Ou par quel chemin parvenir à la santé pour tou·tes

Une seule solution: la révolution!

Von Viviane Luisier

Les déterminants sociaux de la santé sont reconnus sur le papier depuis longtemps. Malgré cela, les actions nécessaires pour diminuer leur impact de la part des grandes agences internationales ou des gouvernements, ces actions sont rares et peu efficaces. Pourtant, seules des réglementations étatiques déterminées pourraient changer la donne. Et par ailleurs, que peuvent faire les petites ONG dans un tel décor pour encourager des démarches porteuses de justice sociale et de… santé?

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Une seule solution: la révolution!

C’est évident, et pourtant…

Dès la publication de sa «Constitution» en 1946 (OMS, 1946), l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a inclus les déterminants sociaux de la santé dans son analyse de la situation mondiale et ses perspectives pour améliorer la santé. En janvier 2021 encore, lors de sa 148ème session, le Comité exécutif de l’OMS revient sur le thème des déterminants sociaux de la santé (OMS, 2021).

Tout le monde sait désormais que si tu es né dans un PEV (donc un pays appauvri ou maintenu dans la pauvreté par les pays riches), ton accès à la santé n’est pas le même que si tu es né… en Suisse, par exemple. Tout le monde sait aussi que celui ou celle qui a une assurance privée pourra jouir des meilleurs soins, pendant que celui ou celle d’à côté qui a peu ou pas de ressources économiques ne pourra pas aller se faire soigner les dents, même en Suisse. Si, de plus, tu es femme et âgée, alors là le cumul des déterminants sociaux défavorables t’offre peu d’alternatives pour prendre soin de toi, où que ce soit.

Malgré les exhortations de l’OMS, cette situation d’inégalité entre les peuples, entre les gens, entre les genres a-t-elle été sérieusement prise en compte? A-t-elle évolué dans le sens de plus de justice, entre 1946 et 2023?


La santé difficile pour toutes et tous

Pour savoir que faire pour que les êtres humains accèdent à une meilleure santé, il faut revenir à une analyse plus globale que celle qui décompte le nombre de médecins ou d’hôpitaux par habitante. Ci-après, nous reprenons largement l’analyse de Jean-David Zeitoun, médecin et épidémiologiste français, auteur du livre «Le suicide de l’espèce. Comment les activités humaines produisent de plus en plus de maladies» (Zeitoun, 2023). Malgré ce titre qui fait froid dans le dos, le livre suggère quelques pistes possibles pour échapper au suicide. Les thèses de Zeitoun sont retenues ici pour être accessibles, claires et non dénuées d’espoir.

Il y a d’abord «l’offre pathogène»: c’est celle que nous avons à portée de main dans tous les lieux de consommation, avec, en première ligne, les aliments ultra-transformés, gras, sucrés, ainsi que l’alcool et le tabac. L’offre pathogène, c’est notre environnement. Il faudrait la dénoncer, la poursuivre, la marquer, comme le font certaines associations mexicaines en apposant des pastilles noires sur les bouteilles de Coca-Cola, ayant leur part de responsabilité dans l’épidémie d’obésité qui sévit au Mexique.

Bouteilles de Coca Cola munies des étiquettes noires annonçant "Excès de calories, Excès de sucres", grâce à l'action d'associations, Mexico, février 2022. Photo: © P.Bickel
Bouteilles de Coca Cola munies des étiquettes noires annonçant "Excès de calories, Excès de sucres", grâce à l'action d'associations, Mexico, février 2022. Photo: © P.Bickel
L’offre pathogène, c’est notre environnement. Il faudrait la dénoncer, la poursuivre, la marquer, comme le font certaines associations mexicaines en apposant des pastilles noires sur les bouteilles de Coca-Cola, ayant leur part de responsabilité dans l’épidémie d’obésité qui sévit au Mexique.

Mais toute la «faute» n’est pas mise sur le dos des entreprises: malheureusement, les humains veulent, redemandent et aiment l’offre pathogène! Il y a une demande pathogène! Et même souvent, plus qu’une demande, il y a une addiction aux offres pathogènes. La demande pathogène, c’est nos comportements. Là, il faudrait une éducation au goût, qui passe non par des sermons culpabilisateurs mais par des expériences gustatives et positives, par exemple dans le cadre de l’école ou du travail.

Zeitoun n’oublie pas la composante individuelle, avec les prédispositions génétiques à certaines maladies. C’est nos caractéristiques biologiques. A ce niveau, ce seraient des conseils et prises en charge plus médicalisés, personnalisés, différenciés qu’il faudrait mettre en place avec des médecins.

Où est la responsabilité de l'Etat ?

A produire de plus en plus de maladies, l’entreprise pathogène est un moteur pour le développement de la médecine, notamment pour les pharmas, ce qui engendre de nouveaux profits. Ce qui semble au premier regard une aberration (l’offre pathogène qui entraîne des maladies qu’il faut chercher à soigner) n’en est peut-être pas une, si le but de la société capitaliste est d’engendrer des profits. C’est les soins auxquels on peut prétendre aujourd’hui. Peu réjouissants, si le système de soins marche main dans la main avec l’économie.

Suite à ces constats, Zeitoun montre comment la voie principale, pour mettre de l’ordre dans la jungle de l’entreprise pathogène, est une intervention décidée et une régulation de la part de l’état pour stopper ce qui nous rend malade: les aliments ultra-transformés, le tabac, l’alcool, entre autres choses. Alors pourquoi ne le fait-il pas? Il a peur? Il a moins de pouvoir que les entreprises? Il a des intérêts dans l’entreprise pathogène?

Entre l’offre qui nous est faite, les penchants qui sont les nôtres (qu’ils soient innés ou acquis) et un état qui ne nous protège pas, l’accès à la santé semble difficile tant pour ceux-celles qui vivent dans des pays «riches» que dans des pays «pauvres».

Visite d’une thérapeute à une patiente victime de cancer en Amazonie équatorienne, mars 2022. Photo: © CSSR
Visite d’une thérapeute à une patiente victime de cancer en Amazonie équatorienne, mars 2022. Photo: © CSSR

Les contributions modestes

Comment une petite association comme, par exemple, la Centrale Sanitaire Suisse Romande (CSSR) peut-elle soutenir des projets de santé sans tomber dans le panneau de simplement mettre à disposition plus de centres de santé, plus de médecins et infirmières, plus de médicaments ?

Née en 1937 pour venir en aide à l’Espagne antifasciste, la Centrale Sanitaire Suisse s’est mobilisée envers des militantes et des combattantes organisées, mais démunies à tous égards, au plan sanitaire aussi. Il ne s’agissait pas d’aller au-devant des plus pauvres, mais au-devant de celles et ceux qui comprenaient leur situation, voulaient l’améliorer, travaillaient à la changer. L’aide qui a été apportée par la CSS n’a jamais été évaluée, au sens où on l’entend aujourd’hui, avec des instruments de mesure sociologiques ou médicaux. Par contre, même sans évaluation, cette première phase de l’histoire de la CSS a marqué l’association pour toujours. Après l’Espagne, il y a eu le Vietnam en lutte contre l’impérialisme étatsunien, puis l’aide à différents pays d’Amérique latine ou à la Palestine (Jeanneret, 2013).

Le critère déterminant pour que nous entrions en matière sur un projet de santé, c’est que les personnes avec un besoin sanitaire déterminé soient organisées. Ce n’est pas la pauvreté la plus dramatique que nous recherchons, même si… malheureusement, nous la trouvons toujours, là où les gens sont organisés aussi.

Le chemin qui va vers «la santé pour toutes», ce n’est pas celui de la meilleure médecine, c’est celui qui abolit la pauvreté et qui nous offrel’accès à l’instruction, à une alimentation pas ou peu transformée, à un air et une eau moins pollués, à un gouvernement humain.

Parmi les projets de santé appuyés par la CSSR, nous pouvons présenter par exemple la demande sanitaire qui nous a été faite par des populations de l’Amazonie équatorienne. Dans ce lieu d’exploitation pétrolière depuis des décennies, des sociétés sans scrupule provoquent la destruction de l’environnement, la pollution de l’eau, l’extermination des poissons et des oiseaux, et de nombreux cancers chez les humains. Ces personnes affectées par l’extraction pétrolière sont organisées depuis plus de 25 ans pour réclamer justice au niveau juridique, afin qu’on reconnaisse le mal qui a été fait à la population et à l’environnement dont ilselles sont dépendantes. La lutte continue, et le projet de santé aussi, pour longtemps.


Références
Viviane Luisier
Viviane Luisier est sage-femme. Elle a travaillé au Nicaragua pendant une dizaine d’années, dans le département de Matagalpa. Elle est membre de la Centrale Sanitaire Suisse Romande (CSSR) depuis 1998. Email