Von Abdias Laoubaou Nodjiadjim und Kaspar Wyss
Les enfants et les jeunes de la rue sont parmi les nouveaux acteurs qui revèlent la ville. Parmi les multiples problèmes auxquels ils sont quotidiennement confrontés, on il y a notamment les maladies et les difficultés d'accès aux soins. L'article suivant décrit, à l'exemple de N'Djaména (Tchad), leurs problèmes de santé ainsi que des efforts pour une meilleure prise en charge de leur santé.
L'accroissement des villes d'Afrique et le développement des contradictions économiques et sociales au sein des sociétés urbaines produisent de nouveaux acteurs. Parmi les groupes les plus visibles, on trouve les personnes marginalisées telles que les handicapés, les drogués et les jeunes et enfants de la rue. Depuis 1994, le Centre de Support en Santé Internationale de l'Institut Tropical Suisse (ITS) accompagne, à N'Djaména au Tchad, deux associations (Association Pour la Protection des Enfants de la Rue au Tchad, APPERT; Association Amies des Drogués au Tchad, ATAD) dans leurs efforts de prévention et de réinsertion des enfants de la rue. Ceci à travers des activités de recherche - action dans le cadre du projet "gestion par ses occupants d'un espace urbain défavorisé" financé par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique.
Une approche de travail social en milieu ouvert est privilégiée pour lutter contre l’exclusion des enfants en ville. Cette approche consiste à aller à la rencontre de ces jeunes dans leur milieu naturel de vie et de pouvoir, ensemble avec eux, rechercher des réponses communautaires à leur situation. Les activités abordent notamment la situation des garçons, vu que l'exclusion chez les jeunes filles est plus cachée, moins apparent et plus difficile à aborder. L’approche tente de prendre en compte la globalité des problèmes : scolarisation, nutrition, conditions de travail, violence, répression, etc. mais aussi les aspects de santé et d’accès aux soins.
Les nombreuses et fréquentes maladies auxquels les enfants de la rue sont confrontés, sont résultat des conditions de vie et des divers comportements adoptés par eux. Ainsi, un enfant N’Djaménois témoigne : « Les choses qui donnent les maladies sont : les moustiques, les repas trouvés sur les poubelles ou empoisonnés et jetés par terre, les pourritures, les choses trop sucrées… Nous couchons par terre. On aspire de la colle avec des morceaux de tissu sales. » En d’autres mots, la consommation de l’eau malpropre, les conditions d’hygiène, la nourriture, la violence, l’alcool et la drogue ont des conséquences néfastes sur la santé des enfants. Ceux-ci se traduisent par divers problèmes de santé dont les plus fréquents sont : blessures et plaies, paludisme, diarrhée, douleurs musculaires et lombaires, ictère, conjonctivite, etc. Les maladies sexuellement transmissibles et les maladies mentales ne sont pas directement abordés par les enfants dans les entretiens. Cependant, la plupart connaissent par exemple le sida et prennent en référence à des amis qui ont été atteint par cette maladie.
Pour se soigner, ils pratiquent le plus souvent l’automédication et expriment de réelles difficultés d’accès aux services sanitaires. L’acquisition fréquente de produits pharmaceutiques dans des boutiques au bord de la rue et auprès des vendeurs ambulants, témoigne d’une part de la faiblesse des ressources financières et d’autre part de l’omniprésence de l’économie populaire urbaine. De plus, la possibilité d’acheter des médicaments à l’unité présente pour les enfants l’avantage de ne pas devoir stocker les produits, mais de les consommer immédiatement. Les services publics sont difficilement accessibles à cause du manque d’argent pour payer les prestations et, des barrières psychologiques liées à l’attitude négative du personnel de santé envers les enfants de la rue.
A N’Djaména, les recherches entreprises depuis 1995 sur les problèmes de santé et l’accès aux soins se présentaient comme élément déclencheur d’un processus de recherche de solutions alternatives aux difficultés posées. APPERT et ITS ont décidé de restituer aux professionnels de santé les résultats des études. Les séances de restitution ont permis d’informer, de sensibiliser et de faire comprendre la nécessité d’une prise en compte sans discrimination de ces enfants en situation difficile dans leurs services de santé. De suite, un contrat fut établit avec deux services de la ville de N’Djaména et un animateur a été désigné pour la tenue des fichiers, l'orientation, l’accompagnement au dispensaire ainsi que le suivi du traitement des enfants. D’autre part, les informations des études réalisées ont permis aux autorités sanitaires (délégué sanitaire, chef de district, médecins, infirmiers) de comprendre que, quelque part au sein de cette population marginalisée, de sérieux problèmes de santé se posent, et qu’il faut briser les barrières pour faciliter l'accès aux soins. Malheureusement la solution de l’approche contractuelle avec les dispensaires n’était pas durable, principalement à cause de la réticence du personnel de santé envers les enfants et de ceux-ci envers les structures sanitaires officielles.
Par la suite, d’autres solutions ont été envisagées et une structure confessionnelle s'est montré temporairement prête à accueillir les cas les plus graves. En parallèle, APPERT a tenté d’identifier un infirmier qui prenne en charge les problèmes de santé directement sur les lieux de séjour des enfants et jeunes de la rue. Ainsi, APPERT et l’ITS ont commencé à organiser des visites médicales et des consultations sur les lieux fréquentés par les enfants. Concomitamment, une mise à disposition permanente des médicaments a permis de résoudre de façon sensible les problèmes de santé jusqu’aujourd’hui.
Les résultats de ces actions ont montré qu’il est possible de trouver des solutions, au moins temporaire, pour les soins curatifs. Cependant les efforts s’amenuisent lorsqu’on cherche à faire la prévention à travers l’éducation sanitaire. Se laver, éviter de manger les mauvais aliments récupérés sur la poubelle, se laver les mains avant de manger sont des attitudes qui ne font pas partie des habitudes de vie dans la rue. Pour faire observer ces règles d’hygiène afin de mieux prévenir les maladies, il faut du temps et de la disponibilité. Hors, les enfants sont très mobiles et le temps pour eux est très précieux pour la recherche des moyens de survie.
Abdias Laoubaou Nodjiadjim est diplômé des hautes études des pratiques sociales, membre fondateur de l'Association Pour la Protection des Enfants de la Rue au Tchad (APPERT) et collaborateur du Centre de Support en Santé Internationale (CSSI) de l'Institut Tropical Suisse (ITS) au Tchad. Kaspar Wyss est spécialiste en santé publique et travaille pour le CSSI de l'ITS à Bâle.