By Alicia Pary
Depuis 2004, la Centrale sanitaire suisse romande soutient un projet de formation de sages-femmes traditionnelles (ci-après SFT) dans le département de Quetzaltenango, au Guatemala. Notre partenaire est la Coordination départementale des SFT de Quetzaltenango, la CODECOT. Elle travaille avec un double objectif : améliorer la santé materno-infantile dans le département et défendre les droits des SFT. Les activités s’ordonnent autour de trois axes : la formation des SFT, la prise en charge des femmes enceintes et la prévention auprès de ces dernières. Ce partenariat à long-terme met en lumière le rôle et l’importance d’un agent de santé communautaire incontournable dans ce pays.
L’élément novateur de ce projet, c’est que la CODECOT a développé son propre cursus de formation pour les SFT. D’une durée de deux ans, il vise à de garder le meilleur de la médecine classique et de la médecine traditionnelle, de façon à éviter certaines pratiques dangereuses encore existantes et donc améliorer le niveau de qualification des sages-femmes sans renier leur savoir traditionnel. Dans ce même but de rapprocher deux mondes si différents, une collaboration avec les structures de soins officielles (hôpitaux, centres de santé, etc..) a été mise sur pied, les élèves effectuant 6 mois de stage pratique dans deux structures différentes.
Dans le cadre du projet, les groupes des municipalités reçoivent une fois par mois un atelier, sur des thèmes de santé, mais également socio-politique, dans l’idée de se préparer à intégrer des organes de décision au niveau local et municipal pour défendre des propositions d’amélioration dans le domaine de la santé.
En parallèle, la CODECOT gère sa propre clinique, titulaire d’une licence sanitaire officielle, qui reçoit les femmes enceintes et les couples et les jeunes enfants, leur proposant un suivi de grossesse, des soins en santé mentale, et un suivi des petites maladies infantiles jusqu’à 5 ans.
L’élément novateur de ce projet, c’est que la CODECOT a développé son propre cursus de formation pour les SFT. D’une durée de deux ans, il vise à de garder le meilleur de la médecine classique et de la médecine traditionnelle, de façon à éviter certaines pratiques dangereuses encore existantes et donc améliorer le niveau de qualification des sages-femmes sans renier leur savoir traditionnel.
Au Guatemala, la formation de sage-femme n’existe pas dans le cursus académique public (elle a existé jusqu’au milieu des années 50). Selon les derniers chiffres disponibles, le ministère de la santé recense environ 23’300 SFT (Ministère de la santé du Guatemala, 2015). Elles seraient en réalité bien plus, car toutes ne sont pas identifiées auprès d’une “Area de salud”, la représentation locale du ministère, ce qui est la règle pour pouvoir pratiquer officiellement. Même constat concernant le pourcentage d’accouchements pris en charge, 32,2% du total des accouchements en 2013 (Ministère de la santé du Guatemala, 2015). Dans les zones rurales du nord-ouest du pays, ce pourcentage grimpe régulièrement au-dessus de 60%.
Quand on lit des témoignages des femmes exerçant en tant que SFT, il apparaît très clairement qu’il s’agit plus d’une vocation que d’un métier. La SFT opère par tous les temps, se déplace dans des régions souvent difficiles d’accès, de nuit comme de jour, est souvent payée à un prix dérisoire ou par des dons en nature et ne possède aucune assurance. Jeune ou âgée, elle a appris le métier par sa mère, souvent elle-même sage-femme, ou une femme de sa famille ou de sa communauté. Dans les communautés reculées, où l’accès aux soins est basique ou carrément inexistant, elle est souvent le seul recours de santé présent. Elle peut également représenter la porte d’entrée vers les structures de soins, car elle a mission de référer les femmes lors de possibles complications.
Quand on lit des témoignages des femmes exerçant en tant que SFT, il apparaît très clairement qu’il s’agit plus d’une vocation que d’un métier. La SFT opère par tous les temps, se déplace dans des régions souvent difficiles d’accès, de nuit comme de jour, est souvent payée à un prix dérisoire ou par des dons en nature et ne possède aucune assurance.
La SFT ne s’occupe pas uniquement des accouchements. Elle réalise le contrôle prénatal, procède à l’accouchement si celui-ci n’est pas identifié comme étant à risque et prend soin de la mère et du bébé durant la période des 40 jours qui suivent l’accouchement. Elle aide la femme à plusieurs niveaux ; physique, moral, domestique – elle peut par exemple l’aider à tenir sa maison pour lui permettre de se reposer, s’occuper des aînées si besoin. Ses compétences couvrent également les petites maladies infantiles, dans certains cas jusqu’à 3 ans. On vient aussi la consulter pour des problèmes familiaux, c’est en général une personne respectée qui jouit d’une certaine considération dans sa communauté.
La SFT s’est longtemps heurtée (et parfois encore aujourd’hui) au racisme très présent dans la société guatémaltèque, notamment lorsqu’elle accompagne une femme à l’hôpital. On la blâme d’avoir tardé à amener la patiente, on lui interdit de rester avec elle, on l’accuse de favoriser les infections, on ne comprend pas ce qu’elle dit... Elle subit ainsi, suivant ses origines, la double ou triple peine; femme, indigène, venant d’un milieu rural.
Néanmoins, elle reste une actrice incontournable du système de santé materno-infantile guatémaltèque. L’association des services communautaires des services de santé (ASECSA), rapportait les observations suivantes dans un document de 2014 : « Les peuples indigènes possèdent un système de santé reposant sur leurs principes de cosmovision, ils répondent à une épidémiologie socio-culturelle qui leur est propre (…) Une grande partie de la population accepte et a recours à ce système pour des raisons identitaires, et pas uniquement comme alternative. D’où la permanence historique (de ce système indigène) en parallèle avec le système officiel/occidental ». (ASECSA, 2014)
Faire collaborer harmonieusement médecine officielle et système traditionnel dans le but d’assurer un service de qualité pour les habitantes de la région, voilà tout l’enjeu actuel.
La mortalité maternelle a été déclarée priorité nationale de santé pour la première fois à la fin des années 90. Les gouvernements suivants ont mis en place divers plans d’actions qui n’ont pas montré de résultats probants. Les statistiques étaient difficiles à obtenir, en raison du niveau élevé de sous-enregistrement des morts maternelles, les certificats ne mentionnant pas les causes des décès. Ceci a mené différentes institutions nationales et internationales à réaliser la première ligne de base de la mortalité maternelle dans le pays pour l’année 2000, qui a mis en lumière un taux de mortalité maternelle de 153 décès pour 100’000 naissances vivantes, chiffre élevé lorsque comparé à des pays avec un niveau similaire de développement économique et social (Kestler, Edgar, 2016).
Il est important de souligner que le rôle-clé des SFT dans la lutte contre la mortalité maternelle avait depuis longtemps été reconnu par le ministère de la santé. Dès 1955, un décret du ministère de la santé autorise l’extension du droit de pratiquer des accouchements aux SFT qui auront passé un test d’aptitudes. Le programme de formation sera étendu par la suite, avec la création de la division de santé materno-infantile en 1969 au sein du ministère. Actuellement, les SFT doivent suivre chaque mois un cours d’actualisation dans le centre de santé de la municipalité à laquelle elles sont rattachées.
Il faut rattacher ce fait à un contexte particulier. Dans les années 70 et 80, les instances internationales encourageaient la formation des SFT comme moyen de lutter contre la mortalité maternelle. Devant le manque de résultats, cette stratégie a fait l’objet de débats virulents entre expertes, certaines arguant que l’argent investi aurait mieux servi à former du personnel qualifié, d’autres que les formations n’étaient souvent pas adaptées au public visé (données en espagnol et non en langue native, trop techniques). Au milieu des années 90, l’accent a été mis sur l’importance dela prise en charge par du personnel formé.
Au Guatemala, pourtant, la formation des SFT est une donnée constante. Dans les années 2000, divers programmes et plans d’action plus ambitieux se mettent en place autour de la mortalité maternelle, qui tous soulignent la nécessité de travailler aux côtés des SFT, en développant, ce qui est nouveau, une vraie politique de la SFT. Il faudra attendre 2015 pour que cela advienne, avec un document intitulé “Politique nationale des sages-femmes traditionnelles des quatre peuples du Guatemala 2015-2025”, qui prévoit toutes une série de mesures basées sur quatre axes:
Au Guatemala, pourtant, la formation des SFT est une donnée constante. Dans les années 2000, divers programmes et plans d’action plus ambitieux se mettent en place autour de la mortalité maternelle, qui tous soulignent la nécessité de travailler aux côtés des SFT, en développant, ce qui est nouveau, une vraie politique de la SFT.
Là aussi, le contexte a eu son rôle à jouer. Les accords de paix signés à la fin du conflit armé, en 1996, promettaient une ère nouvelle, l’inclusion des peuples indigènes dans toutes les sphères de la société, y compris la santé. Le concept de pertinence culturelle a pris de l’ampleur. En 2009, l’Unité de prise en charge de la santé des peuples indigènes et de l’interculturalité a vu le jour, au sein du ministère de la santé. Des normes de pertinences culturelles dans les services de santé ont été définies en 2011. Tout cela concorde avec un intérêt renouvelé pour les médecines traditionnelles et alternatives partout dans le monde, sous l’oeil intéressé et bienveillant de l’OMS. En 2010, cette dernière avait annoncé son projet de créer une base de données pour classifier les différentes pratiques au niveau international.
Les intentions sont là, reste à les appliquer. Sur le papier, la SFT et les savoirs traditionnels ont pleinement leur place. Pourtant, avec un système de santé publique perpétuellement au bord de la faillite, des dépenses en santé parmi les plus faibles du continent et après avoir affronté deux années de Covid-19, le pays n’est actuellement pas vraiment préparé pour mettre ce programme en oeuvre.
D’autre part, même si la SFT a un rôle-clé à jouer, de multiples facteurs entrent en ligne de compte dans la lutte contre la mortalité maternelle: plus de transport publics, des voies d’accès aux communautés plus nombreuses et bien entretenues, du personnel médical qualifié en nombre suffisant, un meilleur accès aux méthodes de contraception, une éducation sexuelle pour les jeunes, plus d’égalité dans les relations de genre, la fin de la dénutrition chronique dans certains départements, etc...
Les intentions sont là, reste à les appliquer. Sur le papier, la SFT et les savoirs traditionnels ont pleinement leur place. Pourtant, avec un système de santé publique perpétuellement au bord de la faillite, des dépenses en santé parmi les plus faibles du continent et après avoir affronté deux années de Covid-19, le pays n’est actuellement pas vraiment préparé pour mettre ce programme en oeuvre.
La SFT possède un rôle social et sanitaire indéniable. Elle représente un lien entre la population et le système de santé officiel. Au vu du manque de personnel de santé disponible et qualifié en zone rurale, voire de l’abandon total dans lequel vit une partie de la population, ainsi que pour des raisons culturelles, la nécessité de sa formation ne peut pas être questionnée.
Cependant, malgré leur nécessité, les SFT traditionnelles ne sont pas destinées à compenser la pénurie des agentes de santé à long-terme, car ce n’est pas leur rôle, même si elles remplissent actuellement cette fonction. N’oublions pas que des progrès décisifs en matière de santé maternelle et infantile ont été rendu possibles dans des pays comme la Malaisie et la Sri Lanka à la fin des années 90 par des mesures de réduction de la pauvreté, la formation de personnel qualifié, l’élimination de certaines barrières économiques dans l’accès aux soins materno-infantiles (World Bank, 2003).
Idéalement, le système de santé guatémaltèque, devrait fournir à tous les départements du pays une couverture complète de soins de base et spécialisés, aux côtés de la médecine traditionnelle, qui doit continuer à rester entièrement accessible à celles et ceux qui le souhaitent.
Une nouvelle en forme de mot de la fin: le 16 mars dernier, le Congrès du Guatemala a approuvé deux décrets prévoyant l’établissement d’une “Journée nationale de la sage-femme guatémaltèque”, ainsi que l’octroi d’un montant symbolique de 3’000 quetzals (384.- frs) par an pour les sages-femmes ayant une autorisation officielle de pratiquer.