Von Delphine Sordat Fornerod
En mai 2010, la Directrice générale de l’OMS, Margaret Chan, avait qualifié l’adoption du Code de succès majeur de la 63ème Assemblée mondiale de la santé . Cet événement avait été salué par acclamation, après des négociations qui s’étaient prolongées jusque tard dans la nuit. Six ans plus tard, qu’en est-il de la mise en œuvre de ce Code ? Cet article esquisse un rapide tour d’horizon, aussi bien à l’OMS qu’en Suisse.
Après l’enthousiasme suscité par son adoption, le Code a connu des débuts difficiles. En effet, les dispositifs initialement prévus pour sa mise en œuvre ont largement fait les frais de la réforme entreprise par l’Organisation cette même année, conduisant au démantèlement de l’équipe qui avait porté son élaboration. Les guidelines de mise en œuvre du Code ont été réduites à l’essentiel, de même que le soutien du Secrétariat. Les résultats du premier processus de reporting sur le Code, en juin 2012, ont reflété cette situation préoccupante. Alors qu’un peu plus de la moitié des Etats membres de l’OMS avaient désigné une autorité nationale pour le suivi du Code, seuls 56 pays, majoritairement de la Région européenne, avaient remis leur rapport national. Les informations fournies par les pays n’ont par ailleurs pas pu être mises à disposition sur le site de l’OMS, comme initialement prévu. Le Code semblait alors avoir perdu de son importance au sein même l’Organisation qui avait porté son adoption, et le risque était sérieux qu’il ne finisse dans un tiroir.
Mais la dynamique a fort heureusement été relancée avec le 3ème Forum global sur les ressources humaines pour la santé, qui s’est tenu au Brésil fin 2013. La Déclaration de Recife, adoptée à cette occasion, rappelle l’importance du Code, et renouvelle l’engagement politique en faveur du personnel de santé, qui est un élément clé pour atteindre la couverture sanitaire universelle. C’est l’Alliance mondiale pour les personnels de santé (GHWA) qui a assuré le suivi des engagements pris à Recife, et qui a initié un processus consultatif en vue d’adopter une Stratégie globale sur le personnel de santé d’ici à l’horizon 2030. Cette Stratégie sera soumise pour adoption à la 69ème Assemblée mondiale de la santé en mai 2016. Elle réaffirme la nécessité d’utiliser les principes et les articles du Code afin de dégager des solutions au problème des migrations des professionnels de la santé. Elle fixe des échéances à atteindre par les Etats d’ici à 2030. Enfin, elle met l’accent sur le renforcement des systèmes de santé en vue d’atteindre les Objectifs du Développement Durable liés à la santé.
Le contexte de la crise liée à l’épidémie Ebola a aussi cruellement mis en évidence le manque de personnel de santé dans les pays touchés par la crise, et a remis cette thématique au premier plan. Au sein de l’OMS un département en charge des questions de personnel de santé a été remis sur pied, qui chapeaute désormais aussi la GHWA. Une analyse réalisée par un groupe consultatif d’experts mandatés par le Secrétariat de l’OMS montre que le Code reste un instrument pertinent et que les données attestant de son efficacité sont de plus en plus nombreuses. Le travail de développement, de renforcement et de mise en œuvre de cet instrument doit donc être considéré comme un processus continue.
Le 2ème processus de reporting sur le Code, qui s’est déroulé en 2015, a par ailleurs donné des résultats plus réjouissants qu’en 2012 puisque 74 rapports nationaux ont été remis au Secrétariat, et 117 autorités nationales ont été désignées. Le Secrétariat a amélioré l’instrument national de notification, notamment en élaborant un module sur la migration des personnels de santé, en coopération avec l’OCDE et Eurostat. Ce module est destiné à faciliter la collecte de données sur les effectifs et les flux annuels d’entrée de médecins et d’infirmières par pays où ils ont obtenu leur première qualification professionnelle.
La Suisse assure le suivi du Code dans le cadre de sa Politique extérieure de santé, qui met l’accent sur une approche partenariale pour assurer durablement le recrutement d’effectifs suffisants de personnel soignant. L’objectif est de parvenir à des solutions concertées entre tous les acteurs concernés, tant publics que privés. La Suisse a ainsi mis sur pied dès 2008 un groupe de travail interdépartemental sur la migration et les ressources en personnel de santé. Ce groupe réunit les principaux acteurs gouvernementaux concernés, et il est également ouvert aux partenaires intéressés. Il assure notamment la collecte des informations nécessaires à l’établissement du rapport de mise en œuvre par la Suisse du Code.
La Suisse a conclu, en mai 2013, une stratégie de coopération avec l’OMS, qui vise à améliorer la collaboration dans des domaines prioritaires, tel que le personnel de santé. En parallèle elle s’est attachée à renforcer la coopération entre l’OMS et l’OCDE, dans le but d’instaurer un dialogue entre les pays industrialisés, principaux bénéficiaires de la migration, et les pays en développement, qui en subissent surtout les conséquences négatives. La Suisse a ainsi financé plusieurs études sur les tendances des migrations des personnels de santé, parues sous l’égide de l’OCDE. (OCDE 2015; OCDE 2016) Dans leur 2ème rapport sur le système de santé suisse, l’OCDE et l’OMS formulent également des recommandations pour renforcer la planification stratégique, et à l’échelle nationale, des effectifs de santé pour que le système de santé puisse, à l’avenir, répondre à des attentes croissantes et à l’évolution des pathologies.
Au niveau national, la Suisse a également fait du personnel de santé une des priorités de sa stratégie Santé2020, approuvée en janvier 2013 par le Conseil fédéral. L’un des objectifs de cette stratégie est de garantir qu’à l’avenir la Suisse dispose du personnel soignant nécessaire et qu’il ait une formation répondant aux besoins de la population. De fait la Suisse prend depuis plusieurs années des mesures dans le domaine de la formation domestique, en vue de diminuer sa dépendance vis-à-vis de l’étranger et de s’orienter progressivement vers une meilleure autosuffisance. Différents projets sont en cours, dont l’augmentation du nombre de diplômes en médecine humaine, ainsi que l’initiative qui vise à combattre la pénurie de personnel qualifié (« Fachkräfteinitiative »).
Six ans après son adoption, il apparaît donc clairement que le Code demeure un instrument pertinent, qui offre un cadre complet pour le développement des personnels de santé, s’étendant au-delà de la thématique de la migration des personnels de santé. Une fois adoptée, la Stratégie globale sur le personnel de santé d’ici à l’horizon 2030 viendra utilement le compléter, tout en opérant un changement de perspective : l’investissement dans les ressources en personnel de santé sera désormais envisagé non seulement comme un moyen de renforcer les systèmes de santé, mais aussi de favoriser la croissance économique. La création, annoncée le 2 mars dernier par le Secrétaire général des Nations Unies, d'une Commission sur l'Emploi en Santé et la Croissance Economique, illustre cette nouvelle approche, portée à la fois par l’OMS, l’OCDE et l’OIT. Cette Commission sera notamment chargée de formuler des propositions d'actions sur la manière de soutenir la création d’emplois pérennes dans le secteur sanitaire et social, de façon à contribuer à la croissance économique inclusive, en accordant une attention particulière aux pays à revenu faible ou intermédiaire.
La Suisse soutient cette approche et va poursuivre ses efforts en vue d’assurer la diffusion du Code et de progresser dans sa mise en œuvre, en collaboration avec les partenaires de sa politique extérieure de santé.