Von Elisabeth Le Saoult
En un an, environ 1 030 patients ont été pris en charge avec un traitement aux anti-rétroviraux (ARV) dans les différents hôpitaux centraux et provinciaux au Cameroun. A travers une mobilisation nationale, le SIDA est devenu une priorité de santé pour le gouvernement du Cameroun.
Il est difficile de faire la part des choses dans cette prise de conscience récente pour un gouvernement qui n’était pas très actif dans ce domaine il y a encore un an et demi. Il semble de l’avis de beaucoup que la campagne d’accès aux médicaments et son appropriation au sein de la société civile camerounaise à travers la mobilisation des associations ainsi que des différents acteurs de santé a pu jouer un rôle non négligeable. Oui, une tri-thérapie générique de qualité est possible à un prix de plus en plus abordable pour un camerounais au revenu moyen!
L’autre élément rapporté lors de nos discussions informelles avec les médecins et des camerounais rencontrés au travers les activités de MSF est qu’il n’y a « pas une famille qui ne soit touchée par le SIDA d’une manière ou d’une autre » nous dit ce médecin de l’hôpital provincial de N’Gaoundere qui a déjà à ce jour 38 patients suivis pour tri-thérapie au sein de son service de médecine. En effet, le Cameroun est un pays fortement touché par l’épidémie de SIDA, où l’on enregistre une prévalence nationale officielle de 11% (source : Centre National de Lutte Contre le Sida ) et des prévalences beaucoup plus élevées dans les groupes à haut risque, respectivement de 15% chez les militaires et de 20 à 45 % chez les femmes prostituées.
MSF a débuté en janvier 2001 les premiers traitements anti-rétroviraux à Yaoundé. Ce projet est basé sur un accord de partenariat, signé en novembre 2000 avec l’Institut de Recherche pour le Développement et l’hôpital militaire de Yaoundé. Les objectifs de ce projet pilote sont de fournir des médicaments efficaces pour prolonger l’espérance de vie des patients vivant avec le SIDA à 150 patients (actuellement 47 patients suivis dans la cohorte MSF) et de démontrer que la mise en place et le suivi des patients sous tri-thérapies sont possibles dans les pays en voie de développement. D’autre part, un grand volet du projet MSF est de contribuer fortement à ce que de telles thérapies soient de plus en plus accessibles aux camerounais dont le pouvoir d’achat est faible. A travers l’utilisation des moyens disponibles, juridiques et pharmacologiques de la Campagne d’accès aux médicaments essentiels, un tel volet a pu être réalisé.
Sur le plan juridique une recherche sur les brevets existant au Cameroun pour permettre l’entrée des génériques a été faite. Grâce à un bon échange d’information, les offres publiques des grands laboratoires pharmaceutiques et des compagnies de génériques et suivies par MSF ont pu être diffusées directement aux responsables de la centrale d’achat du Cameroun, pour qu’ils puissent bénéficier des meilleurs prix. Ainsi une tri-thérapie/année/patient composée de Lamivudine, Zidovudine et Névirapine est passée d’environ 10 000 USD en 2000, à 3000 USD en mi-année 2001 pour être actuellement à 750 USD. La combinaison de la TRIOMUNE (Stavudine, Lamivudine, Névirapine), non encore validée pour les programmes MSF pour des incertitudes sur l’assurance de la qualité est actuellement utilisée largement dans les programmes nationaux au prix de 358 USD, ce qui rend la tri-thérapie combinée actuellement accessible à un plus grand nombre. Ce travail de diffusion et d’échange d’information a été fait au niveau des interlocuteurs principaux et outre la centrale d’achat, le Centre National de Lutte contre le Sida, la Direction de la Pharmacie et du Médicament, les différents intervenants dans la prise en charge des patients au niveau des hôpitaux et des associations. Une liste des médicaments traitant les infections opportunistes a été établie conjointement entre le ministère de la santé, MSF et les différents hôpitaux prenant en charge les patients du SIDA. Du fait de la bonne connaissance qu’ont des compagnies de génériques les pharmaciens travaillant à la Campagne d’accès aux médicaments essentiels, la mise en relation entre les producteurs et le ministère de la santé a été facilitée.
Deux ateliers d’information, de sensibilisation et de travail se sont tenus à Yaoundé. L’un en avril 2001 réunissait les ministres de la santé de la zone OAPI1 pour les sensibiliser notamment aux conséquences plus restrictives dans l’accès aux traitements des accords de Bangui révisés. L’autre en novembre 2001 réunissait la société civile camerounaise : représentants d’ONG de la santé, du développement, des personnes vivant avec le VIH, de consommateurs et de syndicats des professionnels de santé. Etaient présents également, des représentants du Ministère de l’Industrie et du Commerce en charge de la propriété intellectuelle, de la Direction de la Pharmacie et du Médicament du Ministère de la Santé et l’ancien directeur de l’OAPI. Après diverses présentations et l’établissement d’un état des lieux en matière d’accès aux médicaments, des travaux de groupes ont eu lieu et ont débouché sur des propositions concrètes. Parmi ces propositions, on note la création d’un comité de travail qui se penchera sur le texte des ADPIC2 renforcés par la déclaration de Doha et son implication par rapport aux accords de Bangui 99 en cours de ratification en ce moment. Ce groupe devra aussi travailler sur le point 6 de la déclaration de Doha concernant les pays n’ayant pas de capacité de production locale.
Une tri-thérapie plus accessible c’est bien, mais ce n’est qu’un aspect du problème. En effet, le suivi biologique minimum annuel d’un patient est actuellement plus cher que les médicaments puisqu’il se chiffre à environ 445 USD3, sans parler des coûts indirects du traitement qui ne sont pas pris ici en compte (logement, transport…). La recherche de tests moins chers fait partie des priorités de la Campagne en 2002.
Une tri-thérapie à 358 USD c’est bien mais c’est encore trop cher pour la majorité des camerounais. Donc il faut continuer à se battre pour pouvoir bénéficier de la compétition entre les producteurs de génériques, échanger à travers le réseau de la Campagne les prix pratiqués dans les différents pays puisse avoir accès au meilleur prix.
1’030 patients sous ARV c’est bien, mais c’est encore trop peu, si l’on songe aux 1 500 000 personnes vivant avec le VIH et aux 600 000 personnes malades du SIDA. La chute spectaculaire des prix des traitements a réellement favorisé l’accès d’une frange de la population au traitement du SIDA, malheureusement, cette population est la plus aisée du pays. MSF peut et doit faire plus en ouvrant la possibilité d’inclure plus de patients sous traitements et suivi biologique gratuits, en ciblant les patients les plus vulnérables.
*Dr. Elisabeth Le Saoult est Coordinatrice de la campagne d’accès aux médicaments essentiels chez Médecins Sans Frontières Suisse. Contact : office-gva@geneva.msf.org ; Internet: www.msf.ch ; www.accessmed-msf.org