Von Indro Mattei
La pratique des dons de médicaments dans des situations d’urgence est un sujet très débattu. A la lumière des expériences acquises lors de plusieurs missions antérieures pour l’OMS, et suite à mon engagement à Banda Aceh en Indonésie quelques semaines après la catastrophe, des exemples concrets seront cités et des propositions développées afin d’améliorer les pratiques de dons en médicaments dans les urgences humanitaires.
La conviction de devoir à tout prix et rapidement envoyer des médicaments afin de couvrir les besoins sanitaires des populations affectées après une catastrophe naturelle est largement répandue. Cette idée n’est qu’en partie correcte et doit être nuancée.
Dans la phase immédiate post-catastrophe, les besoins sanitaires sont élevés, alors que les ressources humaines et techniques locales sont insuffisantes. Ce fut certainement le cas à Banda Aceh, où les hôpitaux et les entrepôts de médicaments furent détruits ou gravement endommagés et où il y eut beaucoup de morts et disparus parmi le personnel sanitaire local.
Dans ces circonstances, les besoins des populations affectées dépassent largement le cadre des médicaments mais comprennent l’ensemble du management sanitaire visant à sauver des vies et soulager les souffrances : gestion du personnel médical, des infrastructures, du matériel sanitaire, et des moyen techniques.
Les grandes organisations humanitaires actives dans le domaine de la santé dans l’urgence sont préparées à faire face à ces besoins et se mobilisent rapidement et de manière autonome sur le terrain avec toute l’infrastructure technique et médicamenteuse permettant de secourir les blessés.
Dans ces circonstances, l’envoi de médicaments dans la phase immédiate n’a que peu d’utilité, car la majorité du matériel restera stockée quelque part dans l’attente de pouvoir être utilisée.
A ce stade également, le système sanitaire local est trop endommagé pour être fonctionnel et être capable d’évaluer et gérer un afflux massif de médicaments. . Cette situation, bien entendu, s’est reproduite à Banda Aceh, où, des semaines après le Tsunami, des médicaments urgents attendaient encore dans les entrepôts des organisations humanitaires.
Au cours des semaines et des mois qui suivent l’événement, le système sanitaire local reprend progressivement ses fonctions et est de plus en plus en mesure de faire face aux besoins de la population. Un don en médicaments est-il utile et nécessaire à ce moment ? Normalement OUI, MAIS à condition de respecter certaines règles : De manière générale, et lorsque c’est réalisable, les médicaments devraient être achetés localement et en réponse à des requêtes précises des autorités sanitaires locales. L’envoi de médicaments de l’étranger devrait être réservé aux situations où des produits de bonne qualité ne sont pas disponibles sur le marché local.
Malheureusement, ces règles de base ne sont que rarement respectées, comme à Banda Aceh, où des palettes entières de médicaments étaient acheminées quotidiennement par avion, sans que personne n’ait connaissance exacte de leur contenu. Ces produits étaient libellés dans des langues incompréhensibles pour le personnel local et plus d’une fois nous avons dû intervenir afin d’éviter des confusions dans la dénomination des produits et, par conséquent, éviter une utilisation erronée. Cet afflux incontrôlable de médicaments nécessite des ressources humaines énormes pour procéder au tri, au stockage et à l'acheminement, particulièrement à un moment où le système de santé est déjà affaibli et rendu vulnérable par la catastrophe elle-même.
A ce stade, l’achat local de médicaments possède de nombreux avantages : économies en coûts de médicaments et de transports, utilisation de mécanismes d’achat connus des structures locales, présentation et dénomination facilement utilisables par le personnel soignant.
De façon regrettable, il arrive de plus en plus fréquemment que l’acheminement de l’aide humanitaire soit plus dépendant de la couverture médiatique que des besoins réels des populations affectées : l’effet CNN ! A nouveau, le raz de marée en Asie du sud-est en est un exemple typique. Dans la phase immédiate, de multiples organisations actives dans le domaine de la santé ont envoyé leurs experts afin de procéder à l’évaluation des besoins en médicaments, lesquels arrivèrent à des conclusions identiques et firent acheminer les produits en quantité importante, mais sans aucune coordination entre elles.
Il est quelque part frustrant de constater que, lors de chaque crise urgente, il est dit et répété qu’une meilleure coordination et une gestion plus efficace des ressources sont souhaitables, mais que rarement ces objectifs sont atteints, notamment dans le domaine des médicaments !
Le domaine de la logistique est incontestablement le plus souvent négligé. Une fois sur place, les produits doivent être stockés sous une forme correcte, à l’abri du soleil et de l’humidité, dans des endroits frais et être ensuite distribués aux structures sanitaires qui en ont besoin.
A Banda Aceh, parmi les plus de 400 organisations humanitaires présentes sur le terrain, seules une ou deux se sont intéressées aux contraintes logistiques du circuit des médicaments.
Dans un endroit où les entrepôts avaient été gravement endommagés, le parc véhicule anéanti, presque personne ne proposait de l’assistance pour le stockage des médicaments envoyés (entrepôts, étagères, fiches de stock, tables, chaises, ventilateurs, frigos, etc.) ni pour leurs distribution (voitures, camionnettes, systèmes de communication).
De plus en plus, l’industrie pharmaceutique s’intéresse aux crises humanitaires et offre de fournir gratuitement ses médicaments, soit par l’entremise d’organisations humanitaires, soit directement aux autorités sanitaires des régions frappées par la catastrophe. Ces offres répondent certes à des désirs louables de porter assistance aux victimes, mais peuvent parfois également être utilisées à des fins détournées telles que : publicité, écoulement rapide de stocks proches de la date de péremption, recherche de déduction fiscale, etc.
A nouveau, il convient de porter une attention extrême aux choix des médicaments, aux quantités proposées et à la logistique prévue.
Un bon don en médicaments de la part de l’industrie ne doit inclure que des médicaments essentiels utilisés dans la région ciblée, libellé dans une langue familière aux utilisateurs et prévoir un système de mise en circulation adéquat. Il faut privilégier les dons de médicaments déjà enregistrés dans le pays concerné, donc disponibles sur place.
Est-on condamné à répéter invariablement les mêmes erreurs lors de futures catastrophes ? Non, si l'on est capable de tirer les bonnes conclusions et modifier notre propre façon d’agir et de concevoir le don en médicaments. Les quelques recommandations suivantes serviront de ligne de conduite :
Formation et préparation des autorités locales pour faire face à une urgence humanitaire : Dans la pratique, les autorités locales ne disposent que très rarement d’une formation et d’une mémoire institutionnelle leur permettant une bonne gestion de l’afflux d’aide étrangère. Après le Tsunami, en ce qui concerne les médicaments, l’Inde, en refusant tout don, a évité d’être submergée par une marée de produits, laquelle s’est, au contraire, dirigée vers le Sri Lanka qui n’avait pas pris la même décision. Dans la phase immédiate post-catastrophe, l’envoi d’experts auprès des autorités sanitaires du pays touché offrirait la possibilité aux décideurs locaux de mieux s’informer sur les possibles conséquences de leur choix politique en termes d’assistance humanitaire.
Démarrer un projet avec des perspectives à moyen terme : Toute organisation qui intervient dans le domaine des médicaments dans la phase aiguë doit envisager son activité avec des perspectives à moyen ou à long terme et au minimum faire accompagner ses dons en médicaments par du personnel qualifié. L’urgence humanitaire est une bonne occasion d’améliorer le système de gestion local des médicaments et d’offrir ainsi un impact plus durable dans ce domaine trop souvent négligé. A Banda Aceh, dans une situation de pénurie de personnel sanitaire local qualifié, les organisations humanitaires offraient des places de travail aux médecins, infirmières et pharmaciens locaux avec une rémunération bien supérieure à celle de leur emploi dans le secteur public, contribuant ainsi à un affaiblissement structurel des services publics.
Pas de compétences - hands off ! Il est temps de modifier la perception et les anciens clichés relatifs aux dons en médicaments dans les situations d’urgence et de réviser la croyance que tout don en médicaments est préférable à rien du tout ! L’envoi et la gestion des médicaments nécessitent des compétences différentes de celles requises pour la construction, la distribution d’aide alimentaire ou non alimentaire. Toute organisation désireuse de s’impliquer dans ce domaine doit disposer en parallèle des ressources humaines et techniques nécessaires à garantir une gestion professionnelle, rigoureuse et économique des médicaments proposés et résister à la tentation facile d’envoyer en vrac des tonnes de médicaments.
Trop souvent, au désastre humanitaire s’ajoute le chaos de l’aide d’urgence. Ceci est particulièrement vrai pour les dons en médicaments dans des situations très médiatisées.
Une prise de conscience des difficultés inhérentes à ce secteur, un support logistique ciblé et un support technique rapide aux autorités locales pourront dans le futur améliorer l’assistance d’urgence à un secteur clef du système sanitaire.
*Indro Mattei, pharmacien en santé publique, membre du Corps suisse d'aide humanitaire (CSA). Contact : indromattei@swissonline.ch.
Organisation Mondiale de la Santé OMS: Principes directeurs applicables aux dons de médicaments (Révision 1999), WHO/EDM/PAR/99.4. Version en-ligne: http://whqlibdoc.who.int/hq/1999/WHO_EDM_PAR_99.4_fre.pdf