By Béatrice Faidutti, Aude Martenot, Thierry Tschoumy, Gail Womersley, et Andréa Rajman
La santé mentale : Où en est-on aujourd’hui ? La santé mentale englobe la promotion du bien-être, la prévention des troubles mentaux, le traitement et la réadaptation des personnes qui en sont atteintes. Près de 450 millions de personnes à l’échelle mondiale sont concernées et il est important de rappeler combien les jeunes sont touchés et particulièrement vulnérables par rapport à cette problématique de santé.
Les problèmes de santé mentale représentent 16% de la charge mondiale de morbidité et de blessures chez les jeunes âgés de 10 à 19 ans. L’adolescence est une période de remaniement identitaire physique, psychique et social, où de nombreux comportements à risque (ou de protection) débutent ou sont consolidés. La moitié des problèmes de santé mentale rencontrés à l’âge adulte se déclare pendant ou avant l’adolescence. En Europe, par exemple, 17 millions de jeunes (soit près de 20% ou un cinquième de la population de ce groupe d'âge) souffre de problèmes mentaux et comportementaux qui deviennent une charge importante pour les adolescents.
Trop souvent stigmatisée et ignorée, la santé mentale et psycho-sociale est une composante essentielle des soins de santé, notamment dans les situations de crises et de conflits. Les adolescents en particulier portent une part importante de la charge mondiale des maladies et des traumatismes, et leur prise en compte est primordiale pour réaliser les objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030 de l’ONU.
Medicus Mundi l’a rappelé lors de sa table ronde, en collaboration avec Médecins du Monde Suisse, à Genève le 19 septembre 2019, qui avait pour thème « La santé mentale des jeunes et ses défis : quelle approche adopter dans des situations culturelles différentes ? ».
Une vingtaine de personnes ont participé à cette table ronde, dont des bailleurs de fonds, des chercheurs et des chargés de projets de la coopération internationale travaillant sur la thématique de la santé mentale chez les jeunes, ainsi que des psychothérapeutes qui prennent en charge, à Genève, des jeunes issus de la migration.
Deux interventions ont permis de présenter deux expériences de terrain concernant la prise en charge et l’amélioration de la santé mentale chez les jeunes.
La présentation du projet de Médecins du Monde Suisse en Palestine a mis en avant les axes suivants : ce projet se situe dans un village et dans un camp de réfugiés des environs d’Hébron et porte sur les mineurs à leur sortie des prisons israéliennes. Dans ce cadre, la prise en charge en santé mentale s’avère essentielle pour ces jeunes qui sont exposés à une grande variété de stress contextuels et politiques depuis leur enfance et particulièrement lors de leur détention. On estime que chaque année 700 enfants sont arrêtés, détenus et jugés dans le système israélien. L’approche retenue fut celle du travail social de rue, avec un premier objectif de tisser un lien de confiance et un second objectif visant la construction de projets positifs qui ont permis d’organiser des activités thérapeutiques (théâtre, photo) et de loisirs (football, piscine). Des projets personnalisés ont également été mis sur pied : réinsertion scolaire, formation professionnelle, soins psychothérapeutiques en groupes et individuels. Autant de programmes négociés avec les partenaires du réseau en place. En parallèle, un travail a été mené avec les familles des enfants durant leur détention ou à la sortie de celle-ci : soutien et accompagnement thérapeutique pour les mères, construction de projets portant sur leurs demandes (par exemple : apprendre l’hébreu pour comprendre les discussions des soldats dans les prisons).
La pérennisation de ce projet a été envisagée par l’axe du peer-to-peer : à savoir identifier parmi les adolescents suivis ceux ayant le plus de compétences en résilience, de sociabilité, voire de charisme. Ceux-ci ont été formés à des notions de base du travail social de rue, afin de pouvoir devenir les intervenants de « premier front » pour les jeunes sortant de prison. Le vécu commun partagé et la proximité de l’âge permettent une identification et une confiance immédiates, moyennant un travail de supervision pour ces jeunes. Cette stratégie a porté ses fruits puisqu’en fin de programme, 100% des jeunes issus de ces deux localités et sortant de prison, rejoignaient le projet et des résultats positifs en matière de traitement et d’intégration sociale ont pu être observés.
Cette approche « peer-to-peer » ainsi que la prise en compte des familles sont les deux axes particulièrement novateurs de ce projet, visant à donner à la communauté les compétences de s’occuper de ces enfants et adolescents sortant d’une expérience traumatisante.
Dans le cadre de son intervention, l’Association Appartenances-Genève a présenté une « vignette clinique » illustrant le suivi psychothérapeutique d’un jeune adulte migrant, arrivé en Suisse en 2016 en tant que réfugié mineur non-accompagné (RMNA), et le travail accompli auprès de ce jeune
A l’issue de ces deux présentations complémentaires, portant sur des contextes très différents, un échange a permis de mettre en évidence des problématiques transversales sur les activités menées en Suisse et à l’étranger.
La question du genre s’est rapidement imposée comme une thématique commune : en matière de santé mentale, c’est un axe dont on doit absolument tenir compte et qui a été souligné, tant dans la présentation de MdM sur le projet Palestine, que dans l’étude du cas exposée par Appartenances-Genève en Suisse. Dans certaines cultures il a été relevé que la sexualité est un tabou. Un sujet particulièrement sensible chez les jeunes femmes prises en charge. De plus, une réflexion sur la violence sexuelle et les aspects thérapeutiques pour y répondre doit être menée dans nos actions de santé mentale.
L’importance de se focaliser non seulement sur la « pathologie » de psycho traumatisme, mais également sur les aspects de résilience (voies de résistance, bien-être et créativité parmi les jeunes) a également été mentionnée.
Les participants ont également relevé l’importance et la pertinence des projets de « peer to peer » mis en œuvre par Médecins du Monde qui répondent à un souci d’autonomie, de pérennité et de légitimité dans un contexte de violence.
Les participants ont constaté que plusieurs aspects de la réalité du terrain se sont avérés être similaires, malgré des contextes divers, que l’on parle d’enfants palestiniens ex-détenus ou de jeunes migrants arrivés en Suisse après avoir vécu les traumatismes de l’exil et du parcours migratoire. L’impact du syndrome du « héros » permettant la survie tout en entravant l‘expression des sentiments a été évoqué à plusieurs reprises
On peut encore mentionner la question de l’interprétariat qui a été évoquée dans toutes les interventions (échanges en hébreu dans les prisons israéliennes pour des enfants et des parents parlant arabes ; communication par le biais d’interprètes avec les jeunes mineurs non accompagnés en Suisse).
Les participants ont vivement insisté sur le fait que la santé mentale reste le « parent pauvre » dans la santé, et dans l’action humanitaire en particulier. Elle peut être considérée comme un « luxe » qui vient bien après d’autres besoins sanitaires. D’où le besoin de faire du plaidoyer et de trouver des fonds pour soutenir les projets. Mais cette reconnaissance de l’importance de la santé mentale ne pourra s’effectuer que si les différents acteurs en santé mentale renforcent leur collaboration et élaborent un discours cohérent sur leur pratique En particulier, la question de l’évaluation des actions (« monitoring ») en santé mentale est primordiale : sur quels critères la mener, comment défendre le bien-fondé de nos actions? Les participants insistent: « C’est sur ces aspects que la construction d’un discours clair manque encore. Et c’est pourtant le préalable à la revendication d’une juste place de la santé mentale dans le champ de la santé globale. »
Durant cette table ronde, les participants ont souligné l’utilité d’un travail en réseau et de partage, plus particulièrement sur une thématique telle que la santé mentale des jeunes. En effet, les organisations font face aux mêmes problèmes d’approche malgré des contextes différents. De plus, il est important de partir des besoins des bénéficiaires et de la réalité du contexte : « En Suisse, cela signifie qu’il est essentiel, pour leur santé mentale d’accompagner les jeunes migrants au-delà de leur stricte majorité » souligne Béatrice Faidutti.
Ce fut également l’occasion de rappeler que la santé mentale représente une dimension centrale du bien-être sanitaire, et que l’adolescence est un moment clé dans le parcours de vie. Tous deux méritent donc une attention soutenue.
Appartenances-Genève est une association à but non lucratif, active dans le domaine des soins psychologiques et le soutien à l’intégration des familles migrantes et des personnes ayant subi des violences collectives. Son équipe clinique développe des interventions et des programmes de soins spécifiques aux problématiques du traumatisme, de l’intégration et de l’adaptation psycho-sociale dans le contexte de la migration.
Médecins du Monde Suisse est une organisation humanitaire médicale indépendante. Sa mission consiste à fournir un accès durable à la santé aux personnes et groupes en situation de vulnérabilité, en Suisse et dans le reste du monde. L’amélioration du bien-être physique, mental et social fait partie intégrante de la mission de l’organisation et demeure un objectif commun aux domaines d’action principaux de son programme : santé et droits sexuels et reproductifs (SDSR) – violences – soins palliatifs pédiatriques (SPP). La stratégie d’intervention de MdM Suisse s’inscrit dans le cadre des ODD des Nations Unies 3, 5 et 16. Dans le cadre de ses programmes, MdM donne une priorité aux contextes fragiles et aux populations les plus vulnérables, les femmes et les enfants.
La Centrale Sanitaire Suisse romande est une association modeste et atypique qui soutient depuis 1937 celles et ceux qui luttent pour une société plus juste. Elle apporte une aide sanitaire à des organisations de base dans plusieurs pays du Sud qui s’engagent pour un meilleur accès aux prestations médicales.
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