By Sylvie Petter
Au Brésil, les années 80 furent marquées par la fin de la dictature militaire et l’effervescence des mouvements populaires en défense des droits sociaux. A partir de ces mobilisations, la Constitution de 1988 reconnaît pour la première fois que la santé est un droit fondamental, dont il incombe à l’État d’assurer un accès universel aux services de promotion, protection et récupération de la santé. Les luttes des peuples autochtones permirent également que leurs droits soient enfin défendus dans la Constitution, prônant le « respect de la diversité ethnique des peuples indigènes, reconnaissant leur organisation sociale, leurs coutumes, leurs langues, leurs traditions et leurs droits originels sur les terres qu'ils occupent traditionnellement ».
A partir de cet article, une politique nationale de santé spécifique fut établie. Celle-ci garantit l'accès à des soins intégrés en tenant compte de la diversité sociale, culturelle, géographique, historique et politique des peuples et assure le respect et la reconnaissance de la médecine traditionnelle ainsi que le droit au maintien de la culture.
Auparavant, les autochtones bénéficiaient uniquement d’actions sanitaires ponctuelles et non coordonnées. L’augmentation des invasions des territoires traditionnels durant la dictature militaire généra des situations alarmantes, mettant en péril la survie de nombreux peuples confrontés aux épidémies de tuberculose, malaria et autres infections transmissibles. Malgré une politique spécifique, l’implantation de service de santé primaire dans les communautés représente jusqu’à aujourd’hui un défi majeur du fait de situations épidémiologiques complexes, des difficultés d’accès aux territoires, des conditions de travail et d’habitations précaires pour le personnel médical.
Actuellement, cette situation est encore accentuée par les politiques gouvernementales clairement opposées aux droits des peuples autochtones. La réalité observée sur le terrain, intensifiée en ces temps de pandémie, révèle d’énormes contradictions entre ce que préconise la législation et ce qui est offert en termes d'assistance, de soins et de respect des peuples indigènes. Les conséquences sont une augmentation significative de la mortalité infantile, maternelle et globale, une incidence élevée de cas de dénutrition infantile, des épidémies de malaria, helminthiases et autres maladies infectieuses totalement hors de contrôle.
La réalité observée sur le terrain, intensifiée en ces temps de pandémie, révèle d’énormes contradictions entre ce que préconise la législation et ce qui est offert en termes d'assistance, de soins et de respect des peuples indigènes. Les conséquences sont une augmentation significative de la mortalité infantile, maternelle et globale, une incidence élevée de cas de dénutrition infantile, des épidémies de malaria, helminthiases et autres maladies infectieuses totalement hors de contrôle.
Ce contexte renforce la nécessité de faire valoir le droit à une santé différenciée et interculturelle, dont les services sont construits, évalués et développés avec les communautés et qui se basent sur des études épidémiologiques rigoureuses. Une telle conception des soins, bien que paraissant utopique au vu du contexte actuel, implique une réelle articulation entre connaissances scientifiques et savoirs traditionnels indigènes. La construction d’actions locales se doit de considérer les spécificités ethnoculturelles, ainsi que les diverses interprétations de la maladie et des processus de guérison, ceux-ci étant profondément liés au monde spirituel, aux relations familiales et communautaires.
Dans ce processus, trois agents interculturels autochtones se démarquent et apparaissent comme protagonistes essentiels pour une prise en charge véritablement différenciée. Comme il fut déjà reconnu en 1978 lors de la Conférence internationale d'Alma Ata, l’agent communautaire représente un des piliers des soins de santé primaire et le Brésil fut un moteur dans l’implantation de cette fonction. Comme le souligne la Dre. Luiza Garnelo :
« L'expansion de la Stratégie de Santé de la Famille a atteint, en décembre 2016, l'engagement de 272 000 Agents Communautaires de Santé (ACS) dans le pays, desservant 66,55 % de la population brésilienne » (GARNELO at all, 2019).
La politique nationale met ainsi en évidence la fonction fondamentale de l’Agent Indigène de Santé – AIS, véritable médiateur interculturel entre les diverses visions et interprétations de la notion du « bien vivre », concept fondamental pour les peuples autochtones. A partir de ses connaissances traditionnelles, de la compréhension de la politique nationale et ses acquis en ce qui concerne la santé allopathique, l'AIS est chargé de défendre les intérêts de son peuple, orienter les équipes de médicale, participer au développement des actions de santé primaire et les évaluer.
La construction d’actions locales se doit de considérer les spécificités ethnoculturelles, ainsi que les diverses interprétations de la maladie et des processus de guérison, ceux-ci étant profondément liés au monde spirituel, aux relations familiales et communautaires.
Au début des années 2000, afin de renforcer et étendre la couverture de l'approvisionnement en eau dans les territoires indigènes, la fonction d’agent-e indigène d’assainissement – AISAN fut créé. Cet-te agent-e est responsable de la manutention des systèmes de captation et purification de l’eau et chargé d’organiser des actions de prévention et de promotion de la santé avec la participation de la communauté. Au fil des ans, face à la détérioration de la qualité de vie des peuples autochtones, dans un contexte où leurs droits territoriaux sont de plus en plus menacés, l’agent-e d’assainissement est amené à étendre son action, avec un rôle de plus en plus important en ce qui concerne la préservation environnementale et la défense du territoire.
Finalement, les sage-femmes traditionnelles représentent une fonction qui fut longtemps occultée, et ce malgré de premières politiques publiques élaborées à partir de 1984. Cette année, le Ministère de la Santé créa le Programme d'Assistance Intégrale à la Santé de la Femme (PAISF) :
« Le PAISF a incorporé comme principes et lignes directrices les propositions de décentralisation, de hiérarchisation et de régionalisation des services, ainsi que l'intégralité et l'équité des soins. » (Barroso, 2017).
Malgré les retards dans son implantation (avec de rares initiatives visant le renforcement des sage-femmes traditionnelles à partir de 1991), ce programme fut essentiel pour la définition des principes orientant le Système Unique de Santé (SUS) dans la Constitution de 1988. Cependant, maintenant la vision que l’univers de la grossesse, de l'accouchement et du post-partum est inhérent à la condition féminine, les connaissances des sage-femmes indigènes demeurent considérées comme innées et de ce fait, peu valorisées. Ces pratiques et savoirs, souvent couplés à ceux du chamane, sont hérités des générations plus anciennes et persistent encore aujourd’hui. Ils sont souvent imprégnés de symbolisme, de croyances et de rituels. Dans la région Nord du Brésil, principalement dans les zones rurales, la majeure partie des femmes bénéficieront de l’appui des sage-femmes traditionnelles et celles-ci seront parfois les uniques personnes présentes lors de complications.
Malheureusement, à l’heure actuelle, ces trois protagonistes sont confrontés à une situation d’abandon presque total. Sans formation actualisée, sans reconnaissance professionnelle, sans volonté politique de la part des autorités afin de renforcer les soins de santé primaire, étant amené, par manque de personnels médical, à devoir prendre des initiatives pour lesquels ils ne sont ni préparés, ni agréés, nombreux sont ceux qui expriment une importante lassitude, ainsi qu’une grande une souffrance psychologique.
Ainsi, malgré la conjoncture politique défavorable, il est primordial d’agir afin que les fonctions d’AIS, AISAN et sage-femme traditionnelle soient reconnues officiellement et que des formations de qualités soient accessibles et pleinement légitimées. Ces agent-e-s doivent également pouvoir bénéficier de programmes spécifiques permettant l’adéquation de leur niveau de scolarité, condition obligatoire pour une reconnaissance professionnelle. Finalement, il est essentiel de soutenir et encourager la pleine participation des communautés dans ce processus, ainsi que du mouvement indigène organisé.
Malheureusement, à l’heure actuelle, ces trois protagonistes sont confrontés à une situation d’abandon presque total. Sans formation actualisée, sans reconnaissance professionnelle, sans volonté politique de la part des autorités afin de renforcer les soins de santé primaire, étant amené, par manque de personnels médical, à devoir prendre des initiatives pour lesquels ils ne sont ni préparés, ni agréés, nombreux sont ceux qui expriment une importante lassitude, ainsi qu’une grande une souffrance psychologique.
Dans ce contexte particulièrement marqué par les préjugés et la marginalisation de la question indigène au Brésil, l’association Secoya - Service et Coopération avec le peuple Yanomami - œuvre depuis 30 ans pour la défense des droits du peuple Yanomami de l'État d'Amazonas avec le soutien de l’association E-Changer. Sa mission et ses valeurs sont de promouvoir une relation solidaire avec le peuple Yanomami, au travers du service et de la coopération avec le processus de défense, de reconnaissance et d'application des droits garantis par la Constitution fédérale, favorisant ainsi le processus d’autonomisation et de participation citoyenne. A travers le programme d’éducation à la santé, elle défend le droit à une prise en charge qui soit véritablement différenciée et interculturelle et développe des actions visant à renforcer le protagonisme des agents multiplicateurs interculturels Yanomami à travers la formation d’AIS, AISAN et sages-femmes traditionnelles.