Von Alphonse Um Boock
De 1994 à 1999, la Direction suisse de la coopération (DDC) a appuyé le développement du district de santé au Cameroun. L’une des grandes originalités de ce programme a été le développement de dynamiques sociales qui ont abouti à des systèmes de solidarité communautaire pour financer les soins. Le cas de la mutuelle de santé ASIPES (Association Islamique pour la Promotion de l’Education et de la Santé) est une expérience très intéressante, mais qui demande encore d’être soutenue par les autorités sanitaires du Cameroun.
Avec ses 380’000 habitants, la zone Nylon est un des quartiers les plus peuplés du Cameroun. C’est un bidonville situé dans la banlieue de Douala, capitale économique du Cameroun. La pauvreté y est très frappante, mais l’instinct de survie demeure fort. La couverture sanitaire reste très faible et les populations se déplacent sur de longues distances pour résoudre leurs problèmes de santé.
Depuis 1994 , le Gouvernement du Cameroun, avec l’appui financier de la Coopération Suisse, a commencé le développement d’un district de santé dans cette zone. L’un des objectifs visés était de construire des services de santé autogérés et autofinancés par les populations bénéficiaires. C’est dans cette logique que ces populations ont développé plusieurs mécanismes de financement des soins, dont les mutuelles.
Au moment de sa création, la mutuelle de santé ASIPES (Association Islamique pour la Promotion de l’Education et de la Santé) comptait 1700 adhérents; à présent, elle regroupe environ 8000 membres. Au début, seuls des musulmans habitant la zone Nylon pouvaient être membres de l’association et bénéficier de ses services. Aujourd’hui, toute personne, quelle que soit son appartenance religieuse, peut adhérer, mais les membres non musulmans restent néanmoins l’exception. Les leaders religieux musulmans ainsi que les chefs traditionnels sont membres d’honneur.
De 25 FCFA initialement, la cotisation est passée à 50 FCFA par tête et par semaine. Cette somme est collectée tous les vendredis à la sortie de la mosquée par l’imam lui-même. Il faut noter que l’association vit grâce aux contributions des membres et de dons venant des membres d’honneur. La gestion des fonds est assurée par un comité formé de membres de l’association.
Afin de faciliter ses activités, l’ASIPES s’est dotée d’un statut légal ainsi que d’un règlement interne. Une convention de collaboration a été signée avec un centre de santé intégré, dans un premier temps, puis avec l’hôpital du district de Nylon. Cette convention prévoit entre autres un contrôle de la facturation des soins par l’association.
Pour mieux satisfaire les obligations de la mutuelle, des efforts importants ont été consentis pour adapter les soins dans toutes les structures sanitaires impliquées. Par exemple, les autorités sanitaires ont garanti que les femmes adhérentes ne peuvent être examinées que par un personnel médical féminin. D’une façon générale, des dispositions ont été prises pour assurer la disponibilité des médicaments essentiels.
Les cotisations mensuelles sont passées de 170’000 FCFA à 1’600’000 FCFA par mois, traduisant de fait une forte adhésion de la population. Par contre, l’évolution du coût mensuel moyen des factures est moins favorable, passant de 157’000 FCFA pendant la première année à 2’800’000 FCFA à la fin de l’année 1999. En moyenne, 30% des adhérents utilisent mensuellement la mutuelle pour leur problèmes de santé. Les maladies aiguës telles que le paludisme, qui constituent la première cause de consultation, consomment environ 70% des recettes de l’association, alors que les cas chroniques tels que la tuberculose absorbent moins de 10% des recettes. Ce qui montre bien que la mutuelle répond aux besoins réels de ses adhérents, pour qui la préoccupation majeure concerne les maladies aiguë. Il faut toutefois rester prudent, car les maladies chroniques gagnent de l’ampleur et leur impact sur les coûts sera considérable. Pour le moment, cela ne pose pas de problème économique, vu qu’une bonne partie des patients souffrant d’une maladie chronique, à l’exception de la tuberculose, préfèrent encore la médecine traditionnelle. D’autres maladies chroniques, comme le diabète et l’hypertension, concernent surtout les populations plutôt aisées, qui préfèrent parfois se prendre en charge par elles-mêmes.
Si l’on compare l’évolution des recettes à celle des charges, la mutuelle est largement déficitaire, malgré une augmentation de 50% de la cotisation par adhérent et l’accroissement du nombre de ces derniers. Mais comme les leaders communautaires, en particulier le chef du quartier - un homme d’affaire très aisé - , garantissent les déficits de trésorerie avec leurs propres ressources, les membres de cette association ont entamé une réflexion sur la viabilité de l’approche. Plusieurs possibilités sont envisageables:
Toutefois, les perspectives sont prometteuses, car la communauté est consciente qu’elle a démarré avec succès un système de solidarité pour faire face aux énormes problèmes de santé. Ces efforts sont reconnus par les autorités sanitaires aux niveaux régional et national, ce qui est un atout pour la viabilité de cette initiative.
*Alphonse Um Boock est médecin-chef du district de santé de Nylon, Douala, Cameroun.