Von VIH et tuberculose: Interactions et prise en charge und Jean-Pierre Zellweger
Dans les pays en développement, la tuberculose est la complication infectieuse et la cause de décès la plus fréquente de l’infection VIH et le VIH est l’infection la plus souvent associée à la tuberculose. La mise à disposition des trithérapies antirétrovirales sous forme de médicaments génériques d’un prix abordable a pour conséquence une révision complète des programmes de prise en charge des deux maladies, et la nécessité de coordonner le diagnostic et les soins et de former les équipes soignantes dans la gestion des deux affections.
Au sens strict, ni la tuberculose ni le SIDA ne sont des maladies chroniques. La tuberculose correctement traitée est guérissable. Non traitée (ou non traitable, dans le cas des résistances médicamenteuses), elle est mortelle à brève échéance dans la plupart des cas, comme le SIDA. Il s’agit par contre de la plus redoutable «Association de malfaiteurs» que l’on puisse imaginer dans le domaine de la santé publique. Comme les mycobactéries tuberculeuses et le virus VIH attaquent les mêmes systèmes de défense de l’organisme, les cellules CD4, les porteurs du virus VIH sont particulièrement sensibles à l’infection tuberculeuse, contre laquelle ils ne possèdent plus de défenses naturelles et les tuberculeux porteurs du virus VIH ont des chances de guérison plus faibles et rechutent plus souvent que les autres.
L’OMS évalue à 40 millions le nombre de personnes infectées par le VIH dans le monde, dont 25 millions en Afrique. La tuberculose pour sa part se déclare chez environ 8 millions de personnes par année et représente la complication infectieuse la plus fréquente chez les malades infectés par le VIH (1). La proportion de malades co-infectés est faible dans les pays occidentaux, où l’infection tuberculeuse est rare dans la population d’adultes jeunes, mais elle est beaucoup plus élevée dans les régions où la tuberculose et le VIH touchent la même classe d’âge.
Globalement, 11% des malades tuberculeux sont co-infectés par le VIH, mais la proportion s’élève à 38% en Afrique et peut atteindre 75% dans certains pays comme le Malawi et le Zimbabwe. A l’inverse, une forte proportion des porteurs du VIH développeront une tuberculose (entre 30 et 75% selon le risque annuel d’infection dans la population locale). Il existe ainsi une relation entre la prévalence du VIH dans la population générale et la proportion de cas positifs parmi les tuberculeux de la même région (2). L’interaction entre le VIH et la tuberculose, longtemps négligée, est considérée actuellement comme le facteur déterminant pour l’évolution future de la tuberculose dans le monde. Dans les régions du monde où la prévalence du VIH dans la population générale est inférieure à 4%, l’incidence de la tuberculose est stable ou en baisse. Dans les régions où la prévalence dépasse 4%, l’incidence de la tuberculose augmente, et cela même dans les pays qui disposent d’un programme efficace de lutte antituberculeuse (stratégie DOTS de l’OMS) (3).
Dans les populations où les tuberculeux sont fréquemment co-infectés par le VIH, on assiste à une augmentation progressive de la proportion de femmes parmi les malades, donc à une augmentation du risque de transmission de la tuberculose (et du VIH) de la mère à l’enfant. Chez les enfants séropositifs, la tuberculose représente également une cause fréquente d’infection respiratoire aiguë. Dans l’ensemble, les séropositifs ont cependant plus souvent des formes de tuberculose extra-pulmonaire, non contagieuse, donc leur influence sur la transmission de la maladie dans la population générale semble plus faible que celui des tuberculeux séronégatifs (4). La co-infection complique également le traitement de la tuberculose, en raison de la fréquence élevée des intolérances médicamenteuses observées chez les patients séropositifs et des interactions médicamenteuses entre les antituberculeux (en particulier la rifampicine) et certains antirétroviraux (5).
Le grand changement intervenu au cours des dix dernières années est le développement de thérapies antirétrovirales efficaces (TAR ou HAART) et leur mise à disposition sous forme de médicaments génériques d’un coût abordable dans les pays en développement. Les traitements antirétroviraux ont ainsi transformé une maladie mortelle à brève échéance dans la majorité des cas en une affection chronique traitable, même si elle n’est par guérissable (6). En outre, grâce aux efforts de nombreuses institutions internationales, des gouvernements et de l’industrie pharmaceutique, le prix des traitements a baissé de 20'000 US$ par personne et par an en 1996 à 132 US$ en 2005 (7). Il est ainsi possible d’offrir aux malades et aux personnes infectées un traitement qui va prolonger leur vie. L’approche de l’infection, axée exclusivement sur la prévention, repose maintenant sur deux piliers complémentaires. La prolongation de la vie et la diminution des infections opportunistes ont cependant eu pour effet, même en Occident, d’augmenter l’importance de la tuberculose comme manifestation inaugurale du SIDA. En outre, l’efficacité des traitements antirétroviraux a eu parfois pour effet pervers de diminuer les efforts de prévention, donc d’augmenter le nombre de cas d’infection dans certains groupes de population (8).
Les indications aux traitements et les conditions de la prise en charge ont été définies en tenant compte des possibilités limitées des pays les plus touchés par la maladie9 et de la co-infection tuberculeuse. Sur le terrain, les équipes responsables doivent par contre apprendre à gérer sur le long terme des traitements complexes et souvent mal tolérés, et conduire simultanément le traitement de deux maladies infectieuses.
Dans les pays où les deux infections sont courantes, il existe en général des programmes de lutte contre chacune des maladies, qui ont longtemps travaillé isolément. La reconnaissance de l’interaction étroite entre les deux maladies conduit progressivement à une collaboration entre les programmes, voire à leur intégration. Les programmes de lutte contre le SIDA sont incités à dépister rapidement la tuberculose chez les sujets séropositifs présentant des symptômes suspects, voire à rechercher chez eux une infection tuberculeuse latente, si les moyens techniques et financiers le permettent. A l’inverse, les programmes de lutte antituberculeuse sont incités à vérifier le statut VIH de tous les malades tuberculeux, afin d’offrir à ceux des malades co-infectés qui sont éligibles un traitement antirétroviral simultané ou séquentiel. Un tel changement d’attitude implique une coordination des moyens techniques et une formation adaptée du personnel des deux types de formations sanitaires.
Chez les patients porteurs du VIH qui reçoivent une thérapie antirétrovirale, la nature et la fréquence des infections opportunistes, y compris de la tuberculose, a diminué, sans que le risque disparaisse totalement.
L’administration d’un traitement antirétroviral aux malades co-infectés a pour effet de réduire le nombre de décès en cours de traitement de la tuberculose, mais pose un grand nombre de problèmes pratiques liés aux effets indésirables des deux traitements, aux interactions médicamenteuses, à l’impossibilité fréquente d’assurer un suivi biologique des patients en l’absence de réseau de laboratoires et aux problèmes logistiques liés à l’interaction entre deux programmes différents et souvent indépendants, soit le Programme Tuberculose et le Programme SIDA (10). En règle générale, le traitement antituberculeux est prioritaire (en raison du risque de propagation de la maladie et de la réponse rapide au traitement antituberculeux) et les antirétroviraux sont introduits après quelques semaines ou quelques mois de traitement antituberculeux, sauf urgence (si le nombre des CD4 est inférieur à 100 ou si le malade se trouve au stade IV du SIDA.
Sur le plan pratique, l’OMS et l’Union Internationale contre la Tuberculose s’accordent pour préconiser une collaboration étroite entre les Programmes Tuberculose et les Programmes SIDA, une utilisation large de méthodes de dépistage simple, et surtout une formation des professionnels de la santé des deux domaines, de manière à faciliter le diagnostic de la tuberculose chez les malades porteurs du VIH et à reconnaître rapidement les porteurs de VIH chez les malades tuberculeux, pour leur offrir un traitement préventif de co-trimoxazole ou un traitement antirétroviral (5,11). Le dépistage de l’infection VIH chez une mère impose l’examen de l’enfant, à qui un traitement préventif ou antirétroviral sera également proposé si nécessaire. Cela implique une collaboration étroite entre les deux programmes sanitaires, voire la création d’un programme commun, et une répartition précise des tâches dans le terrain.
A titre d’exemple, un programme de soins intégrés des malades co-infectés (« Integrated HIV Care ») vient d’être lancé dans trois pays, la République Démocratique du Congo, le Myanmar et le Bénin, sous la direction scientifique de l’Union Internationale contre la Tuberculose et avec l’appui de la Communauté Européenne, de la Coopération Suisse et de la Ligue Pulmonaire Suisse. Au Bénin, ce programme prévoit:
Depuis 2006, le programme commun dirigé par une coordinatrice spécialement formée a entrepris la préparation et la distribution dans toutes les formations sanitaires d’un manuel de prise en charge des malades co-infectés, la formation par petits groupes des professionnels de la santé actifs dans le terrain, l’équipement des laboratoires périphériques en matériel de test rapide du VIH et des laboratoires régionaux et appareils de comptage des CD4, organisé la distribution des médicaments préventifs (co-trimoxazole) et des antirétroviraux aux malades tuberculeux co-infectés. La surveillance s’effectue selon un modèle inspiré du programme de surveillance de cohortes de tuberculeux, qui a déjà fait ses preuves au Malawi (12,13).
En l’absence du VIH, l’OMS estime que le nombre de cas de tuberculose diminuerait dans le monde au lieu d’augmenter de 1.5% par an, comme c’est le cas actuellement (3) Il n’y a donc aucun doute que l’avenir de la lutte antituberculeuse, au moins dans les pays les plus touchés, passe par la maîtrise de l’épidémie de VIH. Une des conditions à remplir est l’existence de programmes locaux efficaces et la disponibilité des travailleurs de santé, souvent en nombre nettement insuffisant pour faire face aux problèmes. L’appel lancé à l’occasion de la Conférence de Toronto en août 2006 par l’AIDS Care Watch attire l’attention du monde politique et scientifique sur cette évidence et fixe les priorités dans ce domaine (14).
*Dr Jean-Pierre Zellweger, pneumologue FMH, Centre de compétence tuberculose de la Ligue pulmonaire suisse, est chargé de cours à la Policlinique Médicale Universitaire, Lausanne, Contact: zellwegerjp@swissonline.ch
Références