Von Pierre-Marie Preux und Peter Odermatt
Malheureusement, l’épilepsie fait l’objet de nombreux préjugés, de stigmatisations et discriminations. Ce dédain a plusieurs conséquences : il limite la recherche d’un traitement pour les malades et la formation des professionnels pour y parvenir. Mépriser l’épilepsie a aussi pour conséquence de priver les épileptiques du droit à une vie normale.
L’épilepsie est la plus courante des affections neurologiques graves. On estime à quelques 50 millions le nombre de personnes qui en souffrent dont trois quarts, 40 millions, dans les pays en développement. La prévalence moyenne de l'épilepsie se situerait aux environs de 0.9% de la population mondiale. Certaines études menées dans des pays en développement en Afrique et en Amérique du Sud suggèrent une prévalence plus élevée, jusqu’à deux pour cent de la population. Le nombre de nouveaux cas par an pourrait y atteindre presque 0,1%, soit deux fois plus que dans les pays industrialisés. L’épilepsie est donc l’une des maladies non transmissibles les plus répandues dans le monde et ceci principalement dans les pays à faibles revenus. Compte tenu du rythme de la croissance démographique de ces pays, l’épilepsie représente une lourde charge sanitaire et socio-économique face à laquelle des mesures s’imposent. Ce défi constitue un des objectifs de l’organisation mondiale de la santé (OMS).
L'épilepsie est un désordre neurologique. Elle se caractérise par une tendance à des crises récurrentes. En effet, le mot épilepsie vient du grec epilepsia, qui signifie attaque. Une personne épileptique a subit au moins deux « attaques » en 2 jours.
Les manifestations cliniques des crises sont très diverses ce qui pose des problèmes de diagnostic pour des services non-spécialisés. Les crises sont le résultat de décharges électriques excessives soudaines, généralement brèves, dans un groupe de cellules cérébrales. Ces décharges électriques peuvent avoir lieu dans différentes parties du cerveau. Les manifestations cliniques des crises dépendent de la localisation et de la fonction des cellules cérébrales touchées. Les crises peuvent entraîner une désorientation ou une perte de conscience, des troubles du mouvement ou de la vision, de l'audition ou du goût et entraîner des troubles de la fonction mentale et de l'humeur.
Elles peuvent aller de la plus petite perte d'attention ou de la secousse musculaire à des convulsions sévères et prolongées. Elles peuvent varier en fréquence de moins d'une fois par an à plusieurs fois par jour. L'épilepsie peut être classée, selon la localisation du cerveau où ont lieu les décharges. On distingue l’épilepsie partielle ou « petit mal » où les décharges neurologiques sont localisées de l’épilepsie généralisée « grand mal » où toutes ou plusieurs zones du cerveau sont touchées.
Les causes de l’épilepsie ne sont pas encore toutes connues malgré les avances dans la recherche neurologique et de son mécanisme ces dernières années. Pour beaucoup patients la cause est dite idiopathique. On ne sait pas bien pourquoi les crises se produisent à un âge ou à un moment particulier et pas à d'autres. On sait cependant qu'il existe des facteurs déclenchants chez certains patients, par exemple certains effets de scintillement (discothèques, télévision, etc.), l'hyperpnée, l'hyperhydratation, le manque de sommeil, le stress émotif ou physique ou la prise de certains médicaments, la consommation de drogue ou d’alcool. Ces facteurs ne sont pas les causes de l'épilepsie, mais ont une influence sur le moment où se produisent les crises. L'épilepsie est très souvent, mais pas toujours, le résultat d'une maladie cérébrale sous-jacente. N'importe quelle maladie du cerveau peut provoquer une épilepsie. Dans les pays en voie de développement, les infections notamment parasitaires sont des causes d’épilepsie plus fréquentes que dans les pays où les infrastructures et les contrôles alimentaires permettent une meilleure hygiène.
Malgré les connaissances limitées des causes de la maladie, des traitements efficaces sont disponibles. De récentes études menées dans des pays développés et en développement ont montré que jusqu'à 70% des enfants et des adultes chez qui le diagnostic d'épilepsie venait d'être posé pouvaient être traités avec succès au moyen de médicaments antiépileptiques. Après cinq ans de traitement réussi, les médicaments peuvent être supprimés chez environ 70% des enfants et 60% des adultes, sans risque de rechute.
La forte mortalité associée à l’épilepsie explique le relativement faible nombre de cas épileptiques chroniques par rapport au grand nombre de nouveaux cas par an. Elle est due à plusieurs facteurs : des maladies cérébrales sous-jacentes (une tumeur ou une infection), à des crises survenant dans des circonstances dangereuses qui sont à l’origine de noyade, brûlures, traumatisme crânien, ou à des causes soudaines et inexpliquées comme un arrêt respiratoire ou cardio-respiratoire possible pendant une crise. Il est aussi suspecté qu’une cause sous-jacente d’un suicide puisse être l’épilepsie.
L’écrasante majorité des individus atteints d’épilepsie ne bénéficie d’aucun traitement. Ce fossé thérapeutique est particulièrement prononcé dans les pays à faibles revenus. A titre d’exemple, sur le continent américain, on estime que 3,5 millions des 5 millions d’épileptiques (soit 70%) ne sont pas traités. En Afrique, il y a seulement un neurologue pour 4 millions de personnes… Or, des recherches menées au Royaume-Uni, ont montrées que cette attitude de négation a un coût social et économique élevé : 70% des coûts estimés de l’épilepsie en Grande-Bretagne sont liés à une mortalité et à une invalidité précoces, ce qui entraîne des besoins en termes de soins et de perte de productivité.
L’incidence de l’épilepsie est au moins double dans les pays en voie de développement. Les principales raisons sont le risque plus élevé des pathologies cérébrales. Ces risques incluent des infections neurologiques comme la méningite ou le paludisme, des complications obstétricales pré- et postnatales, des conséquences de la malnutrition, et aussi des traumatismes cérébraux (accident de route ou autre). Seulement ces dernières années, on a commencé a reconnaître l’importance des parasitoses. La neurocysticercose, par exemple, est une maladie fréquemment observée chez les personnes atteintes d’épilepsie dans les pays en développement, et une étude faite au Pérou a conclu que c’était l’une des principales causes de crise d’épilepsie en Amérique latine. Le paludisme sévère et ses convulsions pourraient être une cause indirecte d’épilepsie même après traitement de l’épisode de paludisme. L’insuffisance des structures sanitaires et de la formation du personnel ont pour conséquence une mauvaise prise en charge des femmes et des nourrissons pendant et après l’accouchement.. Ainsi, au Nigéria, une étude faite sur des nourrissons atteints d’épilepsie a révélé que 48% des cas étaient dus à une asphyxie, une infection ou une hypoglycémie à la naissance. En Afrique du Sud, on a constaté que, chez 50% des enfants souffrant de crises répétées, la maladie était apparue avant l’âge de deux ans ; il y avait des antécédents de complications périnatales dans 32% des cas et de méningite dans 11% des cas.
Le diagnostic de la maladie est handicapé par la stigmatisation de l’épilepsie mais aussi par des connaissances limitées de l’entourage des malades. Des études ont montré que, pour beaucoup, la maladie n’est pas considérée comme curable par la médecine occidentale ; typiquement le malade n’est pas au courant de ses crises, il ne peut pas les décrire. Il est important qu’une personne de l’entourage observe le patient et puisse rapporter la nature des crises. Les manifestations cliniques extrêmement diverses compliquent le travail des médecins ou infirmiers dans les services de santé périphériques qui n’ont bien souvent bénéficié que de trop peu de formation pour assurer un diagnostic et une prise en charge adéquate.
Finalement l’accès au traitement est largement absent dans les pays pauvres. Seulement un patient épileptique sur quatre a accès à un traitement. Idéalement, l’identification du type de médicament devrait se faire lors d’un diagnostic détaillé de la nature et des circonstances des crises. Le Phénobarbital, l’anti-épileptique et l’anti-convulsivant principal disponible sur toutes les listes de médicaments essentiels, est capable de soulager ou guérir 70% des crises d’épilepsie. Le peu d’épilepsies diagnostiquées, le manque de suivi possible des patient, la non disponibilité du médicament plus encore que son coût (5$ par personne et par an pendant plusieurs années) font que très peu de patients suivent un traitement dans les zones périphériques. Au Laos, prenant en compte le faible niveau de formation des pharmaciens, seulement les pharmacies de premier et deuxième niveau ont le droit de vendre des médicaments anti-épileptiques. Les pharmacies de troisième niveau qui constituent 90% des pharmacies au Laos et presque toutes les pharmacies en zones rurales ne sont pas fournies avec ces médicaments.
La Campagne mondiale contre l’épilepsie a été lancée par la Ligue internationale contre l’Epilepsie, le Bureau international de l’Epilepsie et l’Organisation Mondiale de la Santé en 1997. Le but principal de la campagne est de combler le « fossé thérapeutique », c’est-à-dire le nombre de personnes souffrant d’épilepsie qui ne bénéficient pas des prestations des services publics de santé.
La deuxième phase de la campagne : « sortir de l’ombre » a été lancée en février 2001 avec la mise en œuvre de « projets de démonstration » en Argentine, en Chine, au Sénégal et au Zimbabwe. Ces projets feront ressortir les moyens de combler le fossé thérapeutique existant actuellement dans tous les pays en développement.
Les principales actions destinées à atteindre les objectifs de la campagne sont la mise en place et la réalisation de projets de démonstration dans un certain nombre de pays sélectionnés. Ces derniers servent de modèles en vue d’accroître les bénéficiaires au traitement et de réduire les préjugés, d’améliorer l’éducation, la formation et les soins de santé, ainsi que de promouvoir la prévention. Ces projets aident les ministères de la santé à établir des programmes nationaux sur l’épilepsie.
*Dr Peter Odermatt est coordinateur de formation et recherche à l’Institut de la Francophonie pour la médecine tropicale, Vientiane, Laos, peter.odermatt@auf.org. Pr. Pierre-Marie Preux est Professeur de santé publique et d’épidémiologie et Directeur de l’Institut d’épidémiologie neurologique et de neurologie tropicale, Université de Limoges, France, preux@unilim.fr
Quelques références : International League against Epilepsy : www.ilae-epilepsy.org/programs/global2.cfm; Aide Mémoire de l’OMS concernant l’Epilepsie : www.who.int/health_topics/epilepsy/fr/index.html; Ligue Suisse contre l’Epilepsie : www.epi.ch