Von Ilario Rossi
Au niveau international, la promotion et l’institutionnalisation des soins palliatifs sont inscrites dans l’agenda de l’OMS, qui considère urgente leur intégration dans les systèmes de santé publique nationaux, en particulier au niveau des soins primaires. Pour atteindre ses objectifs, elle prône le développement des modèles adaptés au contexte local qui puissent garantir la continuité des soins à toutes les étapes de la vie. Ces volontés prescriptives top – down, incluent plusieurs engagements, dont l’établissement dans chaque pays d’une stratégie politique nationale pour leur développement, incluant un accès équitable à l’ensemble de la population, la disponibilité des médicaments nécessaires ainsi que la promotion de formations ad hoc.
Les perspectives pédagogiques sont fondamentales ; elles doivent notamment garantir une clinique des antalgiques et un accompagnement psychologique, social et spirituel des individus concernés et de leurs proches. Dès que l’objectif de la guérison n’est plus envisageable, les soins palliatifs instaurent une culture éthique des conditions du mourir qui réunit la qualité de la vie et le respect de celle-ci ; cette perspective est a priori envisageable à condition d’instaurer un lien spécifique entre tous les acteurs impliqués dans le processus palliatif, ce qui est réalisable uniquement sous la condition d’un engagement partagé.
Mais le passage d’une médecine centrée sur la maladie à une médecine de soutien centrée sur la personne et sa famille révèle un défi conséquent.Ce constat doit se faire d’autant plus critique que les transformations amenées par la globalisation des soins palliatifs constituent un processus asymétrique, inégalitaire et différencié, notamment en Afrique sub-saharienne. Que ce soit dans la mise en œuvre de programmes, qu’au plan de la circulation des modèles théoriques, cliniques et de bonnes pratiques, la promotion des soins palliatifs s'exprime toujours en relation aux actions entreprises et à la manière dont elles sont réalisées à l’échelle de l’hôpital, du service de santé ou encore de la communauté qui feront sa réussite.
Mais le passage d’une médecine centrée sur la maladie à une médecine de soutien centrée sur la personne et sa famille révèle un défi conséquent.Ce constat doit se faire d’autant plus critique que les transformations amenées par la globalisation des soins palliatifs constituent un processus asymétrique, inégalitaire et différencié, notamment en Afrique sub-saharienne. Que ce soit dans la mise en œuvre de programmes, qu’au plan de la circulation des modèles théoriques, cliniques et de bonnes pratiques, la promotion des soins palliatifs s'exprime toujours en relation aux actions entreprises et à la manière dont elles sont réalisées à l’échelle de l’hôpital, du service de santé ou encore de la communauté qui feront sa réussite.
En Afrique occidentale et du Centre (AOC), les secteurs de santé publique s’ouvrent progressivement à leur institutionnalisation. Ce constat général ne doit pas pour autant occulter les déclinaisons hétérogènes de cette mise en œuvre : les spécificités nationales et les disparités, notamment entre les régions anglophones et les régions francophones, sont évidentes. Ces dernières sont encore partiellement dépourvues de stratégies d’action publique, et pourtant la demande est très importante.
Les raisons de cette question sont bien connues. Selon l’ONU, l’Afrique est le continent le plus durement touché par la mortalité infantile ; les données sont éloquentes : des millions d’enfants sont atteints d’affections potentiellement mortelles. Parallèlement, la qualité des soins qui leur est offerte n’est souvent pas en mesure d’en assurer la baisse ni de soulager les maux qu’elles engendrent.
Face à la mort des enfants, en AOC il reste encore beaucoup à faire. Pour décrire et analyser la portée du travail à accomplir, une recherche multi site de type ethnographique restitue le processus et les conditions de la finitude hospitalière des enfants en absence de soins palliatifs (Les trois enquêtes ont été mené avec des équipes de chercheurs locaux au Burkina Faso (2012-2015), au Togo (2015-2017) et au Cameroun (2017-2018), avec des mandats UNIL et Médecins du Monde Suisse et en collaboration avec le réseau ENSPEDIA). En interrogeant l’impuissance à guérir les enfants, ces enquêtes se veulent aussi opérationnelles : en traitant de la mort délaissée, de l’acharnement thérapeutique et de la fin de vie clandestine de ces jeunes malades, elles favorisent une posture professionnelle réflexive susceptible de penser l’inacceptable et d’y remédier. En d’autres termes, la valorisation d’une perspective bottom –up, participe à accomplir, selon la formule de Cicely Saunderns, « tout ce qu’il reste à faire quand il n’y a plus rien à faire ».
Ces enquêtes montrent un constat transversal : en absence de soins palliatifs, il n’y a que des situations inadaptées et cela pour tous les acteurs concernés. Tout d’abord, envers les enfants. L’enfant, comme l’adulte, est une personne détentrice de droits ; il appartient au monde social et relationnel ; ses pensées et ses comportements, qui ne sont jamais dépourvus de sens, en font un acteur, un sujet pensant et agissant. Ce regard, promu par la convention des Droits des Enfants (1989) redéfinit les responsabilités que les soignants et la famille tissent avec lui. De fait, la spécificité de rencontre pédiatrique se présente sous forme de triade et se situe au carrefour de plusieurs normes et valeurs, modèles sociaux et culturels qui à leur tour orientent les dispositifs relationnels et communicationnels.
De fait, penser l’enfant à l’hôpital signifie le penser dans un dispositif d’interactions et de liens d’attachement, qui participent à la construction de son irréductible singularité. En AOC, ces dispositifs sont pluriels et complexes : la famille élargie, parfois ses amis, les autres enfants malades, les aides-soignants, les infirmiers, les médecins, les guérisseurs, les curés, les pasteurs souligne la nécessité de penser à la finitude des enfants non seulement comme à un problème d’ordre médical mais surtout comme un construit relationnel et social, qui construit, par une pluralité de pratiques, de valeurs et de sens l’enfant comme être biologique et social.
Décrivons un exemple qui illustre ces propos, celui de Charles, jeune garçon de douze ans, premier d’une fratrie de trois enfants, hospitalisé dans un service d’hémato-oncologie surpeuplé dans un CHU d’une capitale africaine. Charles est affecté par un neuroblastome, forme tumorale très agressive et maligne. D’un point de vue clinique, son cas s’avère incurable ; cependant, les professionnels ne prennent pas en considération une approche palliative, ne disposant pas de médicaments opiacées ou sédatifs, les seuls analgésiques à disposition sont de niveau 1.
Le dilemme se poursuit…
Incapables d’annoncer l’inéluctabilité de sa situation à la famille, ils développent des attitudes d’évitements, en poursuivant des stratégies thérapeutiques curatives, chimiothérapie et prescription de médication allopathique, dont la famille est à charge de l’achat, ce qui provoque l’explosion des coûts dans la gestion de la maladie et leur cause un collapse financier.
Charles se sent coupable envers sa fratrie et ses parents parce que tout l’argent de la famille est dépensé pour sa santé. A cause de cette situation, les parents traversent un conflit conjugal majeur ; sa mère est portée par la foi et fréquente une église évangélique ce qui l’amène à croire que la prière peut guérir son enfant. Le soir, malgré la fragilité de Charles, elle l’amène régulièrement dans un centre d’oraisons ou un collectif de quarante personnes lui imposent les mains et prient pour une santé retrouvée. Lors de ses visites à l’hôpital, la mère ne supporte pas ses cris et ses lamentations et lui ordonne le silence.
Charles rencontre séparément et épisodiquement son père, qui, lui, est amarré aux traditions animistes de son ethnie. Fréquentant des tradipraticiens, il les a souvent convoqués la nuit au chevet de son enfant ; aux rituels d’expulsion du mal s’ajoute l’application de produits graisseux traditionnels sur son corps, ce qui augmente de manière considérable sa douleur.
Solitude, exigences excessives et malentendus au lieu d'une culture de soins
Les professionnels de l’hôpital s’éclipsent et n’interviennent pas, en respect d’une norme locale qui stipule que l’enfant appartient à sa famille. Charles assiste régulièrement à la mort d’autres enfants hospitalisés et n’a jamais eu la possibilité de verbaliser et partager son ressenti. A l’hôpital, il est souvent l’otage de la perspective et des idées des autres, il vit sa maladie dans le silence et la solitude, ce qui transforme la souffrance qui l’affecte en une modalité constante de son être au monde. Cette condition l’accompagnera jusqu’à sa mort.
Autour de Charles toutes les relations sont centrifuges ; les professionnelles s’éloignent progressivement de ce que l’enfant éprouve et ressent ; ils ne sont pas indifférents, bien au contraire, mais ils n’arrivent plus à répondre à la complexité de la situation, conséquence d’une réelle surcharge de travail, d’un manque de disponibilité et de temps, des limites du plateau technique et de l’absence de formation à l’égard des jeunes patients en fin de vie. Ce qui provoque des situations d’anxiété pour Charles, dont la socialisation à l’hôpital constitue l’antithèse d’une niche sensorielle qui le sécurise et l’accompagne. Pour la famille, la quête de l’espoir est aussi une épreuve : entre affection et sidération, entre attente et résignation, chaque membre est atomisé et vit dans des conditions de repli importantes.
L’histoire de Charles est révélatrice du fonctionnement des systèmes de santé et des limites de l’action politique et montre comment aujourd’hui encore le mourir (le processus) et la mort (l’événement) sont reléguée au rang d’un impensé médical et constituent une zone aveugle de son action.
Les limites du plateau technique et l’inadaptation des soignants à gérer la douleur corporelle et la souffrance existentielle provoquent une culture du malentendu, qui transforme la dénégation de la mort à l’hôpital en une discontinuité dans les soins aux enfants. Les professionnels expérimentent ainsi leurs limites professionnelles et humaines. Ce qui montre que la culture du care — prendre soin plutôt que traiter — centrée sur l’enfant mais aussi sa famille n’a de sens que pour quelques médecins et soignants dans l’espace social hospitalier. La situation est paradoxale parce que le seul modèle médical est encore celui d’une médecine techniciste et performante, là même où l’ensemble des obstacles économiques et logistiques, et le manque de ressources, limitent très fortement son application.
L’absence de médicaments et de compétences palliatives questionne la mort et le mourir des enfants dans une double perspective éthique. La première conduit de l’approche clinique au social ; elle questionne le manque de support médicamenteux et les procédures souvent complexes pour leur obtention, notamment les opiacés. Elle incite à la reconnaissance des soins palliatifs, la pratique médicale actuelle n’étant pas en adéquation avec les situations qui se présentent dans les institutions. Elle interroge ensuite le registre des pratiques cliniques et les conditions de leur mise en œuvre.
Elle dévoile aussi des limites pédagogiques, susceptibles inscrire dans la culture médicale et soignante, bien en amont des situations palliatives, la professionnalisation de la gestion relationnelle et communicationnelle, puisque la clinique doit répondre à des êtres singuliers, à l’amélioration de la condition desquels elle cherche à œuvrer.
Elle dévoile aussi des limites pédagogiques, susceptibles inscrire dans la culture médicale et soignante, bien en amont des situations palliatives, la professionnalisation de la gestion relationnelle et communicationnelle, puisque la clinique doit répondre à des êtres singuliers, à l’amélioration de la condition desquels elle cherche à œuvrer. Selon cette perspective, l’institutionnalisation des soins palliatifs pédiatriques doit articuler au mieux les interconnexions entre pratique clinique, organisation institutionnelle et indétermination des agir humains des enfants et des familles. La deuxième est inverse et amène du social vers la clinique. Elle évoque les itinéraires thérapeutiques et les trajectoires existentielles des enfants et des familles à travers l’usage de l’hôpital comme lieu du dernier recours et les problèmes économiques qui y sont rattachés. Elle signale que l’hospitalisation représente souvent une situation de crise, une confrontation à leurs limites, qui rend imperméable le faire médicale et soignant de leur trajectoires biographiques et sociographiques, à leurs quêtes spirituelles, à leur ancrage sociale et communautaire.