Session parlementaire de printemps 2024

La Suisse et le traité de l’OMS sur les pandémies

Von Andréa Rajman

Durant la session parlementaire de printemps 2024, une quarantaine de personnes ont participé au premier événement de l’Intergroupe parlementaire santé globale qui a eu lieu le 28 février 2024 à Berne, principalement des conseillèr∙e∙s nationaux∙ales et des député∙e∙s au Conseil des États, mais également des expert∙e∙s en santé globale et/ou en coopération internationale issu∙e∙s d’organisations telles que l’OFSP, le Swiss TPH et le Global Health Centre au Graduate Institute.

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La Suisse et le traité de l’OMS sur les pandémies
Foto: Pazit Polak/flickr.com; CC BY 4.0 Deed

Cet événement a été co-organisé par Medicus Mundi Suisse, SANTD (Swiss Alliance against Neglected Tropical Diseases), la plateforme Swiss Global Health Hub et le Swiss Malaria Group. La thématique portait sur le traité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les pandémies, en cours de négociation lors de la session. L’objectif de cet événement était de mener une discussion factuelle et objective sur ce dossier politiquement très controversé.

Animé par les deux co-présidentes de l’intergroupe parlementaire Santé globale, la présidente du Conseil des États Dre Eva Herzog et la conseillère nationale Regine Sauter, cet événement a offert la possibilité de s’informer et d’échanger avec la responsable suisse des négociations, Madame l’ambassadrice Nora Kronig (vice-directrice de l'Office fédéral de la santé publique, responsable de la division Affaires internationales), la professeur Dre Ilona Kickbusch (experte en santé globale et membre du Global Preparedness Monitoring Board) et le professeur Dr Jürg Utzinger (directeur du Swiss TPH).

En guise d’introduction, Eva Herzog a insisté sur l’importance de la thématique.

Contexte

La pandémie de Covid-19 a mis en évidence plusieurs points faibles dans la coopération internationale et la coordination des acteurs mondiaux de la santé. C’est pourquoi, pour pouvoir anticiper, avec une meilleure prévention et préparation, de futures pandémies au niveau mondial, les 194 pays membres de l’OMS se sont prononcés en faveur d’un traité sur les pandémies sous la coordination de l’OMS. Celui-ci devait être adopté lors de l’Assemblée mondiale de la santé (AMS) en mai 2024. Toutefois, comme il n’y a pas eu d’entente avant l’AMS, aucun texte n’a pu être soumis durant l’Assemblée. Finalement, il a été décidé de prolonger d’une année au maximum les négociations concernant ce traité. Le résultat sera présenté au plus tard lors de la 78ème AMS, qui se tiendra en mai 2025.

Le point de vue de la politique est que la Suisse doit mieux se préparer pour une future pandémie possible. C’est pourquoi, comme nous l’a expliqué l’ambassadrice Nora Kronig, renforcer le Règlement sanitaire international (RSI) et trouver un accord sur le traité de l’OMS sur les pandémies sont deux objectifs importants pour le Conseil fédéral.
World Health Organization in Geneva, Switzerland. Photo: United States Mission Geneva/flickr.com; CC BY-ND 2.0 Deed 
World Health Organization in Geneva, Switzerland. Photo: United States Mission Geneva/flickr.com; CC BY-ND 2.0 Deed 


Rôle de la Suisse et ses attentes

En Suisse, les réactions du public ainsi que les interventions parlementaires ont montré que certaines mesures à prendre suscitent la controverse, notamment dans les milieux ayant combattu les contraintes liées au Covid-19. En particulier, l’inquiétude de la perte de souveraineté de la Suisse, le caractère contraignant du traité et la question de la propriété intellectuelle.

On s’accorde toutefois à dire que si l’on ne fait rien, on risque de glisser dans la prochaine crise. Le point de vue de la politique est que la Suisse doit mieux se préparer pour une future pandémie possible. C’est pourquoi, comme nous l’a expliqué l’ambassadrice Nora Kronig, renforcer le Règlement sanitaire international (RSI) et trouver un accord sur le traité de l’OMS sur les pandémies sont deux objectifs importants pour le Conseil fédéral.

Concernant un accord sur la pandémie, il faudra être attentif aux points suivants :

  • Pousser la prévention pour qu’il n’y ait pas plus de pandémies ;
  • Mieux préparer les pays ;
  • Mieux collaborer ;
  • Mieux répondre aux demandes avec une notion d’équité.

Elle ajoute que le traité devra d’abord être approuvé, puis ratifié par le Parlement.

Nora Kronig, en tant que représentante du Conseil fédéral, a également insisté sur quelques points importants pour la Suisse :

  • Appuyer la surveillance pour avoir accès aux informations des autres pays ;
  • Consolider l’approvisionnement pour une meilleure prévention dans le futur ;
  • Structurer les contacts avec les partenaires pour une meilleure collaboration ;
  • Consolider la sécurité sanitaire.

Concernant les attentes de la Suisse, elles sont les suivantes :

  • Le besoin d’un accord avec l’UE (pour avoir accès aux informations, par exemple) ;
  • Le besoin d’une OMS forte et solide ;
  • Pouvoir s’engager sur un accord sur les pandémies dans la coopération internationale qui devra être à la fois efficace et pragmatique.

Nora Kronig explique pourquoi les négociations sont si difficiles. Plusieurs facteurs peuvent être énumérés, comme la tension internationale, les crises multiples dans le monde, l’accès équitable aux vaccins, la défense des intérêts et des points de vue différents.

Elle conclut qu’il faut réfléchir stratégiquement et qu’un facteur clé est la collaboration entre États et le partage de l'information pour anticiper et réagir ensuite.

Nora Kronig conclut qu’il faut réfléchir stratégiquement et qu’un facteur clé est la collaboration entre États et le partage de l'information pour anticiper et réagir ensuite. Nora Kronig

Présentation et discussion avec les expert∙e∙s

Ilona Kickbusch indique que les pays sont de façon générale plus réticents à conclure des accords lorsqu’il s’agit du domaine de la santé. Elle rappelle que la convention sur le tabac n’a pas encore été ratifiée par le Parlement suisse.

Elle ajoute qu’historiquement, « même si on se disputait, on arrivait à travailler ensemble ». De nos jours, la thématique de la santé sépare les pays et la désinformation (les « fake news ») prend de plus en plus de place et marque fortement les esprits. De plus, nous nous trouvons actuellement dans une situation difficile dans laquelle on affaiblit ses partenaires, ce qui entraîne une perte de confiance dans les négociations. À cela s’ajoutent les crises multiples, le spectre du retour d’un président Donald Trump qui est contre le multilatéralisme et l’OMS, etc.

Elle énumère plusieurs éléments nouveaux dans le contexte actuel, tels que le Sud global, en tant que nouvel acteur de la géopolitique mondiale, qui questionne de plus en plus l’inégalité et fait partie des négociations comme l’Inde, le Brésil et la Chine. Elle évoque également l’émergence de nouveaux principes tels que l’accès et le bénéfice, ou encore la sécurité versus l’équité. Elle relève qu'actuellement, les données en matière de santé sont ce qu’il y a de plus précieux, mais leur extraction est très difficile.

De nos jours, la thématique de la santé sépare les pays et la désinformation (les « fake news ») prend de plus en plus de place et marque fortement les esprits. De plus, nous nous trouvons actuellement dans une situation difficile dans laquelle on affaiblit ses partenaires, ce qui entraîne une perte de confiance dans les négociations. À cela s’ajoutent les crises multiples, le spectre du retour d’un président Donald Trump qui est contre le multilatéralisme et l’OMS, etc. Ilona Kickbusch
Foto von Brian McGowan auf Unsplash
Foto von Brian McGowan auf Unsplash

À la question de comment on peut se préparer à une pandémie, Jürg Utzinger insiste que la question est surtout quand. La pandémie de Covid-19 a été un choc pour tout le monde, mais cela était prévisible. Le point positif, c’est qu’ensuite, la communauté scientifique s’est mobilisée très vite, et surtout en commun, pour la recherche d’un nouveau vaccin et sa mise à disposition en seulement 10 mois.

Jürg Utzinger insiste sur le fait que le système de surveillance (« monitoring ») est fondamental en cas de pandémie. Il indique que la Suisse est bien équipée dans ce domaine et a bien appris durant cette crise. Les communes utilisent par exemple l’analyse des eaux usées pour le dépistage du SARS-CoV-2. Selon lui, cette pratique devrait aussi se faire à l’international. Mais la surveillance ne suffit pas, et il ajoute que l’échange des données est également un facteur clé dans la lutte contre une pandémie.

Il indique aussi qu’il faut améliorer les partenariats, travailler d’égal à égal, ce qui permet d’être innovant et a bien fonctionné pour la gestion des maladies négligées, par exemple. Il ajoute que la Suisse est le leader mondial dans le domaine de la santé et qu’elle est fiable. L’industrie pharmaceutique est centrale, mais sa gestion doit faire l’objet d’une bonne gouvernance.

Jürg Utzinger insiste sur le fait que le système de surveillance (« monitoring ») est fondamental en cas de pandémie. Il indique que la Suisse est bien équipée dans ce domaine et a bien appris durant cette crise. Les communes utilisent par exemple l’analyse des eaux usées pour le dépistage du SARS-CoV-2. Jürg Utzinger

Discussion avec les participant∙e∙s

Parmi les nombreuses préoccupations des participant∙e∙s on peut citer l’iniquité. Une piste possible serait le rôle du monde académique et scientifique pour assurer une certaine équité. La recherche est également très importante et « l’open science » est vraiment nécessaire selon Jürg Utzinger. Durant la discussion, il a également été rappelé que le pouvoir de l’OMS est purement symbolique. La solidarité et le financement sont également des points importants.

Quelle est la suite ?

Bien que l'accord prévu sur les pandémies n'ait pas pu être adopté lors de la 77ème Assemblée annuelle de l'OMS qui s'est achevée fin mai 2024, son directeur général, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, se dit confiant quant à la possibilité de parvenir à un accord dans les mois à venir. Il indique que l'accord reste central et que les 194 pays membres ont progressé sur de nombreux points. Il insiste qu’ils ont montré qu’en luttant sans relâche pour parvenir à un accord, le multilatéralisme est le seul moyen de faire face aux défis mondiaux.

L’intergroupe parlementaire santé globale

L’intergroupe parlementaire santé globale permet de rencontrer divers expertes et experts. Son secrétariat prépare des thématiques pertinentes publiées dans une newsletter, mais aussi des rapports exclusifs pour ses membres. Le coordinateur de l’Intergroupe parlementaire santé globale est Martin Leschhorn Strebel, directeur de Medicus Mundi Suisse, et les co-présidentes sont Eva Herzog, présidente du Conseil des États, et Regine Sauter, conseillère nationale.

Andréa Rajman
Andréa Rajman, Responsable Suisse romande, Réseau Medicus Mundi Suisse. Email