Von Marie-Cécile Frieden
Au Burkina Faso, l’association suisse E-CHANGER soutient deux structures d’accueil et de formation des enfants en situation de handicap : le Centre d’Éducation et de Formation Intégrée pour Sourds et Entendants (CEFISE) et l’Association Burkinabè d’Accompagnement Psychologique et d’aide à l’Enfant (ABAPE). Dans un pays où la prise en compte des enfants en situation de handicap dans le système scolaire conventionnel et au niveau communautaire est problématique, la pandémie est venue exacerber les difficultés de prise en charge, d’accompagnement et d’inclusion. Avec la participation de Boukari Pamtaba, psychologue et directeur d’ABAPE.
Le Burkina Fasoest l’un des pays les plus pauvres de la planète : 40% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté et 59% des adultes de plus de 15 ans sont analphabètes (Banque Mondiale, 2018). La majorité de la population vit de l’agriculture, et les conditions climatiques défavorables mettent à mal l’économie du pays et les conditions de vie des 20 millions d’habitants. Depuis 2014, le pays traverse également une crise socio-politique importante. Parallèlement, la situation sécuritaire s’est dégradée, dû à la présence de groupes armés affiliés aux mouvements islamistes. Des attaques régulières ont occasionné d’importants déplacements de personne dans le pays : plus d’1 million de personnes en 2021 ! De plus, des conflits intercommunautaires ont exacerbé cette situation déjà tendue. Le Burkina est touché de plein fouet par une crise sécuritaire et humanitaire, qui plonge le pays dans un temps marqué par les incertitudes.
Dans un tel contexte, l’accès à une éducation adaptée et de qualité, tout comme l’accès à une formation professionnalisante et l’insertion dans le monde socioprofessionnel sont de véritables défis pour les personnes en situation de handicap et leur famille. Handicap International évalue à plus de 72% le pourcentage d’enfants en situation de handicap n’étant pas scolarisés, et à plus de 56% le pourcentage de personnes handicapées n’ayant aucune activité professionnelle au Burkina Faso. Il existe peu de structures de prises en charge, et elles sont concentrées dans la capitale Ouagadougou. Si le gouvernement a ratifié et adopté la majorité des initiatives et textes internationaux concernant le handicap et les politiques d’inclusion, l’accès aux soins, à l’éducation, à une prise en charge adaptée et à la vie socioéconomique est parsemé d’embûches. Boukari Pamtaba, le directeur d’ABAPE, explique : « Au Burkina Faso, il faut reconnaitre que les personnes vivant avec un handicap, de façon générale, sont en marge de la société, et que leur prise en compte dans le système éducatif et sanitaire est souvent négligée ». Les personnes en situation de handicap – mental et/ou physique – sont ainsi souvent victimes d’exclusion. Leurs familles ne sont pas soutenues, ni accompagnées, elles se sentent abandonnées et finissent par baisser les bras, négligeant la prise en charge de leur enfant.
"Handicap International évalue à plus de 72% le pourcentage d’enfants en situation de handicap n’étant pas scolarisés, et à plus de 56% le pourcentage de personnes handicapées n’ayant aucune activité professionnelle au Burkina Faso."
LeCEFISE et ABAPE sont deux structures non-étatiques qui se sont données pour mission l’accompagnement et la formation des enfants et des jeunes en situation de handicap.
Le CEFISE est actifdans le domaine de l’éducation scolaire spécialisée, dela formation et de l’insertion socioprofessionnelle des personnes vivant avec un handicap. C’est la première école privée inclusive au Burkina Faso,accueillant des élèves porteuses/porteurs d’un handicap ou pas.Le CEFISE accompagne particulièrement les enfants présentant un handicap auditif, mais accueille également des enfants présentant d’autres types de handicap mental ou physique. Il milite pour une approche inclusive et globale, proposant l’accompagnement des enfants vivant avec un handicap depuis la maternelle jusqu’à leur insertion professionnelle, tout en mettant en place des programmesde sensibilisation auprès des familles et des communautés pour renforcer le respect des droits des personnes sourdes et malentendantes.
L’Association ABAPE a été créée dans l’optique delutter contre la marginalisation et lastigmatisation des enfants en situation de handicap mental. Elle fait également la promotion de l’éducation inclusive, enfavorisantl’accès au système scolaire conventionnel. L’association vise à pallier laquasi-absencede structure de prise en charge des enfants autistes et déficients intellectuels : ellea mis en place un centre quiaccompagneles enfants de 2 à 10 ans en matière de psychopédagogie, socio-éducation etpsycho-éducation. Elle offre égalementde l’appui-conseil auxparentset forme des assistantes de vie scolaire, pour accompagner les enfants atteints de handicap dans le système éducatif classique pour la suite de leur scolarisation.
Les deux structures pensent le handicap de manière holistique, en essayant d’améliorer les conditions de vie des personnes touchées : les enfants et les jeunes, mais aussi leur parents, leur entourage plus large, leurs enseignant-e-s. Elles militent pour l’accès à des soins adaptés et pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans la vie scolaire, sociale, professionnelle. Pour cela, il est important de mettre en place des dispositifs d’appui dans les différents domaines de la vie. Par exemple, pour le directeur d’ABAPE, il est nécessaire de proposer de la guidance parentale à travers une équipe mobile, « afin que [les parents] puissent mieux accompagner leur enfant à domicile. Cette équipe doit coordonner, avec les parents, des actions concrètes à travers l’aménagement d’un environnement social bien structuré pour de la personne vivant avec un handicap, afin de créer un cadre stimulant pour leur bien-être ». Cette stratégie s’est avérée spécialement adaptée à la situation pandémique de 2020.
A la survenue de la maladie à Coronavirus, en mars 2020, le gouvernement burkinabè a pris un ensemble de mesures pour briser la chaîne de contamination : fermeture des marchés, des lieux de culte et des écoles, instauration d’un couvre-feu, mise en quarantaine des villes et fermeture des frontières. Le CEFISE et ABAPE ont fermé leurs portes, renvoyant les enfants et les jeunes dans leur famille et mettant un frein brutal à leur accompagnement. Les enfants en situation de handicap se sont retrouvés confinés à la maison, avec leurs parents et leur fratrie qui ne savaient pas toujours comment gérer leurs comportements, ni comment répondre à certains besoins de stimulation ou d’apprentissage. Les nouvelles règles de distanciation ont été mal comprises par certain-e-s. C’est notamment le cas des enfants présentant des troubles autistiques, qui ont eu des difficultés à appréhender et à adopter les nouvelles habitudes pour faire face à la pandémie, comme l’explique M. Pamtaba : « les mesures barrières ont déstabilisé l’élan social, le manque de planification et de structuration de l’environnement familial a suscité chez certain-e-s des troubles considérables dus à l’angoisse et au stress. Les enfants ont été confinés dans leur famille respective sans aucun soutien et les parents étaient dans un désarroi total ».
Quant aux personnes malentendantes, elles ont tout simplement été écartées des messages de sensibilisation, qui n’étaient pas traduits en langue des signes. Il n’y a pas eu de stratégie d’adaptation de la communication pour sensibiliser les personnes en situation de handicap, ni même de soutien pour doter les structures de kit d’hygiène. « Le Covid-19 a privé les personnes vivant avec un handicap à l’accès à l’éducation et aux soins de santé, qui sont un droit primordial. Ils ont été laissés à leur sort, sans aucune stratégie éducative appropriée pour permettre d’être épanoui dans leur environnement social » (Boukari Pamtaba). A leur réouverture, ABAPE et le CEFISE ont équipé leurs centres pour le lavage des mains, distribué des masques pour les plus âgés, et surtout tenté d’enrayer le retard pris par les enfants et les élèves.
En termes sanitaire, la pandémie a relativement peu touché le pays, qui est aujourd’hui plus préoccupé par la crise sécuritaire et humanitaire. Mais le COVID-19 a laissé des traces : l’arrêt des activités en 2020 a considérablement fragilisé les populations, déjà précarisées. C’est le cas des nombreuses personnes occupées par le secteur informel, qui a été fortement ralenti, des populations déplacées et des personnes en situation de handicap.
« les mesures barrières ont déstabilisé l’élan social, le manque de planification et de structuration de l’environnement familial a suscité chez certain-e-s des troubles considérables dus à l’angoisse et au stress. Les enfants ont été confinés dans leur famille respective sans aucun soutien et les parents étaient dans un désarroi total ». M. Pamtaba
Pour continuer à proposer des prestations de qualité aux personnes en situation de handicap, le CEFISE et ABAPE ont plus que jamais besoin de soutien. C’est ce que fait l’association E-CHANGER, qui s’engage pour un monde plus solidaire et pour la réduction des inégalités. Elle soutient des organisations locales par la mise à disposition de volontaires suisses et nationaux. Chaque nouvelle demande de soutien provient de la base et est formulée par les partenaires.
E-CHANGER collabore avec le CEFISE et ABAPE grâce à l’insertion de deux volontaires burkinabè, qui travaillent au sein même des équipes. Leur mission est de développer les capacités socioprofessionnelles d’accompagnement et de prise en charge des collaboratrices et collaborateurs des deux structures, et de les former à certains outils de gestion, de communication et de plaidoyer, dans une optique de renforcement institutionnel. Ainsi, les structures sont plus efficaces et plus efficientes.
Ce modèle de coopération par l’échange de personnes permet d’incarner la solidarité internationale en appuyant des structures pré-existantes et en répondant à des besoins et des objectifs bien précis. Les résultats sont visibles à court et long termes : les structures sont consolidées, les enfants et leur entourage mieux accompagnés, et leurs droits mieux défendus. Même à travers les crises, dans les temps d’incertitudes.
Pour en savoir plus : www.e-changer.org/burkina-faso