi chez les accueillants. Les médecins sont en première loge pour constater les effets pervers. Nous créons le terme « migralgie » (migration et douleur) pour décrire ce syndrome. « La maladie a souvent pour origine des discriminations et des inégalités sociales ». C’est votre analyse. A ce sujet, MASM (Médecins-action-santé-migrants) a quelque chose à dire !
MASM a publié « Migralgie » en juin 2023. Nous établissons un état des lieux et dénonçons la banalisation du mal dans notre société, y compris dans les milieux médicaux.Prenons l’exemple de l’aide d’urgence (9 à 11 francs par jour, souvent en nature, avec interdiction de travailler, une situation qui peut durer des années) qui a comme corollaire une déstructuration de la personnalité ; ou encore les renvois forcés, musclés, comme si les gens étaient des criminels - leur faute, avoir fui l’enfer dans lequel on les renvoie.
La pédiatre du CHUV est très concrète. Elle décrit la santé d’une famille de demandeurs d’asile, quand les migrations forcées, les décisions politiques et l’incertitude prolongée rendent malades ; la souffrance des enfants est souvent invisible, mais elle réapparaît à l’adolescence comme une bombe à retardement. Le psychiatre parle des ravages de l’attente et de ce système d’aide d’urgence (qui n’est pas une aide, mais un outil de dissuasion), de la défaillance des garants métasociaux et la perte de confiance dans les institutions. Quels sont les délais raisonnables pour renvoyer des personnes, des familles ? Et le coût matériel et humain ? Après des années à l’aide d’urgence, exclue de toute possibilité de formation ou d’intégration, la personne obtient finalement « par usure » un permis d’établissement ; une majeure partie de ces personnes non renvoyables finissent par rester en Suisse et on aura manqué la possibilité de les intégrer correctement.
« La maladie a souvent pour origine des discriminations et des inégalités sociales ». C’est votre analyse. A ce sujet, MASM (Médecins-action-santé-migrants) a quelque chose à dire !
Des médecins sont
mandatés par l’Etat pour cautionner les renvois musclés (personnes traitées
comme des criminels, ligotées, bâillonnées, langées pour prévenir tout
débordement…) Et nous autres sommes
interpellés : que pensez-vous de nos lois qui permettent de telles
exactions ? Alors nous avons cette désagréable impression du « déjà
vu », les horreurs du nazisme qui ont abouti au procès des médecins à
Nuremberg en 1946. La déclaration des Droits de l’homme a été proclamée en
1948, et peu de temps après l’Association médicale mondiale a publié la
Déclaration de Genève, une actualisation du serment d’Hippocrate. Ce sont des
balises éthiques évitant des dérapages, et un rappel que le mal doit être
dénoncé. En se taisant, on aide à le banaliser !
En théorie, il y a équité des traitements y compris pour les migrants. En pratique, ce n’est hélas pas le cas.On n’a pas le temps de créer un climat de confiance, quand on est face à une personne qui a subi des viols au cours de l’exode (tant de femmes, de mineurs non accompagnés en sont victimes). Quand un médecin décèle une nuisance extérieure, on l’éradique ; comment prévenir les trop fréquents suicides en maintenant les pressions psychologiques insupportables ?
La déclaration des Droits de l’homme a été proclamée en 1948, et peu de temps après l’Association médicale mondiale a publié la Déclaration de Genève, une actualisation du serment d’Hippocrate. Ce sont des balises éthiques évitant des dérapages, et un rappel que le mal doit être dénoncé. En se taisant, on aide à le banaliser !
Déjà nos lois ne sont qu’un dispositif pour régler, voire empêcher, la migration.Il nous faudrait une loi demandant une réflexion sur notre accueil et intégration (passage du défensif-négatif au positif). Le dispositif actuel tend à déshumaniser les personnes, en abordant les problèmes toujours de manière administrative et technique, sans prendre assez – voire le moins possible – en considération le facteur humain. Cela provoque un problème de reconnaissance (dans le sens allemand Anerkennung) : les personnes ne se sentent pas reconnues dans leur dignité. Enlevons dans ce dispositif tout ce qui contribue à cette non-reconnaissance, et donc par là une deshumanisation pathogène ; en clair, sortons au plus vite de l’aide d’urgence de longue durée. Reformuler notre loi, et non en demander une révision (car à chaque fois cela n’a apporté que des durcissements désastreux). C’est une décision politique. Nous intervenons par les canaux qui nous sont disponibles (nos organisations faîtières, les contacts avec les personnalités politiques).
Je pense ici à cet autre défi immense qu’est la lutte contre les inondations du Rhône dans le Canton du Valais. Ce n’est pas en endiguant le fleuve que le problème se résout, mais en revitalisant son parcours sur toute sa longueur. Un changement de paradigme !
Le dispositif actuel tend à déshumaniser les personnes, en abordant les problèmes toujours de manière administrative et technique, sans prendre assez – voire le moins possible – en considération le facteur humain. Cela provoque un problème de reconnaissance (dans le sens allemand Anerkennung) : les personnes ne se sentent pas reconnues dans leur dignité.
Médecins-action-santé-migrants, un groupe constitué en 2019.
Nos buts :
Vous aimeriez en savoir plus ? « MIGRALGIE » a paru aux Editions de la Revue médicale suisse à Genève (en librairie 22.-, en ligne 15.-).